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Ethique : le cas que je ne présenterai pas samedi à mes amis

Par Plumesolidaire
colporteur de bijoux

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Elle s’appelle Aminata, elle est congolaise, et pour préserver la confidentialité de notre entretien je l’appellerai  Armande, qui est le prénom d’une cousine par alliance de ma grand-mère remariée en secondes noces avec un rétameur reconverti à temps partiel en colporteur de souvenirs de Lourdes, d’images d’Epinal et de santons de Provence sur le chemin de Compostelle; et mort au champ d’honneur avec la Croix de Guerre.

Armande est arrivée par une voie clandestine auréolée de mystère dans notre beau pays en 2013. Seule elle était. Pas longtemps. Un  premier enfant naquit d’une union inter africaine qui dura ce qu’elle dura, puis un second d’une deuxième rencontre du même type dont j’ignore également tout des circonstances qui ne regardent pas l’écrivain, qui se doit de rester neutre et bienveillant en toutes circonstances.

Hébergée à grands frais par la Princesse SAMU, elle migre de jours en jours et de semaine en semaine avec ses bambins d’hôtel en hôtel et de commune en commune de la région parisienne. Elle ne sait ni lire, ni écrire, ne possède aucune qualification professionnelle et ne travaille pas. Avec deux enfants en bas âge et ne sachant sous quel toit elle pourra les faire dormir demain, on l’imagine mal les laisser de jour pour aller vider les corbeilles et briquer les bureaux d’une entreprise dans une zone d’activité perdue en banlieue.

Armande n’est pas contente de son sort; elle est tendue, agressive, peu loquace. Je la comprends, ce qui ne la rend pas plus affable pour autant. Je subsume qu’elle a dû confier sa progéniture à une nouvelle voisine, une compatriote de rencontre, ou une garderie dont l’heure de fermeture approche au fil des minutes qui passent à attendre d’être reçue ; que ça l’inquiète, et qu’elle est pressée de la rejoindre.

Elle a le mérite d’être directe et déterminée, mais elle reste manifestement sur ses gardes. « Qui t’es toi l’écrivain public avec ton sourire enjôleur, et qui prétend m’aider ? », semble-t-elle me dire.

Après deux ans d’errance, elle est venue me faire remplir une première demande de logement social, et c’est dans le cadre des renseignements à recenser pour ce formulaire plein d’espérance magique que j’apprendrai le peu que je sais sur elle, et que j’ai déjà ici présenté.

Au passage je  me demande à quoi servent les services sociaux présumés l’accompagner, pour qu’elle entreprenne cette démarche seulement maintenant.

Pour commencer mon job, elle me tend un Titre de séjour dont la photo est bien celle d’une femme; qui ne lui ressemble pas, et aurait plutôt l’âge d’une copine de sa mère. Mais chacun sait que le nomadisme de la précarité rajeunit, fait perdre du poids, et vous change les traits d’un visage. Les pauvres sont toujours maigres quand ils ne mangent pas chez Mac Do.

A la rubrique : où souhaite-je m’installer ? Elle me demande d’écrire « Paris, que Paris, rien que Paris ». Elle refuse toute idée d’élargir son champ de recherche de logement et d’habiter ailleurs qu’au centre du monde.

Je blêmis en calculant son taux de chance de se voir inviter à visiter un beau logement social rénové, même dans nos quartiers populaires pleins de diversités.

En pareille situation, je suis sujet à un sentiment envahissant et incontrôlable de compassion. Mon devoir solidaire vibrionnant m’oblige à l’action, à guider les pas de cette ingénue qui ignore tout des violences de la modernité au pays de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789.

Paternaliste comme jamais, je tente toujours une sortie du bois.

