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« Le Chinois du XIVe » et autres savoureux contes parisiens

Publié le 02 mars 2015 par Savatier

ChinoisIl y avait, au début des années 1980, un bistrot où j’allais parfois déjeuner rue des Plantes, non loin de la rue du Moulin-Vert. J’habitais alors le XIVe et je venais en voisin avant, parfois, de rendre visite au peintre Jean Carzou dont l’appartement se situait à quelques jets de pierre. L’établissement - dont j’ai oublié le nom - accueillait un petit peuple d’habitués ; la plupart devaient ignorer qu’accroché au mur, au-dessus du bar, se trouvait un dessin particulièrement intéressant ; il s’agissait d’un portrait exécuté par Alberto Giacometti qui avait, comme on sait, occupé jadis un atelier du quartier, si finement décrit par Jean Genet. Personne ne semblait y prêter attention... Mais cette œuvre mise à part, l’endroit ressemblait furieusement au « Mon Moulin », bistrot qui sert de décors à l’écrivain et cinéaste américain Mervin Van Peebles pour son curieux livre, Le Chinois du XIVe (Wombat, 160 pages, 17 €).

En débarquant à Paris après la Grande guerre, Hemingway s’était vite lié aux Montparnos ; quarante ans plus tard, Van Peebles s’acoquina avec une autre bande de trublions qui avaient pour noms la Professeur Choron, Cavanna et toute la joyeuse clique d’Hara-Kiri, journal fort judicieusement « bête et méchant » auquel il collabora. C’est dans ces pages, où il tenait « La chronique du gars qui sait de quoi il parle », qu’il publia en partie les textes du Chinois du XIVe. Heureuse initiative que de les avoir réédités !

Ni récit, ni roman, ni compilation de brèves de comptoir, cet ouvrage savoureux pourrait tout aussi bien s’intituler « Contes d’une nuit » - les mille autres devenant tout à fait superfétatoires. Car ce sont bien des contes que livrent les habitués réunis autour d’une lampe à pétrole (et de quelques bouteilles de vin), un soir de grève de la compagnie d’électricité. Aux veillées rurales, se substitue ici cette singulière veillée improvisée au cœur de ce qui était encore, vers 1965, un quartier populaire parisien. Le lecteur cherchera en vain le Chinois, cuisinier de son état (comme ceux que l’on croise dans Lucky Luke), dont il ne sera brièvement question que dans l’introduction et le premier chapitre. Il figure un peu la « cantatrice chauve » de l’ouvrage.

Les histoires se succèdent comme autant de « tranches de vie » : de l’ancien combattant racontant comment, durant la dernière guerre, il avait lutiné sa conquête dans une voiture au fils de pasteur pour lequel le vin serait une potion magique, du gardien de square évoquant un tueur en série (un thème que n’aurait pas renié Pierre Bourgeade) au veilleur de nuit obsédé par la science et les extraterrestres, du veuf parlant de sa femme au clochard plus ou moins voyeur. L’un des plus féroces récits est sans doute celui d’une bonne qui fut engagée par de petits bourgeois pour simuler une grossesse afin de dissimuler celle, bien réelle, de leur fille qui avait « fauté »...

Il y a un peu de magie dans ces historiettes de « petites gens », où se côtoient l’expérience - heureuse ou malheureuse - le réel et l’imaginaire, le tout écrit dans une langue populaire, faubourienne et qui sonne juste, plus proche des dialogues de Jeanson dans les films de Marcel Carné ou de Julien Duvivier que de ceux de la Nouvelle vague. Toute une atmosphère enveloppe ce livre que les belles illustrations de Roland Topor parviennent à reconstituer avec une sombre minutie.


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