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[critique] Persépolis : du papier à l'écran

Par Vance @Great_Wenceslas
[critique] Persépolis : du papier à l'écran

1. La bande dessinée

Marjane est née à Rascht en Iran en 1969, dans une famille plutôt aisée avec un père ingénieur et une mère progressiste. Elle ira très tôt dans une école française afin de s’ouvrir à une autre culture. Et toute petite déjà, elle parlait à Dieu et voulait être prophète. Seulement voilà que pour ses 10 ans éclate la révolution : le peuple se soulève contre le roi fantoche au service des puissances occidentales. Marjane se met à s’intéresser au marxisme et imagine des discussions entre Dieu et Karl Marx. Mais la révolution va laisser un pays exsangue, ne sachant que glorifier les martyrs, favorisant la montée des courants extrémistes. Les libertés se restreignent alors même que la guerre contre l’Irak menace. Les femmes surtout voient leur quotidien se transformer, ce que la mère de Marjane a du mal à supporter, au point qu’elle préfère envoyer Marjane en Autriche, loin d’eux, pour qu’elle y continue ses études artistiques. Expérience malheureuse : Marjane y rencontrera certes l’amour, mais également une civilisation décadente et ingrate malgré le confort apporté par la société de consommation et les libertés induites. Elle reviendra alors au pays pour s’y conformer un temps à des mœurs beaucoup plus strictes – et pour se reconstruire – mais son éducation privilégiée, les valeurs défendues par sa mère et l’échec de son mariage la pousseront de nouveau à quitter son pays, pour la France cette fois, et définitivement.

[critique] Persépolis : du papier à l'écran

C’est le récit d’une vie bouleversante, extraordinaire au sens propre du terme, que Marjane s’est appliquée à traduire en bandes dessinées d'abord, avec ce style si particulier fait de grands aplats noirs dans lequel se retrouvent une grande influence de David B. (l’auteur de l’Ascension du Haut-Mal, également autobiographique) mais aussi un graphisme où percent ses somptueuses influences persanes : certaines cases comportant beaucoup de personnages deviennent stylisées et s’approchent des bas-reliefs assyriens autant que des comics underground des années 70. Les scènes de répression d’une populace révoltée témoignent d’un grand savoir-faire artistique, mais on s’extasiera aussi sur ces planches où Marjane connaît ses premières hallucinations. Le reste du temps, c’est un dessin direct, sans fioriture, axé sur des expressions exagérées et misant autant sur un sens du détail inouï (Marjane a la faculté d’avoir une mémoire phénoménale) que sur un recul lui conférant un humour délicat et piquant. Lire les commentaires acerbes sur la façon dont les autorités religieuses justifient le port du voile pour les femmes ou la manière dont les médias occidentaux traitaient l’information sur la guerre Iran/Irak est un réel bonheur.

Marjane Satrapi, installée en France depuis un bon moment, a d’abord poursuivi ses études de graphiste à Strasbourg avant de se diriger vers l’illustration sur le conseil de ses professeurs, qui lui reprochaient d’avoir une approche trop rétrograde. C’est à Paris, entourée d’amis, qu’elle s’est peu à peu retrouvée confrontée au monde de la BD – bien qu’elle ait aussi rédigé des contes pour enfants, une autre de ses passions. Quoiqu’elle soit régulièrement retournée à Téhéran pour y revoir ses parents, c’est en France qu’elle vit désormais.