C’est que j’ai un argumentaire tout prêt pour éveiller les consciences peu averties de la situation du logement social à Paris, avec des images très parlantes. Genre : « imaginez Madame qu’il y aurait un jour une pénurie de carburant dans la capitale. Il y aurait de l’essence que pour 10 000 véhicules, mais les autorités auraient décidé que 100 000 chauffeurs sont prioritaires : pompiers, médecins, ambulances, pompes funèbres, transports publics, responsables politiques, policiers et militaires à déposer et à relever pour assurer la sécurité des synagogues; en incluant l’effet redoutable des lobbys des taxis et des sociétés de livraison de biens de consommation alimentaires. Il y aurait donc 90 000 conducteurs déclarés "prioritaires en urgence" à l’accès aux pompes en attente de carburant. Nonobstant le million de propriétaires de véhicules particuliers contraints d’y recourir pour se rendre à leur travail. Ce, tout simplement parce qu’on peut pas donner plus que ce qu’on a, même si plus de monde y a droit. Quand la demande est supérieure à l'offre cela s'appelle la pénurie. » (1)

Sans attendre, c’est là que je leur dis : « Hé oui ! Le logement social c’est pareil. Il y a des logements vides près de chez vous c’est vrai, mais ils ne sont pas pour vous. Il y en pour des fonctionnaires de l’Etat, pour les entreprises, pour le 1% patronal, et les bailleurs sociaux eux-mêmes…Paris, c’est pas Montréal ou les villes américaine qui s’étendent à n’en plus finir dans la verte prairie. Paris c’est à l’intérieur de l’enceinte de Monsieur Thiers qu’on a démolie pour la rebaptiser Boulevards des Maréchaux ; et derrière le périf c'et plus Paris… »

A partir de « enceinte de Monsieur Thiers », je sais que je dois rester vigilant car il est probable que l’attention de mon interlocutrice se relâche. Mes sens sont en éveil car je me doute qu’elle se demande bien ce que vient faire cette femme enceinte de Monsieur Thiers, et dont de toute façon elle n’a rien à faire puisque me dit-elle, sa voisine du dessous qui a moins d’enfants qu’elle et qui travaille pas, et qui vient d'un pays d'Afrique plus au sud que le sien, a obtenu un logement tout neuf avant elle, qui travaille et doit prendre le métro à 6heures; et c’est bien la preuve qu’il y a des logements à donner à Paris.

J’en étais sûr, c’était écrit dans le marc de café. Je me rengorge, du calme petit me dis-je, concentration, vide, plein d’énergie positive et hop on retourne au charbon.

Si à « enceinte » et ce qui s’en suit ça suit toujours en face, je considère que mon bénévolat a porté son fruit. Elle serait sur le point d’accepter de sortir de Paris pour au moins aller visiter les logements qu’on lui proposera : aller voir d’abord, décider après que je clame toujours ; même s’il y a la queue pour visiter.

Si ça résiste, je change de registre, je passe à l’étape suivante, et je charge ventre à terre et sabre au clair: « Quoi, vous parents irresponsables vous ne voyez que votre plaisir personnel sans penser à vos enfants ! Savez-vous combien de familles, qui ont obtenu une décision de logement "prioritaire et urgent" de la commission de médiation départementale, après le ou les jugements du Tribunal Administratif qui confirment leurs droits, attendent encore d’être relogées depuis 7 ans que la loi DALO est appliquée ? 55% Madame !.

Quel âge il a votre enfant là ? (guili, guili sous le menton)…7 ans déjà ! Et bien si vous ne cherchez pas de logement en dehors de Paris, je vous jure qu’il  a plus que la moitié de chances de faire ses devoirs scolaires assis sur la lunette des WC jusqu’ à la fin de sa 5ème au collège. S’il arrive jusque-là Madame ! C’est ça que vous voulez ? »

Dans mon imagination, parfois, la mère s’effondre en larmes, et le père s’il est présent, lui intime l’ordre de se calmer. Si non c’est moi qui fait le père.

Après je transforme l’essai et j’enfonce mon clou tout rouillé : « Vous dépendez de la Préfecture de Paris qui ne gère que le quart des logements sociaux Madame. Si c’était la Mairie ce serait un peu plus du tiers, pas plus. Et sachez bien une chose : c’est qu’il y a moins de 9% des ménages qui ont obtenu un logement en 2013 sur les 134 375 ménages qui ont déposé ou renouvelé en 2013 une demande de logement social à Paris ! »

Et je conclus joyeux par un « Je vais vous parler pour finir d’un cas que je connais bien Madame : le mien. Je suis né à Paris et j’y ai vécu ma première année à côté de chez Montand et Signoret auxquels je n’ai pas été présenté, ce qui aurait changé le cours de ma destinée. Mes parents sont allés chercher fortune plus loin dans la forêt de Montmorency où j’ai vécu une enfance idyllique et suivi une scolarité aléatoire qui m’a néanmoins conduit vers les études supérieures.

