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Salaam London de Tarquin Hall, le voyage intérieur

Publié le 14 mars 2015 par Romuald Le Peru @SwedishParrot

Ça commence comme une longue plainte et le livre s’ouvre tout doucement. Salaam London (Salaam Brick Lane en anglais, allez savoir pourquoi les éditeurs veulent toujours traduire les titres…) est un livre qui s’entend d’abord comme un livre de l’angoisse, de la difficulté de son auteur, Londonien de naissance, à retourner dans sa ville après avoir vécu quelques temps en Inde et surtout de s’y retrouver. Ce récit du retour douloureux, de l’attente dans laquelle le journaliste Tarquin Hall s’installe, dans l’espoir de faire venir la femme qu’il aime dans la mégapole est un récit qui avance à tâtons dans le brouillard de Brick Lane. Les loyers ont flambé lorsqu’il retourne chez lui et il n’y a que dans l’East End que l’auteur peut s’installer à nouveau sans trop s’excentrer et c’est à contre-cœur qu’il loue une mansarde miteuse à un Bangladais cyclothymique et alcoolique. C’est alors toute une palette de personnages et de lieux atypiques qu’on découvre sous sa plume ; le livre prend un tournure étrange puisqu’il devient le récit de voyage d’un Londonien dans sa propre ville, une ville dans la ville, un quartier tendu comme un élastique et pris dans ses problématiques de diversité culturelle : cockneys, skinheads, Bangladais, Juifs, Irlandais, Bengalis, rejetons de l’empire britannique en décomposition, tous se côtoient sans pour autant se mélanger, dans la droite ligne du grand récit d’investigation de Jack London, Le peuple d’en-bas et sur fond de réhabilitation du tristement célèbre quartier de Whitechapel. En dépit des amitiés improbables que Tarquin Hall noue dans le quartier, il cherche tout de même à en sortir, même s’il y découvre une vie insoupçonnée. C’est à mon sens un beau récit, tendre et sans concession, un récit qui prend aux tripes parce qu’on y ressent toute l’affection qui s’empare de lui pour ce quartier en déshérence mais tout de même victime de l’inévitable gentrification, ces dents creuses, mais aussi le rejet compréhensible qui le pousse à en sortir. C’est le récit de l’étrangèreté, du déracinement de soi chez soi, de la condition de l’étranger de l’intérieur, un récit qui fait écho à la condition nomade, à la déconstruction perpétuelle de soi dans l’absence de repérage et de volonté de rester. Toute l’essence de ce récit de l’ombre tient en ces quelques phrases de l’auteur :

Je pus jeter ici un bref coup d’oeil sur les parquets luisants et les murs de brique nus des lofts rénovés. Mais on voyait surtout des maisons mitoyennes délabrées datant du règne de la reine Victoria, par les fenêtres noircies desquelles on apercevait des cuisines minuscules. Dans des centaines d’immeubles minables, des immigrants comme le Grand Sasa et Mrs Abdul-Haq préparaient leur dîner en rêvant d’avoir une maison à eux et en s’efforçant de tirer le meilleur parti d’une vie misérable. Même au XXIè siècle, l’East End montrait peu de signes de changement et contraignait des gens de cultures radicalement différentes à vivre côte à côte et à s’adapter les uns aux autres.
« Entrez affamé, sortez branché », proclamait un panneau que j’avais repéré ce matin-là à Brick Lane, sur la vitrine d’un nouveau café à la mode. Mieux que tout le reste, ce slogan paraissait résumer l’expérience que faisaient les immigrants de l’East End — et que j’avais faite aussi.
Brick Lane m’avait forcé à m’accommoder d’un Londres que je n’avais jamais connu et m’avait aidé à comprendre que Barnes n’était plus pour moi. Je me sentais à présent plus en accord avec mon environnement que je ne l’avais été lorsque je vivais en étranger immergé dans d’autres cultures. Et pour cela, je ressentais une immense gratitude. Mais au moment où le train passait devant les immeubles rutilants de Canary Wharf et entrait dans un bruit de ferraille en gare de Liverpool Street, je me demandais si je me sentirais de nouveau tout à fait chez moi à Londres, si je serais encore capable de vivre détendu , d’assumer confortablement mon statut d’Anglais.
Peut-être resterais-je toujours un peu étranger ? Peut-être n’était-ce pas le pire statut qui soit ?

Tarquin Hall, Salaam London
Folio collection Voyages
Gallimard 2007

Photo d’en-tête © Richer Fischer (Morning in Whitechapel)


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