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du fn au "prendre-part" (my 2 cents)

Publié le 24 mars 2015 par Aymeric

Ces derniers temps, les soirées électorales, en plus d'être le théâtre de revendications multiples de victoires et d'étranges exercices de lectures contradictoires dans le marc des urnes, est devenu un lieu d'affrontements et de déplorations mêlées.
Le jeu étant maintenant de se jeter mutuellement au visage la responsabilité de la montée du Front National quand les membre du parti en question préfèrent mettre tous les autres en cause pour expliquer sa montée en puissance plutôt que de s'en attribuer le seul mérite.

Parmi les hypothèses en forme d'accusations qui sont jetées à cette occasion, il y a celle dite du machiavélisme mitterrandien, qui attribue aux seules, ou quasi, manigances de l'ancien président, la création, puis l'importance prise par le parti frontiste suite à sa mise en lumière et en avantage, dans le seul but de créer troubles et divisions au sein de la droite traditionnelle. Les socialistes auraient à sa suite usé et abusé de ce stratagème jusqu'à ce jour d'avril 2002 où la créature se retourne contre son maître.

Loin de moi l'idée de sous-estimer l'intelligence tactique et l'influence de celui qui fut notre président, mais s'il doit porter sur ses seules défuntes épaules l'irrésistible progression de la droite populiste, l'ampleur européenne du phénomène impliquerait qu'il eut été doté de super pouvoirs.


Si on part du principe, après tout à peu près validé, que le vote FN (et ses équivalents européens) se justifie, chez ceux qui le pratiquent, par l'expérience ou la peur du déclassement, ainsi qu'un sentiment d'abandon et de mépris culturel, les leviers pour contrebalancer ces tendances sont difficilement accessibles, peu maniables et assez incertains dans leurs résultats.

Le renversement des plus lourdes conditions à l'origine de la montée des inégalités (des plus massives comme le progrès technologique biaisé ou la baisse de la demande de travailleurs non qualifiés, à de plus anecdotiques comme la taille des entreprises), la reconfiguration des sociologies des classes populaires et des zones défavorisées, jusqu'au retour de la croissance qui a tout de l'Arlésienne, tout cela dépend de tant de facteurs aléatoires (coopérations internationales, unanimités politiques fortes, moyens alloués) que trop miser dessus n'est sans doute pas le meilleur calcul.
De plus, même dans le cas d'un alignement favorable des planètes, le temps séparant la mise en œuvre des premiers résultats sera suffisamment long pour que ressentiments et craintes continuent d'augmenter même en s'assurant – tâche davantage dans nos moyens – de la solidité du filet de sécurité.

Ce n'est certes pas une raison pour ne pas s'y atteler, bien au contraire, mais il faut aussi être conscient que d'aussi vastes mouvements ne s'inversent pas en un jour, de même qu'il n'existe pas de freins assez puissants pour faire piler un paquebot.

En attendant quels peuvent être les facteurs sur lesquels il est plus aisé d'agir rapidement ?

Dans une récente contribution aux États généraux du Parti Socialiste, Michel Rocard lançait parmi les pistes possibles une rénovation du militantisme. J'ai pour ma part déjà un (tout petit) peu évoqué le sujet qui me semble également un axe stratégique à développer car, bien qu'en abordant le problème un peu trop à la marge, s'approche d'un des enjeux possibles du problème : le rapport à la participation.

Les faits massifs, constatés à l'échelle européenne depuis les années 70, sont le déclin des grands partis de gouvernement, la baisse de la participation, et l’augmentation de la volatilité électorale (soit le fait que les électeurs votent de manière différente d’une élection à l’autre). 

Selon l'hypothèse de Murielle Bègue, les catégories les plus touchées par les difficultés, ces catégories populaires que ne soutient plus le collectif quasi disparu de la culture ouvrière, sont prises entre l'apathie et le mécontentement.

« Sur le fond, l’apathie comme le mécontentement manifestent une faible prise en compte du principe de totalité : l’expérience individuelle est la principale pour ne pas dire l’unique référence des individus qui se rapprochent de ces types-idéaux ; elle n’est pas rapportée à des informations théoriques ou pratiques extérieures à cette expérience vécue, ni mise en perspective dans une optique de solidarité catégorielle ou de communauté de destin. »

La défiance à l'égard des partis de gouvernement serait donc quelque chose comme une défiance à l'égard des processus de décision et de ceux qui y participent, les voyant comme quelque chose de lointain, d'incompréhensible et dont on est victime.

Peut-être alors pouvons-nous imaginer une manière de raccommoder les preneurs de décisions et ceux qui s'en sentent victimes, et d'atténuer quelque peu la double impasse de l'auge à démagogie d'une part et de l'autisme technocratique d'autre part.
Pourquoi ne pas plancher, plutôt que sur le vote obligatoire, sur une participation obligatoire, appuyée sur un système de désignation qui pourrait s'approcher de celui des jurés.
Ce caractère obligatoire ayant en plus l'attrait autoritaire qui aurait le mérite de flatter le désir de poigne et de République toute en majuscule, qui monte et motive une part des électeurs FN, proche en cela du service civique obligatoire dont il fut récemment de nouveau question.

En plus d'être moins coûteux que ce dernier, il permettrait de trouver pour une fois une utilité à notre mille-feuille administratifs tant le nombre de ces institutions offre une multiplicité d'occasions de débats à trancher auquel les citoyens se verraient obligés, à intervalles plus ou moins réguliers – laissons ces questions pour plus tard – de s'intéresser au point d'y percevoir les nuances et les difficultés.

En plus d'accélérer le mouvement de « prendre part » dans lequel la philosophe Nancy Fraser voit une condition de l'émancipation, le renouveau pour partie du personnel de décision par l'ajout ponctuel et régulier de nouveaux venus se mêlant aux experts et élus, atténuerait peut-être un peu la morgue et l'absurde technicité dont font parfois preuve les professionnels de la politique.

Bien sûr ce genre de proposition a de suffisantes allures de gadget pour déclencher les ricanements.
Et puis il n'est pas impossible que les remous que notre démocratie traverse actuellement soient inévitables et les pures conséquences de celle-ci, de ses promesses déçues comme de ses contraintes réelles.
Devant l'ampleur de la crise, les petits bricolages législatifs, à la fois trop contraignants et trop idéalistes, paraissent n'être pas de mise. Bien sûr, si l'on considère que la peur du ridicule doit nous servir d'arbitre et qu'il est risible de tenter d'écoper si l'on n'a à sa disposition qu'une petite cuillère.


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