Puis nous avons émigré en Bretagne loin de tout, et près de la mer et de son iode; puis j’ai pris mon envol dans la grande montgolfière de la vie, et ce n’est que sur le tard, ma fortune faite que je me suis rapproché avec ma douce épouse de Paris. Par étape Madame, comme pour ne pas déranger la capitale, à pas comptés. D’abord en lointaine banlieue, la pire qui fut à l’époque, pour venir finir mes jours ici près de vous, dans ce bureau, comme le saumon remontant vers la source de la rivière où ses géniteurs frayèrent.

Mais oui, Madame, Paris c’est pour les riches.  Tout y est plus cher, et pour le prix de la location d’un studio vous aurez un cinq pièces en province avec balcon et l’ascenseur qui monte et qui descend sans l’odeur du pipi.

Faîtes comme moi, partez loin et vous serez comblée ; Paris n’est pas faîte pour les enfants : pas d’horizon, pas d'espace pour jouer, pas d’air sain, pas d’herbe et pas d’animaux à l’exception du Salon de l’Agriculture quelques jours par an.

J’ai plein d’amis qui vivent en banlieue, et ma famille vit à la campagne, et je vous jure qu’ils sont pas malheureux à voir leur mine bronzée, réjouie et détendue quand ils montent nous voir. Et leur joie de rentrer chez eux.

Allez Madame fais-moi plaisir s’il te plait, déménage en banlieue ou en province. N’écoute pas les gens qui disent que les riches veulent chasser les pauvres de Paris. On s’en tape. Regarde ton intérêt à toi au-delà du bout de ton nez, plus loin que ton quartier et de ta supérette du coin.

Fais-le pour tes mômes. Car ton avenir c’est pas les ménages et les gardes d’enfants à temps partiels qui te l’assureront.

Ton avenir commence avec les conditions dans lesquelles vivent tes enfants aujourd’hui, et le minimum de confort qui leur est dignement nécessaire pour réussir leur scolarité.

Face à son mutisme sec, c’est tout ça que je n’ai pas dit à Armande.

J’ai eu juste la force de susurrer « c’est très difficile d’obtenir un logement social à Paris, Madame ».

Cela ne lui a fait ni chaud, ni froid. J'ai fais ce qu'elle m'a demandé.

Certains se défaussent en se donnant bonne conscience en arguant que l’on ne fait pas le bonheur des gens malgré eux.

J’en suis bien d’accord, mais j’enrage quand ce sont les gens qui s’obstinent à rester dans leur malheur en faisant celui des autres.

Elle part, je descends faire une pause tabac à rouler dans la rue.

Sur le trottoir je la regarde s'éloiger; j'observe  qu'elle claudique légèrement.

Déjà toute cassée Armande, si jeune.

Et je me dis à ce moment là que...'"avec ma p'tite chanson j'avais  l'air d'un con ma mère, avec ma p'tite chanson j'avais l'air d'un con." *

Ni les chiffres, ni le désir de transmettre l’expérience de la vie à autrui ne font rien contre l’aveuglement de la réalité immédiate; et l’illusion de la liberté individuelle quand elle se fonde sur l’expression absolue de la volonté et l’ignorance.

Plume Solidaire

* Marinette - Georges Brassens

 (1) - Dans ma fiction les gens répondent habituellement avec ces arguments : «  Voyez ils prétendent qu’il n’y pas de carburant, mais les stations service sont ouvertes et elles distribuent de l’essence, c’est la preuve qu’ils ne veulent pas nous en donner ! Et pourquoi mon voisin qui travaille à l’hôpital il en a et pas moi alors que j’ai une famille à nourrir, et que lui il vit seul avec sa PlayStation en fumant ses Saucisses que je sens l’odeur de sa fumée jusque dans mon salon ».

colporteur de bijoux

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Elle s’appelle Aminata, elle est congolaise, et pour préserver la confidentialité de notre entretien je l’appellerai  Armande, qui est le prénom d’une cousine par alliance de ma grand-mère remariée en secondes noces avec un rétameur reconverti à temps partiel en colporteur de souvenirs de Lourdes, d’images d’Epinal et de santons de Provence sur le chemin de Compostelle; et mort au champ d’honneur avec la Croix de Guerre.

