Une bonne pichenotte sur du verre : l’homme est mort, à ce point mort que son assassin a eu la tremblote pendant quelques minutes et a tourné en rond à la façon d’un chat qui cherche le point idéal d’un coussin avant de s’étendre.
À qui nous intéresserons-nous maintenant ?
À ce mort qui n’a plus rien à offrir, sinon son cadavre figé.
Au tueur et voleur qui prendra la poudre d’escampette sans demander son reste ? Il va sans dire que celui-là, à cause du crime, pousse l’écrivain à chercher l’origine de son impulsion, le mobile de son acte et la suite de l’événement. L’assassin est un beau sujet ; il l’a toujours été depuis Caïn.
Il faut parler de la situation ci-haut présentée.
Le disparu méritait-il sa mort ? Si vous demandiez au tueur pourquoi il a occis un homme, il trouverait sûrement de bonnes raisons. « Un maudit avare. J’ai rendu service à la société. » « J’avais besoin d’argent, je suis pauvre, moi, et j’ai des dettes. » « Il n’avait qu’à pas être là ! »
Que répondrait la victime à la question s’il était possible qu’elle puisse y répondre ? Qu’elle ne connaît pas les raisons de sa disparition dans le Royaume des morts ? Qu’elle avait reçu des menaces ? Qu’elle se trouvait chez elle au mauvais moment face à un tueur avide de son bien ?
Paul A est mort de s’être trouvé là où il n’avait que faire, même s’il était chez lui et en droit d’y être, vous en conviendrez. Son assassin ne s’attendait pas à le trouver dans cet appartement qui contenait tout ce qui intéresse un voleur.
Maintenant, le tueur doit faire vite, abandonner appareils coûteux, bijoux cachés, billets oubliés dans un livre ; plus il s’éternise, plus il risque sa vie ou la possibilité de disparaître sans laisser de trace. Une femme peut apparaître qui viendrait rejoindre le locataire pour passer une bonne nuit ; un voisin peut sonner pour emprunter du sucre ou rendre une simple visite. Il doit partir avec discrétion, si cela est encore possible après ce coup de feu qui a claqué dans l’air. Il se presse, cherche une sortie sûre qui ne le mettrait en contact avec aucune personne, ni même aucune bête.
Là, au fond du salon, cette grande baie au travers de laquelle il voit la ville qui s’allume pour la nuit. Il s’approche et regarde dehors : le balcon, tout en bas, la rue. C’est trop haut, il pourrait se blesser en sautant. Que faire ? Sortir tout simplement par la porte de l’appartement qui donne sur le palier, appeler l’ascenseur, s’y engouffrer et quitter l’édifice en sifflant tout doucement.
Il y est, il marche, il regarde les maisons de ce quartier paisible. Il dépasse un homme qui promène un affreux petit chien au bout d’une laisse, il siffle tout doucement et bifurque vers la première rue perpendiculaire.
Il ne se soucie plus d’avoir été repéré ou entendu ou poursuivi. Il s’apaise et rentre à pied chez lui.
C’est une douce nuit de printemps quand tout s’annonce encore, quand tout l’été commence à bouger dans les corps. Il se demande s’il pourra encore connaître le bonheur après ce qu’il a fait. Pourra-t-il ? Il voudrait répondre mais il oublie. Il passe à autre chose, à regarder le ciel étoilé, à fixer parfois un bruit.
(Ce texte de Richard Desgagné a remporté le troisième prix ex æquo au concours 2014 du Chat Qui Louche. Félicitations !)
Notice biographique

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/ )
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