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On pourrait croire que ce récit est un pamphlet politique alors qu’il est avant tout celui de la vie hors du commun d’une jeune fille native d’un monde chargé d’Histoire et s’apprêtant à connaître de profonds bouleversements sociaux, une fille élevée dans le dualisme entre un respect profond pour ses racines persanes et la volonté de s’ouvrir à des modes de pensée plus libertaires. Elle connaîtra comme tout un chacun son lot de bonheurs et de peines, mais au milieu du chaos de la révolution et de la guerre. Sa première désillusion en Autriche est poignante, la laissant errante dans les rues de Vienne : l’expérience était prématurée et si la vie en Occident a ce goût de bonbon acidulé, elle a aussi quelque chose d’amer et de désenchanté. Cependant, elle se rendra vite compte, de retour dans son pays natal, qu’elle est déjà une déracinée, qu’elle ne comprend pas plus les filles de son âge (qui s’amusent tout autant que les filles européennes mais en cachette des autorités et des parents) qu’elle ne comprenait la jeunesse autrichienne. La pesanteur du régime en place – qui fera fuir un à un les derniers amis de la famille – poussera alors sa mère à l’encourager à suivre son chemin hors d’Iran, dans l’attente d’un retour à des temps meilleurs.

C’est souvent amer et souvent drôle, toujours lucide et parfois poignant ; de nombreuses scènes, sous leur aspect léger ou tendre, donnent à réfléchir : on s’aperçoit très vite que nous ne savions pas grand chose de ce qui se passait là-bas. Un grand moment de lecture, qui trouve ci-dessous son apothéose au cinéma, puisque Persépolis est également un long-métrage d’animation, qui fut même projeté à Cannes.

2. Le film

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Persépolis est rien moins qu'une œuvre impressionnante qui tend à prouver aux Occidentaux qui ne le sauraient pas encore (autrement dit, plus de 98% d'entre nous) que l'animation, ce n'est pas que des animaux en 3D qui chantent, pètent et dansent.

Et dans le cas présent, c'est même ouvertement adulte. L'art et essai a ceci de bon qu'il tend beaucoup plus aisément à créer un pont entre la forme et le fond que le film de multiplexe moyen. Persépolis est ainsi autant un foisonnement d'idées que pictural. D'une douce intelligence, passant avec agilité du rire aux larmes, le film se pose en miracle d'adaptation en ne contentant pas de transposer à l'écran les cases de la BD (le DVD de Persépolis est à offrir d'urgence à Zack Snyder et Frank Miller) mais en fournissant les clés d'une interprétation toute personnelle et pleine de pudeur d'une vie adroitement romancée.

Le dynamisme du style, qui ferait passer 

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les horreurs de la dictature pour un parfait rebond initiatique, achève en quelques séquences la concurrence immédiate, qu'elle s'appelle Michel Ocelot ou Sylvain Chomet. Dans la même mouvance, il me tarde de voir Valse avec Bachir !

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Titre original

Persépolis

Réalisation 

Marjane Satrapi & Vincent Paronnaud

Date de sortie

27 juin 2007 avec Diaphana Films

Scénario 

Vincent Paronnaud & Marjane Satrapi d'après son oeuvre

Distribution

Les voix en VO de Sean Penn, Iggy Pop & Gena Rowlands - en VF de Catherine Deneuve, Danielle Darrieux & Chiara Mastroianni

Photographie

Musique

Olivier Bernet

Support & durée

DVD TF1 (2007) zone 2 en 1.85:1 / 95 min

Synopsis : Téhéran 1978 : Marjane, huit ans, songe à l'avenir et se rêve en prophète sauvant le monde. Choyée par des parents modernes et cultivés, particulièrement liée à sa grand-mère, elle suit avec exaltation les évènements qui vont mener à la révolution et provoquer la chute du régime du Chah. Avec l'instauration de la République islamique débute le temps des "commissaires de la révolution" qui contrôlent tenues et comportements. Marjane qui doit porter le voile, se rêve désormais en révolutionnaire. Bientôt, la guerre contre l'Irak entraîne bombardements, privations, et disparitions de proches. La répression intérieure devient chaque jour plus sévère.
Dans un contexte de plus en plus pénible, sa langue bien pendue et ses positions rebelles deviennent problématiques. Ses parents décident alors de l'envoyer en Autriche pour la protéger.
A Vienne, Marjane vit à quatorze ans sa deuxième révolution : l'adolescence, la liberté, les vertiges de l'amour mais aussi l'exil, la solitude et la différence.


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