Armande est arrivée par une voie clandestine auréolée de mystère dans notre beau pays en 2013. Seule elle était. Pas longtemps. Un  premier enfant naquit d’une union inter africaine qui dura ce qu’elle dura, puis un second d’une deuxième rencontre du même type dont j’ignore également tout des circonstances qui ne regardent pas l’écrivain, qui se doit de rester neutre et bienveillant en toutes circonstances.

Hébergée à grands frais par la Princesse SAMU, elle migre de jours en jours et de semaine en semaine avec ses bambins d’hôtel en hôtel et de commune en commune de la région parisienne. Elle ne sait ni lire, ni écrire, ne possède aucune qualification professionnelle et ne travaille pas. Avec deux enfants en bas âge et ne sachant sous quel toit elle pourra les faire dormir demain, on l’imagine mal les laisser de jour pour aller vider les corbeilles et briquer les bureaux d’une entreprise dans une zone d’activité perdue en banlieue.

Armande n’est pas contente de son sort; elle est tendue, agressive, peu loquace. Je la comprends, ce qui ne la rend pas plus affable pour autant. Je subsume qu’elle a dû confier sa progéniture à une nouvelle voisine, une compatriote de rencontre, ou une garderie dont l’heure de fermeture approche au fil des minutes qui passent à attendre d’être reçue ; que ça l’inquiète, et qu’elle est pressée de la rejoindre.

Elle a le mérite d’être directe et déterminée, mais elle reste manifestement sur ses gardes. « Qui t’es toi l’écrivain public avec ton sourire enjôleur, et qui prétend m’aider ? », semble-t-elle me dire.

Après deux ans d’errance, elle est venue me faire remplir une première demande de logement social, et c’est dans le cadre des renseignements à recenser pour ce formulaire plein d’espérance magique que j’apprendrai le peu que je sais sur elle, et que j’ai déjà ici présenté.

Au passage je  me demande à quoi servent les services sociaux présumés l’accompagner, pour qu’elle entreprenne cette démarche seulement maintenant.

Pour commencer mon job, elle me tend un Titre de séjour dont la photo est bien celle d’une femme; qui ne lui ressemble pas, et aurait plutôt l’âge d’une copine de sa mère. Mais chacun sait que le nomadisme de la précarité rajeunit, fait perdre du poids, et vous change les traits d’un visage. Les pauvres sont toujours maigres quand ils ne mangent pas chez Mac Do.

A la rubrique : où souhaite-je m’installer ? Elle me demande d’écrire « Paris, que Paris, rien que Paris ». Elle refuse toute idée d’élargir son champ de recherche de logement et d’habiter ailleurs qu’au centre du monde.

Je blêmis en calculant son taux de chance de se voir inviter à visiter un beau logement social rénové, même dans nos quartiers populaires pleins de diversités.

En pareille situation, je suis sujet à un sentiment envahissant et incontrôlable de compassion. Mon devoir solidaire vibrionnant m’oblige à l’action, à guider les pas de cette ingénue qui ignore tout des violences de la modernité au pays de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789.

Paternaliste comme jamais, je tente toujours une sortie du bois.

