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"Même si nous nous quittons aujourd'hui entre ces pages, nous ne cesserons jamais de nous aimer".

Publié le 24 mars 2015 par Christophe
Ah, l'amour, toujours l'amour... Ses débuts. Sa fin... Des moments-clés de nos existences, qui nous marquent, nous pèsent, s'effacent parfois, mais peuvent aussi laisser de profondes blessures. L'amour qu'on sent à portée de main et qu'on ne saisit pas, l'amour qui dure et ne passe jamais, l'amour qui obsède et fait souffrir... Le destin amoureux, c'est le sujet central du nouveau roman de Harold Cobert, "Lignes brisées" (en grand format chez Héloïse d'Ormesson), qui, après la relation au père, dans son précédent livre (désormais disponible en poche) joue habilement de l'autobiographie, des faux semblants et de la mise en abyme pour parler du premier amour, le plus beau, le plus vrai, le plus fort. Un court roman, à la narration très travaillée, dont le morceau de gloire est une rencontre paroxystique entre les deux personnages du livre (les autres comptent peu, finalement). Sur un thème très classique, Harold Cobert offre un drame amoureux quasiment théâtral dans lequel la violence des sentiments va d'un extrême à l'autre.

Gabriel est un romancier à succès. Son dernier livre, "Lignes brisées", vient d'ailleurs de recevoir un de ces fameux prix littéraires capables, à eux seuls, d'assurer le succès d'un ouvrage en librairie. L'homme est populaire, demandé, et, ce jour-là, il se rend à Bruxelles, pour un entretien à la radio, une rencontre avec ses lecteurs et une séance de dédicaces.
Dans le train, il feuillette son roman, cherchant les extraits qu'il lira plus tard, lors de la rencontre à la librairie. Et le lecteur, comme en "caméra subjective", découvre ces passages qui semblent raviver dans la mémoire de l'écrivain, bien plus que les souvenirs de la rédaction du roman. Petit à petit, on comprend que ce voyage est tout... sauf anodin.
"Lignes brisées", le roman dans le roman, raconte l'histoire d'un amour. Un amour fou, immense, dans lequel on se consume jusqu'au jour où il s'arrête. Et; avec, la désillusion qu'on ressent lorsqu'il faut passer à autre chose. Un amour inoubliable, indélébile, comme entrer dans le code génétique de ceux qui l'ont vécu.
Or, c'est à Bruxelles que vit la jeune femme que Gabriel met en scène dans son histoire. Le narrateur, c'est lui, lui qui s'adresse par le tutoiement à son immense amour, inachevé, interrompu brutalement. Elle s'appelle Salomé et fut danseuse... Avec un prénom et une passion pareils, pas étonnant que le futur écrivain en ait perdu la tête...
Dans son train, Gabriel espère autant qu'il redoute de voir Salomé présente à la librairie, au milieu des autres lecteurs, avec, à la main, l'exemplaire de son livre qu'il lui a fait parvenir, attendant d'obtenir la précieuse signature de l'écrivain vedette... Mais, cette vague inquiétude n'est rien face à l'excitation de simplement la revoir, tant d'années après leur séparation.
Et Salomé, dans tout cela ? Evidemment, elle est le troisième point de vue de cette histoire. Elle travaille au Parlement Européen, a fait sa vie, mariage, enfant, loin de Gabriel, qu'elle n'a bien sûr pas oublié. Elle sait qu'il arrive, qu'il sera là, ce soir-là, et l'envie de le voir est forte, autant que celle de l'éviter. Une attraction-répulsion qui plonge ses racines dans leur histoire, commencée plus de 20 ans auparavant et qui a connu une longue éclipse, jusqu'à ce jour.
Que va-t-il advenir, lors de cette escale bruxelloise ? C'est évidemment l'enjeu de ce roman, celui que nous tenons en main, pas celui qui se trouve dans le livre. Suis-je clair ? Bref, pour faire plus simple : Gabriel et Salomé vont-ils se rencontrer, et si oui, comment se passeront ces retrouvailles, qui pourraient bien voir resurgir les vieilles rancoeurs.
A partir de maintenant, on entre dans la phase plus approfondie. Sois prévenu, ô lecteur qui passe par ici, qu'on va parler d'éléments qui pourraient constituer (mais quel vilain mot !) des spoilers... Enfin bref, le gars, y va causer du bouquin, alors, si ça ne te plaît pas, passe ton chemin, il est encore temps pour cela !
Gabriel et Salomé. Salomé et Gabriel. Qu'a-t-il bien pu se passer entre ces deux-là pour qu'ils n'aient pas vécu un véritable conte de fée, "ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants" compris ? C'est ce que dévoile peu à peu cette triple narration, l'anxiété actuelle des personnages et leurs préoccupations du moment, mais aussi leur histoire commune.
Jusqu'à LA rencontre. Longtemps, on se demande si elle va avoir lieu ou si les deux ex vont tout faire pour s'éviter. Une sorte du jeu de chat et à la souris autour de la dédicace bruxelloise. Une incertitude qui correspond bien au paradoxe de cette histoire : tout en menant leur vie chacun de son côté, tout en restant sans nouvelle de l'autre pendant des années, on comprend bien qu'il n'ont rieeeeeeeen oubliéééééé (mode Aznavour ON).
