Imaginez la scène suivante. Deux photographes animaliers partagent le même affût photo. Pas dans un affût de type tente du commerce, c’est trop petit pour deux personnes (expérience vécue !). Mettons plutôt nos deux photographes dans le cabanon d’une Drink Station. Vous savez, cette installation en dur permettant de photographier les animaux venant boire à la dite Drink Station (littéralement abreuvoir, mais ça fait toute de suite moins classe).
Les deux photographes ont sensiblement le même matériel, disons un reflex expert monté avec un 300mm f/4. L’un comme l’autre maitrisent les réglages de base, autrement dit, ils ne ratent plus (en tout cas plus beaucoup) un cliché à cause d’un mauvais réglage. Le triangle de l’exposition Ouverture, Vitesse, Sensibilité, ils connaissent.
Et, évidemment, ils observent les mêmes scènes de vie animales. Comme par exemple une gentille petite mésange qui vient faire sa toilette au bord de l’eau. Ceci étant une scène typique de Drink Station.
Nos deux photographes attendent patiemment ce moment et sont donc au taquet ! Leurs réglages sont les mêmes : priorité ouverture avec un diaphragme ouvert au maximum pour :
- avoir un fond bien flou
- avoir une vitesse d’obturation rapide.
Et hop, comme prévu, le feu d’artifice des déclenchements démarre. Normalement, théoriquement, naturellement, les deux photographes vont faire les mêmes photos ! Même sujet, même matériels, mêmes réglages !
Et bien non. Les photos de l’un seront complètement différentes de l’autre. L’un aura des images banales, ni moches ni belles, juste techniquement réussies. Quant à l’autre, ses photos seront puissantes, attractives pour l’oeil, bref, déclencheront le fameux effet wahou qu’on recherche tous.
Pourquoi une telle différence ? Parce le second aura su saisir le moment, l’instant décisif. LE moment à capturer.
C’est quoi l’instant décisif ?
Je vais prendre quelques instants pour définir ce qu’est le moment décisif, ou l’instant décisif. Je précise d’emblée que cette notion n’est absolument pas issue de la photo animalière !
On doit l’émergence, ou en tout cas la concrétisation de ce concept, par Henri Cartier-Bresson. C’était un photographe français, père du photo-journalisme et faisant parti du mouvement humaniste de la photo. C’est lui qui parla le premier de l’instant décisif. Et surtout qui le démontra dans ses photos.
Henri Cartier-Bresson disait « Il existe une fraction de seconde créative quand on prend une photo ». Ou bien encore, si tu ne saisis pas l’instant décisif, « il est parti pour toujours »
Pour résumer, l’instant décisif, c’est un très très court instant, unique, qui, s’il est saisi par le photographe, permet de convertir une simple image en une photo extra-ordinaire.
© Henri Cartier-Bresson
D’ailleurs c’est applicable à tous les champs de la photographie, et pas seulement à la photo animalière ! Un photographe de mariage, un photographe de rue devra aussi être sensible à ce concept. Et même vous, moi, quand on photographie l’anniversaire de tonton Gérard.
Allez, je ne résiste pas à l’envie de remettre une citation d’Henri Cartier-Bresson « La photo, c’est la concentration du regard. C’est l’œil qui guette, qui tourne inlassablement, à l’affût, toujours prêt. La photo est un dessin immédiat. Elle est question et réponse ». (Entretien avec Henri Cartier Bresson, 1975).
Bon, tout ça c’est bien gentil, mais comment faire pour le saisir, cet instant décisif ?
Technique #1 : l’anticipation
Prenez cette photo du chat de ma belle-maman. Néo de son prénom. Ça lui va bien non ? J’aime beaucoup cette image parce que justement, j’ai réussi à attraper ce fameux instant décisif.
Lequel ? Et bien celui qui a duré 1/4 de seconde : le temps pour le chat de sortir et rentrer la langue. Juste avant et juste après, qu’aurai-je obtenu ? Une photo d’un chat quelconque. Ici, j’ai celle d’un chat avec une attitude extra-ordinaire. Des yeux jaunes baissés, une démarche féline et surtout, surtout, cette langue sortie qui donne cet air de chat prêt à tout dévorer sur son passage !