C’est que j’ai un argumentaire tout prêt pour éveiller les consciences peu averties de la situation du logement social à Paris, avec des images très parlantes. Genre : « imaginez Madame qu’il y aurait un jour une pénurie de carburant dans la capitale. Il y aurait de l’essence que pour 10 000 véhicules, mais les autorités auraient décidé que 100 000 chauffeurs sont prioritaires : pompiers, médecins, ambulances, pompes funèbres, transports publics, responsables politiques, policiers et militaires à déposer et à relever pour assurer la sécurité des synagogues; en incluant l’effet redoutable des lobbys des taxis et des sociétés de livraison de biens de consommation alimentaires. Il y aurait donc 90 000 conducteurs déclarés "prioritaires en urgence" à l’accès aux pompes en attente de carburant. Nonobstant le million de propriétaires de véhicules particuliers contraints d’y recourir pour se rendre à leur travail. Ce, tout simplement parce qu’on peut pas donner plus que ce qu’on a, même si plus de monde y a droit. Quand la demande est supérieure à l'offre cela s'appelle la pénurie. » (1)

Sans attendre, c’est là que je leur dis : « Hé oui ! Le logement social c’est pareil. Il y a des logements vides près de chez vous c’est vrai, mais ils ne sont pas pour vous. Il y en pour des fonctionnaires de l’Etat, pour les entreprises, pour le 1% patronal, et les bailleurs sociaux eux-mêmes…Paris, c’est pas Montréal ou les villes américaine qui s’étendent à n’en plus finir dans la verte prairie. Paris c’est à l’intérieur de l’enceinte de Monsieur Thiers qu’on a démolie pour la rebaptiser Boulevards des Maréchaux ; et derrière le périf c'et plus Paris… »

A partir de « enceinte de Monsieur Thiers », je sais que je dois rester vigilant car il est probable que l’attention de mon interlocutrice se relâche. Mes sens sont en éveil car je me doute qu’elle se demande bien ce que vient faire cette femme enceinte de Monsieur Thiers, et dont de toute façon elle n’a rien à faire puisque me dit-elle, sa voisine du dessous qui a moins d’enfants qu’elle et qui travaille pas, et qui vient d'un pays d'Afrique plus au sud que le sien, a obtenu un logement tout neuf avant elle, qui travaille et doit prendre le métro à 6heures; et c’est bien la preuve qu’il y a des logements à donner à Paris.

J’en étais sûr, c’était écrit dans le marc de café. Je me rengorge, du calme petit me dis-je, concentration, vide, plein d’énergie positive et hop on retourne au charbon.

Si à « enceinte » et ce qui s’en suit ça suit toujours en face, je considère que mon bénévolat a porté son fruit. Elle serait sur le point d’accepter de sortir de Paris pour au moins aller visiter les logements qu’on lui proposera : aller voir d’abord, décider après que je clame toujours ; même s’il y a la queue pour visiter.

Si ça résiste, je change de registre, je passe à l’étape suivante, et je charge ventre à terre et sabre au clair: « Quoi, vous parents irresponsables vous ne voyez que votre plaisir personnel sans penser à vos enfants ! Savez-vous combien de familles, qui ont obtenu une décision de logement "prioritaire et urgent" de la commission de médiation départementale, après le ou les jugements du Tribunal Administratif qui confirment leurs droits, attendent encore d’être relogées depuis 7 ans que la loi DALO est appliquée ? 55% Madame !.

Quel âge il a votre enfant là ? (guili, guili sous le menton)…7 ans déjà ! Et bien si vous ne cherchez pas de logement en dehors de Paris, je vous jure qu’il  a plus que la moitié de chances de faire ses devoirs scolaires assis sur la lunette des WC jusqu’ à la fin de sa 5ème au collège. S’il arrive jusque-là Madame ! C’est ça que vous voulez ? »

Dans mon imagination, parfois, la mère s’effondre en larmes, et le père s’il est présent, lui intime l’ordre de se calmer. Si non c’est moi qui fait le père.

Après je transforme l’essai et j’enfonce mon clou tout rouillé : « Vous dépendez de la Préfecture de Paris qui ne gère que le quart des logements sociaux Madame. Si c’était la Mairie ce serait un peu plus du tiers, pas plus. Et sachez bien une chose : c’est qu’il y a moins de 9% des ménages qui ont obtenu un logement en 2013 sur les 134 375 ménages qui ont déposé ou renouvelé en 2013 une demande de logement social à Paris ! »

Et je conclus joyeux par un « Je vais vous parler pour finir d’un cas que je connais bien Madame : le mien. Je suis né à Paris et j’y ai vécu ma première année à côté de chez Montand et Signoret auxquels je n’ai pas été présenté, ce qui aurait changé le cours de ma destinée. Mes parents sont allés chercher fortune plus loin dans la forêt de Montmorency où j’ai vécu une enfance idyllique et suivi une scolarité aléatoire qui m’a néanmoins conduit vers les études supérieures.

