Aujourd’hui, je reviens pour une petite présentation d’un court roman d’Inoue Yasushi (dont j’ai déjà présenté trois ouvrages ici) intitulé Le Maître de thé. Contrairement à ce que la quatrième de couverture laisse entendre, il ne s’agit ni d’une enquête palpitante, ni d’un thriller à suspense, mais plutôt du cheminement méditatif d’un moine en quête de vérité quant aux causes de la mort de son maître.
Le roman s’inspire de faits réels, à savoir le seppuku du célèbre maître de thé Sen no Rikyû en 1591 sur ordre de Totoyomi Hideyoshi, alors maître incontesté du Japon. Sen no Rikyû, d’abord moine au temple bouddhiste Daitoku-ji de Kyoto, devient en 1579 le maître de thé du grand guerrier Oda Nobunaga, avant d’entrer au service de Hideyoshi en 1582 après la mort d’Oda. Il est connu pour avoir mis au goût du jour le wabi-cha, ou thé simple, qui est à l’origine de la cérémonie du thé telle que nous la connaissons aujourd’hui. De fait, Sen no Rikyû préconise un art du thé épuré, sans fioritures, préparé et servi dans de petites pièces de quatre tatamis sur quatre.
Les raisons de sa mort demeurent obscures, aussi Inoue Yasushi tente-t-il, au travers du moine Honkakubô, le héros de son roman, de percer à jour les motifs de son seppuku. Qu’est-ce qui a pu amener Hideyoshi à condamner à mort l’un de ses proches et fidèles amis ? Dans les derniers mois de sa vie, Sen no Rikyû s’est-il comporté de manière étrange, inhabituelle ? Honkakubô, moine retiré du monde, se pose inlassablement ces questions depuis la mort de son maître, guidé dans sa démarche par le fantôme de ce dernier, avec lequel il converse régulièrement, et par un rêve obsédant, troublant, dont il ne parvient à trouver la signification. Le roman se présente sous forme de journal intime, où le moine consigne les éléments ayant trait à la mort de Sen no Rikyû, à l’évolution sociale de ses disciples, aux rumeurs persistant malgré le passage du temps. Au fil des rencontres avec de vieux amis, d’anciennes connaissances, Honkakubô cherche à savoir si son maître savait que la mort l’attendait, et surtout pour quelles raisons cette mort est survenue, avec la force implacable du destin.
Le thé dont ce roman parle n’est pas le thé d’aujourd’hui, celui de la cérémonie du thé japonaise pratiquée essentiellement par les femmes, en tant que pratique figurant sur la liste des acquis d’une jeune fille accomplie. Il s’agit du thé des origines, un thé apprécié d’abord par les moines et les guerriers, en des temps où les occasions de se réunir dans une petite salle pour y déguster cet amer breuvage étaient rares, car partout la guerre faisait rage. Et c’est précisément ce qui fait la beauté de ce wabi-cha, préparé par de grands hommes de thé pour des soldats prêts à mourir au combat, pour qui le goût du thé sera le dernier souvenir civilisé qu’ils emporteront.
Le Maître de thé est, à de nombreux égards, un roman méditatif où le lecteur, happé par le flot de pensées du moine Honkakubô, se laisse bercer par les suites de faits et de noms évoqués. Honkakubô est un personnage qui traverse sans la vivre une époque extraordinaire, où les plus grands destins se font et se défont, reclus dans sa cabane derrière la bambouseraie, occupé seulement de thé et du souvenir de son maître. Inoue Yasushi, avec une grâce toujours renouvelée, rend à merveille les méandres de sa pensée, son trouble, son désarroi lorsqu’en pleine nuit il s’éveille soudain d’un rêve incompréhensible, celui où il suit Sen no Rykyû sur une route blanche et poussiéreuse, sans savoir où elle conduit ni où son maître se rend.
Je recommande vivement cette lecture à tous les amateurs de thé et d’histoire japonaise, et pour plus de plaisir, l’idéal serait de lire Le Livre du thé dans la foulée :) Mata ne !