L’anticipation dans tout ça ? Et puis anticiper quoi au fait ? Anticiper l’instant décisif bien sûr. Anticiper la sortie de la langue du chat !
On a coutume de dire que le diable se cache dans les détails … l’anticipation se cache aussi dans les détails. Il faut en fait être capable de lire, de décoder les détails comportementaux des animaux que vous suivez :
- des oreilles qui se dressent vers le haut
- des pattes arrières qui se plient en mode ressort
- des moustaches toutes tendues vers l’avant …
Tout changement, même minime, de comportement doit vous mettre en alerte.
Pour Neo, c’est facile, je connais très bien ce chat, et d’ailleurs les matous en général. Je sais qu’ils sont coutumiers de ce type de grimaces. Et le détail avant coureur, c’est une pré-sortie de langue !!!
En gros, Neo ne sort rarement la langue qu’une seule fois. Résultat, à la première sortie (de langue), j’étais prêt pour la deuxième ! J’ai donc anticipé : archi prêt pour le déclenchement.
J’en viens à un point que vous devez connaitre si vous suivez le blog depuis un certain temps.
Anticiper la prochaine action d’un animal, sauvage ou domestique, demande une connaissance aiguisée de celui-ci ! En d’autres termes, passer du temps sur le terrain à observer n’est jamais du temps perdu !
Sur la photo ci-dessous, nous retrouvons Neo, cette fois-ci en compagnie de sa soeur (ou plutôt belle-soeur : ils ont la même mère, c’est certain, pour le père … ). J’aime bien également ce cliché pour l’attitude des deux chats :
- le chat noir, maitre de lieux ainé, surveille l’autre tout en décontraction. L’air de dire à l’autre « tu vois, tu ne me déranges pas du tout … par contre, dès que tu bouges une oreille … je te cours après !«
- le chat gris, bien moins à l’aise, oreilles en arrière, est sur le qui-vive.
Pour bien montrer le coté désinvolte du chat au premier plan, je voulais absolument voir sur l’image le rose de la langue de Neo. Sans ça, l’idée de toilette ne fonctionnait plus !
Ah au fait, si vous êtes intéressés par le sujet, il y a un article exprès sur le blog pour apprendre à photographier son animal de compagnie.
Technique #2 : abusez de la rafale !
L’astuce numéro 1, c’est le coté poétique de l’affaire. Pour la présente technique, on est plus sur le coté bourrin optimisation des chances !!
Comment croyez-vous que j’ai réussi à saisir pile le bon moment de la toilette de la mésange ci-dessous ? Par l’anticipation ? Absolument pas ! C’était la première fois que je me retrouvais à photographier dans une Drink Station, et donc, la première fois que je pouvais observer le toilettage d’une mésange. Autant dire qu’en termes de connaissances comportementales hygiénique de la mésange, j’étais proche du zéro !
Dans ces cas là, on mise moins sur l’anticipation et plus sur la rafale. Oui, c’est typiquement dans ce type de situations que la différence de matériel peut jouer. Un reflex avec un mode rafale proche de 7 images par secondes sera plus efficace qu’avec un mode à 3 images par secondes.
On n’est pas tous égaux devant le matériel photo !!
Ceci étant dit, vous ne devez jamais avoir mauvaise conscience parce que vous shootez en rafale ! Une séance d’affût réussie pour un photographe pro c’est au bas mot 500 photos ! Alors ne vous privez pas de ce mode formidable.
Je dois tout de même vous dire que maitriser le mode rafale demande un peu de pratique. Ça n’est pas difficile, rassurez-vous. Pour ne pas déclenchez non-stop pendant 15 minutes en espérant que … il vous faut sentir le moment intéressant approcher. Si on retrouve un peu la notion d’anticipation, on a surtout besoin d’être hyper attentif à ce qui se déroule devant soi.
Pour la mésange que j’ai photographiée, j’étais, je m’en souviens parfaitement, concentré de chez concentré. Un peu comme Usain Bolt sur les starting blocks. Lui attend le coup de feu, moi j’attendais que la mésange plonge la tête dans l’eau. Et là, tac-tac-tac-tac-tac-tac-tac-tac-tac-tac-tac-tac- j’ai appuyé pendant 2 ou 3 secondes sur le déclencheur. Et voilà le travail : parmi les 10 photos, j’ai obtenue celle-ci !