Puis nous avons émigré en Bretagne loin de tout, et près de la mer et de son iode; puis j’ai pris mon envol dans la grande montgolfière de la vie, et ce n’est que sur le tard, ma fortune faite que je me suis rapproché avec ma douce épouse de Paris. Par étape Madame, comme pour ne pas déranger la capitale, à pas comptés. D’abord en lointaine banlieue, la pire qui fut à l’époque, pour venir finir mes jours ici près de vous, dans ce bureau, comme le saumon remontant vers la source de la rivière où ses géniteurs frayèrent.

Mais oui, Madame, Paris c’est pour les riches.  Tout y est plus cher, et pour le prix de la location d’un studio vous aurez un cinq pièces en province avec balcon et l’ascenseur qui monte et qui descend sans l’odeur du pipi.

Faîtes comme moi, partez loin et vous serez comblée ; Paris n’est pas faîte pour les enfants : pas d’horizon, pas d'espace pour jouer, pas d’air sain, pas d’herbe et pas d’animaux à l’exception du Salon de l’Agriculture quelques jours par an.

J’ai plein d’amis qui vivent en banlieue, et ma famille vit à la campagne, et je vous jure qu’ils sont pas malheureux à voir leur mine bronzée, réjouie et détendue quand ils montent nous voir. Et leur joie de rentrer chez eux.

Allez Madame fais-moi plaisir s’il te plait, déménage en banlieue ou en province. N’écoute pas les gens qui disent que les riches veulent chasser les pauvres de Paris. On s’en tape. Regarde ton intérêt à toi au-delà du bout de ton nez, plus loin que ton quartier et de ta supérette du coin.

Fais-le pour tes mômes. Car ton avenir c’est pas les ménages et les gardes d’enfants à temps partiels qui te l’assureront.

Ton avenir commence avec les conditions dans lesquelles vivent tes enfants aujourd’hui, et le minimum de confort qui leur est dignement nécessaire pour réussir leur scolarité.

Face à son mutisme sec, c’est tout ça que je n’ai pas dit à Armande.

J’ai eu juste la force de susurrer « c’est très difficile d’obtenir un logement social à Paris, Madame ».

Cela ne lui a fait ni chaud, ni froid. J'ai fais ce qu'elle m'a demandé.

Certains se défaussent en se donnant bonne conscience en arguant que l’on ne fait pas le bonheur des gens malgré eux.

J’en suis bien d’accord, mais j’enrage quand ce sont les gens qui s’obstinent à rester dans leur malheur en faisant celui des autres.

Elle part, je descends faire une pause tabac à rouler dans la rue.

Sur le trottoir je la regarde s'éloiger; j'observe  qu'elle claudique légèrement.

Déjà toute cassée Armande, si jeune.

Et je me dis à ce moment là que...'"avec ma p'tite chanson j'avais  l'air d'un con ma mère, avec ma p'tite chanson j'avais l'air d'un con." *

Ni les chiffres, ni le désir de transmettre l’expérience de la vie à autrui ne font rien contre l’aveuglement de la réalité immédiate; et l’illusion de la liberté individuelle quand elle se fonde sur l’expression absolue de la volonté et l’ignorance.

Plume Solidaire

* Marinette - Georges Brassens

 (1) - Dans ma fiction les gens répondent habituellement avec ces arguments : «  Voyez ils prétendent qu’il n’y pas de carburant, mais les stations service sont ouvertes et elles distribuent de l’essence, c’est la preuve qu’ils ne veulent pas nous en donner ! Et pourquoi mon voisin qui travaille à l’hôpital il en a et pas moi alors que j’ai une famille à nourrir, et que lui il vit seul avec sa PlayStation en fumant ses Saucisses que je sens l’odeur de sa fumée jusque dans mon salon ».


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