Mais, ce qu'on va découvrir, ce sont les non-dits, les culpabilités, les accusations, les responsabilités que chacun garde en lui, comme enkystés, depuis tout ce temps. La rencontre va être chaude ! Pas comme vous le pensez, petits coquins... Non, ça va chauffer, enfin, on va se dire les quatre vérités, tout ce qu'on a sur le coeur depuis si longtemps.
Et de cet affrontement, venimeux, injuste, blessant, même, vont sortir d'autres aspects qui vont surprendre même les premiers intéressés. Car oui, Gabriel et Salomé ce sont aimés, oui Gabriel et Salomé se sont quittés, mais tout cela a eu des causes et des conséquences qu'ignorent même les deux (ex-)amoureux et qui vont forcément changer la manière d'envisager leur relation.
Tout ce livre est là : non pas dans la dispute, presque inévitable, en cas de retrouvailles, ni la complicité, jamais démentie, ni les sentiments, sans doute en sommeil, mais comme les volcans, pouvant se réveiller brutalement... Mais bien dans ce coup de théâtre que représentent ces révélations qui vont frapper droit au coeur les deux anciens amants.
Le terme "coup de théâtre" n'est pas anodin, sous mes doigts. En effet, la scène charnière de ce livre, c'est la rencontre, on l'aura compris. Mais, elle ne se passe pas en public, à la librairie. Non, il lui faut de l'incertitude, de l'intimité, de l'isolement, pour que les sentiments contrastés, de la colère à la tendresse, s'expriment librement. Et que les voiles se lèvent...
Et cette scène, dans un parc de la capitale belge, m'a irrésistiblement fait penser à une pièce de théâtre. Un dialogue qui aurait de la gueule sur scène, avec une belle palette d'émotions à exprimer pour l'un comme pour l'autre. Une collision violente et douce dont ils sortiront forcément différents. Mais ensemble ?
"Lignes brisées", c'est le rappel qu'une vie amoureuse, c'est plus que la relation directe entre deux êtres, ce sont aussi des individualités, des existences, des choix... Des erreurs, aussi, des incompréhensions, des occasions et des actes manqués. Bref, l'amour n'est pas un long fleuve tranquille, et parfois, les courants sont contraires et l'eau efface sur le sable les pas des amants désunis... Tiens, ça me rappelle quelque chose, ça...
Le sujet est mélodramatique, voire dramatique sans mélo. Parce que ce sont deux moitiés d'orange qui n'ont pas su se réunir qu'on a là. Deux âmes soeurs, sans doute, qui se sont ratées. Et les raisons de leur rupture ont de quoi toucher le lecteur aussi, tant tout cela a des allures de gâchis terrible... Malgré tout, le talentueux et sempiternellement ironique Harold Cobert va y mettre son grain de sel.
Comment ce dandy (si, si) un tantinet sale gosse (re-si, si) pourrait-il aborder ce sujet autrement qu'avec un brin de dérision, de distance aigre-douce et d'humour qui grattouille ? Cela donne avant tout un dialogue brillant et plein de rebondissements entre les personnages, mais aussi ce canevas narratif plus complexe qu'on ne le croit.
Avec, au final, une curieuse inversion entre le réalité et la fiction. Car, le roman de Gabriel, fortement autobiographique, devient obsolète lorsque se révèle les raisons de cette histoire avortée. Et du coup, devient une véritable fiction, puisqu'il ne retrace plus qu'un point de vue et non les faits avérés. Ah, oui, vous étiez prévenus, mise en abyme...
Harold Cobert va plus loin encore dans ce gentil mélange des genres, en glissant à plusieurs reprises dans son roman, des clins d'oeil à lui-même et à ses autres livres... On voit clair, dans son jeu, nous laisser accroire que Gabriel, c'est lui, et que cette histoire, c'est la sienne. Loin de moi l'idée de tirer les conclusions, l'homme est très joueur et la fiction tient sans doute une bien plus grande part de "Lignes brisées" qu'il n'essaye de nous faire croire.
Et, sous ses airs bravaches, on comprend bien que c'est un grand sensible, notre Harold, qui cache ses émotions sous cette armure de "coolitude" échevelée que nous connaissons. Comme dans "Au nom du père, du fils et du rock'n'roll", l'armure se fend lorsqu'on arrive au coeur de ce roman. Et le grand coeur tendre et palpitant se révèle alors, l'auguste devient clown blanc et la larme n'est pas loin de perler au coin des paupières.
J'aimerais retrouver Gabriel et Salomé dans dix ans (nan, pas sur la Place des Grands Hommes, pfff...), vingt ans, voir ce qu'il sera advenu d'eux. Voir comment leurs lignes de vie, brisées, ont évoluées. Si elles ont pu être redressées, raccommodées, si elles ont suivi des trajectoires parallèles ou divergentes, si elles ne sont pas comme ces lignes qui, entrant dans l'eau, subissent, par effet d'optique, d'étranges déviations.
Et puis, surtout, savoir ce qu'il reste de leur adolescence et de ces retrouvailles bruxelloises, quels effets l'érosion du temps aura eu sur eux, leurs sentiments, leurs relations... Je les pense indissociables, mais... Le vie, ma brave dame, la vie ! Rien n'est acquis, certainement pas ce genre de choses... Alors, ne jouons ni les Bisounours, ni les oiseaux de mauvais augure et laissons-les vivre. Tout simplement...

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