Pour l’image ci-dessus, j’ai photographié en rafale évidemment. Les vaches avançaient dans la neige et je voulais surtout saisir la belle lumière en contre-jour. Coup de chance, pendant une série de rafale, la charolaise au premier plan a tourné sa tête. Donnant une particularité à cette image. C’est aussi ça l’instant décisif !
Pour finir de vous convaincre, regardez la capture d’écran à partir d’Aperture ci-dessous. Il y a seulement 2 secondes qui séparent la photo de gauche de celle de droite ! 2 secondes qui séparent une photo banale (celle de gauche) d’une photo extra-ordinaire (celle de droite) – cliquez sur l’image pour la voir en grand.
Technique #3 : Soyez toujours prêt !
C’est une vraie lapalissade que je vous dis là. Evidemment que si on veut photographier l’instant décisif il va falloir être prêt ! D’ailleurs, en tenant compte des techniques photos 1 et 2, vous devriez déjà être bien prêt. Mais pas encore à 100 % … il vous manque quelque chose. Vous ne voyez pas ?
Les réglages du reflex ! A quoi ça sert d’être concentré à fond, d’être l’as de l’anticipation si votre reflex est calé sur des mauvais réglages. A rien ! C’est d’autant plus dommage que c’est plus simple de bien régler son matériel que de connaitre intimement une espèce. Je vais donc vous donner mes astuces de réglages pour être prêt à dégainer, à capter l’instant décisif à tout moment.
Pour tous les réglages suivants, je pars du principe que je veux le sujet net. Il me faut une vitesse d’obturation de l’ordre du 1/500. Mon réglage par défaut en situation de lumière convenable est :
- priorité ouverture
- ouverture du diaphragme à f/4
- sensibilité calée sur 200
Si j’ai besoin, je monte en sensibilité pour augmenter ma vitesse. A l’inverse, si la lumière est largement suffisante, et que par conséquent la vitesse est élevée, je peux fermer un peu le diaphragme. f/5.6, f/8 par exemple, tout en prenant garde à ce que la vitesse ne tombe pas en dessous de 1/500.
J’utilise également beaucoup les modes USER de mon reflex Pentax K3. Il doit exister la même chose sur Canon, Nikon ou Sony mais je ne connais pas le terme technique.
Le principe est simple : je sauvegarde des réglages correspondants à un type d’image particulier que je veux avoir.
Mon mode USER 1 que j’ai renommé VITESSE est celui que j’utilise pour figer l’attitude du sujet. Dès que je tourne le sélecteur de modes sur U1 (USER1 donc VITESSE pour moi) voici ce qui se passe :
- j’ai sauvegardé une vitesse de 1/640 : le reflex va tout faire pour me garantir cette vitesse
- j’ai sauvegardé une plage de sensibilité auto de 100 à 3200 ISO
- j’ai sauvegardé le mode rafale Rapide
- j’ai sauvegardé le mode Mise au point en continu
- j’ai sauvegardé le mode Sélection du collimateur avec collimateurs adjacents
Ainsi, si je veux mettre toutes les chances de mon coté pour saisir l’instant décisif, je sélectionne le mode U1 avec tous les réglages qui vont bien pour figer un mouvement.
C’est ce que j’ai fait avec la scène ci-dessous ou j’ai dû réagir très vite.
Pratique non ?
Bien sur, j’ai aussi paramétré le mode USER 2 que j’ai renommé en FILÉ. C’est le mode que j’utilise non pas pour faire des filés de cascade, pour ça j’ai le temps de m’organiser. Non, je l’utilise à la sauvette, pour faire un filé de mouvement d’animal en fin de journée par exemple.
Un blaireau déboule devant moi ? La lumière est très faible ? Hop, direction la molette en mode U2 (FILÉ) et je sais que mes réglages seront bons pour ce type de photo.
Et vous vous faites quoi pour ne pas rater le moment décisif ?