La représentation de la Première Guerre mondiale par les graveurs, dont beaucoup avaient connu le front, emprunte essentiellement au registre de l’épouvante. Boucherie des tranchées et des bombardements, ruines, victimes civiles, gueules cassées se multiplient, tant chez les artistes français que chez leurs confrères Allemands, réunis dans une forme de fraternité de l’horreur. Il n’est qu’à voir les planches expressionnistes d’Otto Dix (Der Krieg, 1924), les bois de Vallotton aux larges aplats noirs (C’est la guerre, 1915) ou les personnages fantomatiques des eaux-fortes d’Henry de Groux (Le Visage de la victoire, 1916) pour s’en convaincre.
Fernand Léger, dans une série de dessins cubisants, avait préféré montrer des aspects plus quotidiens et moins violents de la guerre (Soldats jouant aux cartes, Soldats au repos, 1916, Centre Pompidou). C’est aussi cette vision que Jean-Emile Laboureur (1877-1943) choisit de développer, comme le met en lumière l’intéressante exposition « Jean-Emile Laboureur, Images de la Grande Guerre », qui se tient à Nantes, au Château des Ducs de Bretagne, jusqu’au 26 avril 2015, à travers une centaine d’œuvres, d’objets et de documents.

Les collectionneurs de livres illustrés de la première moitié du XXe siècle apprécient cet artiste au graphisme immédiatement identifiable, tant il réalisa de gravures et de frontispices pour des auteurs aussi divers que Pétrone (traduit par Laurent Tailhade), André Billy, Colette, Giraudoux, Romain Rolland et bien d’autres. Pour le grand public, en revanche, cet ami de Raoul Dufy, de Marcel Gromaire et de Marie Laurencin, en qui Guillaume Apollinaire voyait « l’artiste le plus pénétrant de la guerre », reste peu connu. L’exposition de Nantes permet de l’aborder, à travers des textes pédagogiques bien pensés. On y croise quelques toiles, notamment Le Café du Commerce (1913), belle œuvre d’inspiration cubiste, quelques gravures sur bois dont on retrouve les matrices sous vitrine, et des eaux-fortes antérieures au conflit.
Mais c’est bien sûr la Grande Guerre qui occupe le plus large espace, avec, en début de parcours, des documents militaires relatifs aux fonctions qu’occupa le soldat Laboureur, interprète auprès des armées britanniques sur le front des Flandres, puis américaines à Saint-Nazaire, des objets et surtout des gravures.
Au front, la technique de l’artiste évolue par nécessité ; il travaille au burin, parfois, comme il l’explique dans une lettre, sur des plaques de cuivre prélevées sur les douilles des obus qui constituent une matière première abondante et d’un accès facile. Aucune scène de tranchée ni de combat ne sont traitées ; l’unique référence figure dans Les Ravages des obus qui montre un enfant, la tête pansée, dans les bras d’un infirmier militaire.
Dès 1916, l’accent est donc mis sur la vie quotidienne (L’Arrivée au cantonnement accompagnée de son dessin préparatoire), les divertissements des soldats au repos (Le Petit marchand au front), voire des scènes galantes (La marchande de volailles, la série Les Amants). En 1917, les mêmes thèmes se déplacent à Saint-Nazaire, avec des représentations de matelots français et américains, des soldats attablés dans des cafés ou se distrayant à la fête foraine, au bal.

