Pas la peine d’y aller par quatre chemins, le dernier opus de The Soft Moon risque de diviser les fans de la première heure. Certain reprocheront à Luis Vasquez son orientation popisante, un accessibilité trop commerciale cherchant à briser les charts et une ressemblance trop évidente avec la musique pop-indus de Nine Inch Nails. Déjà à la sortie de Feel, l’écoute avait provoqué quelques démangeaisons, surtout lorsqu’on s’apercevait que le morceau sortait en auto-production. Une rupture avec le label new-yorkais Captured Tracks qui propulsa le groupe californien dans la strastosphère du DIY ? Pourtant, il n’en est rien : dès le second extrait, Black, The Soft Moon affiche les couleurs de son écurie, rassurant à la fois sur la qualité de production, mais divisant également par une orientation électro parfois trop pesante. Alors qu’en est-il de ce Deeper tant attendu ? Eh bien, après s’être enfilé l’album tout entier, il faut se rendre à l’évidence : si la tonalité rompt totalement avec ce que nous avions écouté jusqu’à présent, Deeper est un album hautement qualitatif, dépassant de loin son prédécesseur, Zeros.
Pas de grosse surprise sur le fond. Luis Vasquez évacue ses démons à travers une introspection musicale cauchemardesque, frissonnante et lugubre. En revanche, pour ce qui est de la forme, c’est une toute autre histoire. Vasquez, qui nous confiait lors de sa dernière interview (lire) utiliser sa voix comme un instrument à part entière, s’intégrant pleinement dans les vrilles circulaires que constituent ses mélodies anxiogènes, se débarrasse peu à peu des couches de filtres masquant ses murmures pour habiller sa musique de textes librement écorchés, s’affranchissant d’une trop forte instrumentalisation afin de laisser une plus grande place à son chant, ce qui, mine de rien, apporte énormément à ce nouveau disque. C’est bien simple : si Zeros et le premier album éponyme de l’Angelois passaient pour un croisement entre coldwave synthétique et kraut fantomatique à la Carpenter (il suffit d’écouter The Lost Themes de ce dernier pour s’en convaincre), The Soft Moon empreinte sur Deeper une palette d’influences balayant un spectre de sonorités bien plus large, du lo-fi à l’indus tout en passant par la new wave. Le premier choc restant Wasting, sombre complainte croisant New Order et Gary Numan, revisité à la sauce Mike Sniper (dont on attend toujours le prochain Blank Dogs… Merci). Un ballet de sonorités post-synth, s’alliant à un chant lancinant et dépressif. Mais cette petite perle n’est que le sommet de l’iceberg, car des morceaux comme Try ou Whithout, et ses notes de piano mélancoliques et son gothisme assumé, transfigurent l’image violente et mécanique accumulée jusqu’ici. Même le très surprenant Feel trouve ici sa place, parmi les songes funestes alternant néo-romantisme synthétique et bruitisme électro-tribal. Les nostalgiques pourront toujours se consoler grâce au titre Far, s’inscrivant parfaitement dans le répertoire de ce que le groupe avait l’habitude nous livrer jusqu’à présent. Alors oui, pas la peine de se leurrer, The Soft Moon effectue un tournant avant tout électronique à Deeper, mais bon sang, pour quel résultat ! Pas d’éclaircies dans ce disque qui, malgré sa fraîcheur, reste aussi noir que le jais.
Alors que les critiques aillent se rhabiller, Deeper reste une compilation de tubes en puissance, que cela ne déplaise aux puristes. Une sorte de rupture dans la continuité qui n’augure que le meilleur. Un disque se révélant avant tout consacré à usage domestique, mais dévoilant une facette à ce jour méconnue du petit protégé du label Captured Tracks. Un parcours musical qui rappelle celui d’A Place To Bury Strangers et autres, mais sans fausses notes. Chaudement recommandé à ceux qui aiment être bousculés dans leurs habitudes, les autres passeront leur chemin… Ce qui serait vraiment dommage.