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Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…

Publié le 14 mars 2015 par Chatquilouche @chatquilouche

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 Il s’endort en pensant à ce qu’il va écrire.  La vie d’un auteur peut se résumer ainsi : penser à ce qu’il va coucher sur la page, y repenser, savoir ce qu’il effacera, gardera, améliorera – la première action sera la plus fréquente, l’effacement comme pure création.  La vie, la vraie, la solide, la réelle, ne se tient qu’en marge de cela, sorte de palimpseste discret quoique nécessaire.  L’auteur vit, parle, se lie aux autres, mais s’agitent toujours sur l’écran lumineux de cette pantomime agréable quelques ombres chinoises : les mots à venir, le personnage latent, la drôle de réalité à créer.  L’écriture a ceci de particulier que le gros de son acte créatif se fait hors de l’action propre.  On n’écrit jamais tant que lorsqu’on n’écrit pas.

Sous la douche, en marchant, en rêvant, on écrit.  Et la confrontation à la page blanche n’est qu’une formalité qu’on se contraint à accomplir, sinon tout reste dans la tête et on ne lit pas encore très clairement dans les cerveaux.

Il y a toujours des reliquats, des romans inachevés, des personnages orphelins, qui errent au cœur des dossiers sur l’ordinateur, qui vacillent entre les lignes et attendent désespérément qu’on vienne gracieusement continuer leur existence, les remplir de mots comme on remplit de plumes certains édredons douillets, ou de paille les animaux morts.

Ils attendent.  En silence.  Ils ne pleurent pas.  Ils sont seulement bloqués, à l’arrêt, leur action suspendue au fil du bon vouloir de l’auteur, ne lui en veulent même pas.  L’auteur y pense parfois.  En s’endormant, il les voit sur la page qui attend depuis des mois, qui dépassée dans la course à la vie par un autre roman en cours. Il y pense, se dit que, tout de même, ce mec mériterait bien de continuer son histoire.  Puis le sommeil se pose sur l’esprit, le couvre de toutes ces rêveries inconscientes, chamarrées, divertissantes.  Le lendemain, le personnage est oublié, on se consacre aux autres, ceux qui en toute subjectivité méritent qu’on les écrive.

Certains esprits à l’imagination fertile pensent que ces personnages délaissés s’adonnent à quelque fantaisie, entre les lignes, dans le blanc de la page, continuent l’action sans le démiurge et, si jamais il prend l’envie à l’auteur de les reprendre, de continuer ce roman là, les personnages rapidement reviennent en arrière, se figent de nouveau là où on les avait laissés.  Un, deux, trois soleils !

L’auteur, parfois, en retournant vers un de ces textes en suspens après une longue période d’absence ou d’abstinence, sera surpris, ne se souviendra plus d’avoir écrit ces dernières lignes.  Il se dira alors que sa mémoire lui joue des tours, relira depuis le début, se familiarisera de nouveau avec sa création et se persuadera que, oui, tout de même, c’est bien lui qui avait fait naître ces lignes.  L’oubli ne s’apparente pas à une inexistence des choses.

Il ne faudrait pas croire que les livres s’écrivent tout seuls, dans le silence lourd des machines éteintes.

Attablé dans un café.  Seule compagnie : la machine – ou le carnet.  Contexte ambiant : vague brouhaha de personnes qui parlent, boivent des cafés ou des jus, brouhaha feutré cependant, car ici on sait être discret, à moins que ce ne soit l’auteur qui, par la force ahurissante et dérisoire de son esprit, parvient à créer la fameuse bulle qui atténue les bruits – sorte de boule Quies géante délicatement introduite dans l’oreille du monde.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge 

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Déclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.  Récemment, elle a publié Débandade(roman) aux Éditions Philippe Rey.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)


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