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"Nous allons vers la rencontre entre monde médical et monde informatique"

Publié le 11 mars 2015 par Pnordey @latelier

La question n’est plus de savoir si les multiples technologies de suivi et de prévention vont impacter le métier de médecin traitant, mais comment faire pour que ce dernier devienne un coordinateur des infrastructures santé.

Entretien avec Lavinia Ionita, médecin en Addictologie, Tabacologie & Médecine Personnalisée, Membre Associé de l'Hôpital Américain de Paris. Elle interviendra pendant le Théma de L’Atelier sur : Le soignant doit-il devenir un data scientist ?

L’Atelier : Multiplication des objets connectés, des applications santé, bientôt le séquençage du génome… Tout cela génère des données qui permettent de mieux se connaître et de se traiter. Est-ce que cela signifie que les médecins traitants vont devoir maîtriser ces outils et les data qu’ils génèrent ?

Lavinia Ionita : Utiliser des données, c’est le quotidien des médecins depuis Hippocrate. La nouveauté, c’est l’échelle et la densité des donnés disponibles. Nous allons d’un monde où la pratique médicale est obsédée par le traitement à un monde où l’on comprend qu’il y a une valeur dans la précision du diagnostic. Qu’est-ce que cela implique ? Que les médecins ont désormais besoin d’avoir une vue holistique sur leurs patients et pour se faire oui ils doivent maîtriser les data. Mais ce travail ne se fera pas seul, les professionnels auront besoin d’intervenants extérieurs, car ils ne deviendront pas des programmeurs ! En fait, nous nous dirigeons vers la rencontre entre le monde médical et le monde informatique, entrepreneurial. Cela favorisera l’émergence d’outils facilitant le traitement des données par les médecins.

Aujourd’hui, où en sont les médecins traitant ? En ont-ils conscience ?

Nous en sommes à la préhistoire ! Beaucoup de professionnels sont sceptiques quant à l’émergence d’une médecine personnalisée et de son efficacité. Je comprends ces résistances, après tout on parle de médecine personnalisée depuis le début des années 1990 sans grands résultats clinique tangibles. Mais attention, il faut comprendre que nous sommes face à une transformation exponentielle. Or une exponentielle, c’est long à démarrer ! Ce n’est pas parce que les résultats jusqu’à présent semblent anecdotiques qu’ils vont le rester.

Des résistances, donc, mais aussi des acteurs santé porteurs du changement. L’ordre des médecins s’est ainsi montré récemment favorable à un remboursement des objets connectés. Qu’en pensez vous ?

Les objets connectés ont besoin de la contextualisation que les médecins peuvent leurs apporter. Si les gens se lassent très vite des objets connectés aujourd’hui, c’est bien parce qu’ils ne trouvent pas d’élément tangible et actionnable dans leurs vie de tous les jours. C’est donc une bonne nouvelle si les autorités de santé favorisent les partenariats et la symbiose entre la pratique médicale et la mise à disposition de ces objets. Maintenant un remboursement universel par la Sécurité sociale me semble un peu hors de propos au vue de l’état financier de nos caisses d’assurance maladie. Il faut peut être responsabiliser davantage les gens face à leurs santé et réserver le remboursement aux gens qui n’ont pas les moyens de disposer de ce genre de technologie.

Quoiqu’il en soit, il semble donc que les différentes technologies de prévention et de suivi vont trouver leur place au sein du parcours de soin. Le rôle de chacun des acteurs de la chaîne de valeur va évoluer. Quels changements voyez-vous ?

L’essentiel de la valeur dans la chaîne de valeur va à mon sens être capté par le diagnostic. Ce dernier est en train de vivre une révolution, en passant du statut de diagnostic ponctuel et isolé à un suivi continu et collaboratif du bien être du patient. Nous allons vers un monde où les meilleurs spécialistes pourront traiter des milliers de patients à distance, en collaboration avec le personnel de santé de proximité, comme les infirmières. Il est certain que les médecins vont devoir acquérir des nouvelles compétences et des nouveaux savoir faire, notamment en management. Il faut penser au médecin de demain comme à un grand coordinateur des infrastructures de santé.

A l’extrême opposée de la chaîne de valeur, les traitements pharmaceutiques ne seront plus contraints et évalués uniquement par les autorités de santé mais bien par la masse de data disponibles permettant de mesurer leurs efficacité. Cela va mettre l’ensemble de l’industrie pharmaceutique sous pression : c’est pourquoi certains laboratoires pharmaceutiques investissent massivement dans les technologies de diagnostics, notamment dans la génétique.

Comment aider les médecins à gérer cette transformation?

Se poser la question dans ces termes c’est presque se la poser avec le langage du monde d’hier. Tout ce dont les médecins ont besoin pour se transformer, s’adapter, évoluer est disponible en ligne et quasi gratuitement. Il en va de la responsabilité des médecins d’être autodidacte. S’ils ne le font pas, quelqu'un d’autres le fera pour eux. La seule chose dont ils ont besoin, c’est d’avoir l’esprit ouvert !

Reste que l’offre actuelle est plus que pléthorique. Comment intégrer tout cela dans un écosystème cohérent ?

Au début de l’internet il y avait des dizaines et des dizaines de moteurs de recherche. On se perdait à vouloir faire une recherche. Puis Google a gagné ! Le fait qu’un écosystème soit cohérent n’est pas le résultat d’une volonté mais simplement le destin de tout marché. Il est normal qu’aujourd’hui tout cela paraisse brouillon, mais la sélection naturelle des meilleures solutions va se faire au fur à mesure. D’ailleurs, je pense que nous sommes à un moment où cette diversité d’offre et cette explosion de l’écosystème est une bonne chose, qu’il faut s’efforcer de préserver. Il faut résister à la tentation de vouloir réguler trop rapidement une industrie aussi innovante.

La régulation n’est-elle pas néanmoins importante au niveau de la confidentialité des données, pour fournir un cadre qui rassure tous les acteurs de la chaîne, patients comme acteurs santé ?

Les données peuvent se rendre facilement anonymes ! Même si je comprends les à priori sur le sujet et les angoisses qui en découlent, il est temps que les autorités prennent leurs responsabilités sur le sujet une fois pour toute! Il me semble facile de créer un cadre où le consentement éclairé du patient permet l’exploitation de ses données sans friction et sans entrave. Pourquoi le faire? Car les bénéfices potentiels sont extraordinaires à plusieurs niveaux. La recherche prendra une autre dimension !


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