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[note de lecture] Christiane Veschambre, "Versailles Chantiers", par Jean-Pascal Dubost

Par Florence Trocmé

[note de lecture] Christiane Veschambre, Ce livre est un des trois livres parus dans la nouvelle collection Ligatures des éditions Isabelle Sauvage, collection qui a pour orientation d'associer poésie et photographie. Les livres se présentent en format inhabituel (15x25 cm), et un rabat en troisième de couverture recouvre le texte, et donne un semblant de livre coffret, soulignant le grand soin apporté à cette collection où l'iconographie importe.
Pour la circonstance du présent livre, les photographies de Juliette Agnel ont été prises en suite du texte, en écho aux poèmes de Christiane Veschambre, la photographe suit les traces de la poète venue en ce lieu, " Versailles chantiers ", qui est une gare ferroviaire. À l'initiative de la Maison de la Poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines, Christiane Veschambre est invitée en résidence dans les Yvelines avec la commande précise d'un texte ; son choix se pose alors sur la gare Versailles Chantiers, dont les " rails se sont enfuis sur les lignes du temps, enfoncés dans les couches du sol au lieu de s'élancer à la surface ", un chantier comme en friche, " Et à Versailles Chantiers où/sont les chantiers ?/Dessous. " La poète va rencontrer le hasard, qui n'est pas le hasard, et reconstruire une histoire à laquelle elle appartient, et qui fait écho à un précédent livre d'elle, Robert & Joséphine (1). Les rails enfuis, enfoncés, tracent la ligne de conduite et d'écriture de ce livre, où la prétendue grande histoire, celle qui marque l'humanité comme la guerre d'Algérie, la seconde guerre mondiale, et plus loin encore dans le passé, la construction du château de Versailles, où la prétendue " grande histoire " transporte la (mal) dite " petite histoire ", celle de ceux qui en partie subissent la grande dans leur histoire individuelle, et qu'on appelle les anonymes, et auxquels Christiane Veschambre rend honneur, vivants, sur le champ d'honneur de la mémoire. Ainsi, parce que sous la gare, on trouverait " quelques pierres à la taille mal/ébauchée, abandonnées [...] Et rien de ceux qui les manièrent ", Christiane Veschambre veut retrouver les oubliés, réparer les oublis, ceux qui ont fabriqué. Tissant la mémoire collective avec la mémoire familiale et avec le présent d'écriture (celui de la résidence), elle reprend un chantier en friche, qui est celui de cette gare, ou bien celui du château de Versailles, mais qui est peut-être celui de sa mémoire avant la construction de sa propre mémoire, puisqu'il se trouve qu'en cette gare, Robert et Joséphine se sont croisés, rencontrés, qu'à proximité de cette gare ils ont vécu, et que ce sont ses propres parents. Le hasard est composé de vestiges qui ne demandent qu'à être découverts. Par petites touches, tantôt réalistes, narratives, tantôt impressionnistes, parfois musicales, ou déviées (ses " Traverses "), Christiane Veschambre crée un temps hors temps, celui que nous lisons, où les disparus réapparaissent, aussi vivants que les vivants du temps de l'écriture, quittent l'anonymat grâce à la trace d'écriture, où Robert, Joséphine, Maurice sont portés à même temps que Colbert. La mémoire semble ici en perpétuel chantier, fragile, mais en consolidation néanmoins. A quoi les photographies répondent, par des instantanés d'immobilité, ou par des flous de vitesse, sinon des flous d'étrangeté temporelle (où sommes-nous ?, pouvons-nous nous demander).
La qualité de ce récit évocatoire et en vers tient par la modestie de son entreprise, qui n'est point celle de refaire le monde ni le temps ni la poésie, mais d'inviter à se souvenir, à vraiment se souvenir, de marquer le temps par effleurements sensibles, où la mort et l'oiseau peuvent coïncider l'espace d'un instant perçu comme une fulgurance, suivant les réseaux complexes de la mémoire, comme si le passé était une apparition de l'instant. La modestie de l'entreprise veut qu'on prenne le temps de suivre le rendez-vous de la poète avec l'Histoire et l'histoire. Il y a dans ce livre une émotion contenue mais palpable. Point un tombeau, mais un chantier de fouille, est-il, qui font surgir dans le présent quelques merveilles de mémoire humaine.
[Jean-Pascal Dubost]

Robert & Joséphine, Cheyne éditeur, 2008
Christiane Veschambre (texte), Juliette Agnel (photographies), Versailles chantiers, éd. Isabelle Sauvage

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