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[Interview] Joe Alves : rencontre avec le réalisateur des Dents de la Mer 3D

Par Onrembobine @OnRembobinefr
[Interview] Joe Alves : rencontre avec le réalisateur des Dents de la Mer 3D

C’est à l’occasion de la projection en exclusivité européenne de la nouvelle copie numérique 3D des Dents de la Mer 3D que nous avons rencontré son réalisateur, Joe Alves. Une soirée qui s’est déroulée le 27 Février dernier à Thionville en Moselle, au cinéma d’art & essai La Scala. Ne cherchez pas : cet événement ne s’inscrivait dans le cadre d’aucun festival et les deux cent places furent vite écoulées. Et si Joe Alves avait fait le déplacement depuis Los Angeles, c’était tout simplement par amitié pour… le projectionniste ! Un point sur lequel nous allons revenir car l’histoire devrait faire vibrer la fibre geek de tous les passionnés, de cinéma ou autre.

Joe Alves est le réalisateur d’un seul film, Les Dents de la Mer 3D, mais c’est en tant que directeur artistique qu’il officia à Hollywood, depuis ses débuts sur Planète Interdite en 1956 jusqu’à sa retraite en 2000. Travaillant pour Hitchcock sur Le Rideau Déchiré en 1966, il aligna ensuite les meilleurs titres de sa filmographie en signant les décors et la conception visuelle des premiers opus des Dents de la Mer, Rencontres du Troisième Type, puis en collaborant à deux reprises avec John Carpenter sur New-York 1997 et Starman. Accédant à la réalisation avec Les Dents de la Mer 3D en 1982, il passera le reste de la décennie à tenter de transformer l’essai, travaillant sur plusieurs projets qui ne verront malheureusement jamais le jour. Au début des années 90, c’est à nouveau en tant que directeur artistique qu’il rempile sur FreeJack (Geoff Murphy – 1992) et Geronimo (Walter Hill – 1993), enchaînant et finissant sa carrière sur trois films d’actions archétypaux de leur époque :  Drop Zone (John Badham – 1994), Haute Trahison (John P. Cosmatos – 1997) et l’inénarrable Menace Toxique (Felix Enriquez Alcala – 1997).

On Rembobine.fr était présent à la conférence de presse organisée par l’équipe de La Scala, durant laquelle Joe Alves s’est montré intarissable sur son film, mais aussi sur l’ensemble de sa carrière, revenant notamment sur ses débuts chez Disney pour les effets-spéciaux de Planète Interdite ! Les Dents de la Mer premier du nom fut également largement évoqué, en particulier la relation qu’il a entretenue avec Steven Spielberg et les défis techniques du requin mécanique.

Mais avant de vous livrer le compte-rendu de cette conférence, revenons si vous le voulez bien sur les circonstances qui ont amené cet artisan Hollywoodien dans cette petite ville de Moselle… car il y a en effet de quoi rendre jaloux tous les fan-boys du monde !

« Le plus grand spécialiste mondial des Dents de la Mer 3D »
Tout cinéphile a ses plaisirs coupables. Et plus on voit de films, plus on a de chances de tomber sur LE titre qui synthétise notre idéal personnel de cinéma, et ceci en dépit de tout consensus critique.
Depuis son plus jeune âge, Romain Christmann est fan des Dents de la Mer, finissant toutefois par jeter son dévolu sur le 3eme volet, le plus mal aimé mais aussi le plus attachant selon lui qui, non sans une pointe d’ironie dans la voix, prétend que Les Dents de la Mer 3D est le meilleur film du monde (car celui-ci contient) de l’action, de l’aventure, du suspense, de l’humour, de la SF/ du fantastique, un peu de gore et surtout, une 3D généreuse et totalement décomplexée».
A l’approche de ses 35 ans, et en sa qualité de projectionniste au cinéma La Scala de Thionville, il a voulu se faire plaisir, mais aussi faire plaisir aux habitués des «Nuits Bis de la Scala» qu’il organise mensuellement, en proposant une soirée spéciale Dents de la Mer.
Car Romain est un cinéphile généreux. Afin de partager sa passion pour ce film finalement méconnu, il assure seul depuis cinq ans la rédaction du site www.jaws-3d.com. Riche de plusieurs centaines d’articles, le site couvre tous les aspects de la production et de l’exploitation des Dents de la Mer 3D, proposant moult interviews de membres du casting (dont John Putch qui incarne le fils du shérif Brody) et de l’équipe (le scénariste Carl Gottlieb). Devant une telle mine d’informations aussi souvent inédites qu’insolites, il n’est pas permis de remettre en question ce fan absolu lorsqu’il s’auto-proclame «le plus grand spécialiste mondial des Dents de la Mer 3D», lui qui estime avoir vu le film plus de 200 fois… « au grand dam de ma fiancée » ajoute-t-il ! Cet amour démesuré pourrait prêter à sourire mais l’enthousiasme de Romain s’avère communicatif auprès de tous ceux qui, comme lui, ont jeté leur dévolu sur un film mal-aimé et/ou incompris (l’auteur de ces lignes adore Anaconda, voilà, c’est dit…-ndr). D’autant que dans ce cas, l’amour a depuis longtemps viré au culte , Romain possèdant en effet « la plus grande collection du monde dédiée au film » : affiches internationales, dossiers de presse, le film et sa bande originale dans toutes les versions du monde (en LD, D-VHS, DVD, CDI, etc etc…). Parmi ses récentes acquisitions, on compte quelques belles pièces telles que des storyboards originaux issus des carnets de Joe Alves en personne, ou encore le portefeuille de John Putch dans le film (sa pièce favorite).

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Un échantillon de l’incroyable collection de Romain

Jaws ou j’ose pas ?
C’est alors qu’il cherchait à ajouter quelques savoureux témoignages à son tableau de chasse (pêche ?…), que Romain parvint à prendre contact avec l’épouse de Joe Alves via internet, celui-ci n’étant, de son propre aveu, pas très friand des moyens de communication électronique modernes ! Après plusieurs années de correspondance régulière, il vint à Romain une idée folle : dégoter une copie 3D afin de pouvoir enfin prouver au public fidèle de ses « Nuits Bis » qu’il s’agit là d’une œuvre éminemment divertissante qui prend tout son sens en relief. Apprenant qu’une nouvelle copie numérique 3D circule aux Etats-Unis (où il n’a été diffusé que trois fois), il réussit un premier coup de maître en parvenant à mettre la main dessus. Mais notre cher projectionniste ne comptait pas s’arrêter en si bon chemin. Très humblement, il demanda à Joe Alves si il accepterait d’enregistrer un message vidéo à l’attention du public Thionvillois, afin de le diffuser en avant-programme. Et c’est à ce moment que Romain bascula dans un rêve éveillé : à 3h00 du matin, un email de Mme Alves lui apprend que son mari et elle-même avaient décidé de faire le voyage depuis Los Angeles pour assister à la soirée !

Romain, Joe et..Bruce !

Romain, Joe et..Bruce !

Remise en perspective des Dents de la Mer 3D
Le vendredi 27 Février dernier, devant une salle comble venue de la région proche (Alsace, Allemagne) mais aussi…de Hollande (!), un Romain en transe chauffe la salle pour accueillir comme il se doit son idole venue lui prêter main forte pour pouvoir enfin démontrer que Jaws 3D ne vaut que s’il est vu dans des conditions optimums : sur grand écran, entouré d’un public complice et surtout… en relief ! Un relief qui n’hésite pas à en faire des tonnes, quitte à vous faire loucher lors de plans totalement gratuits mais faisant pourtant mouche à chaque fois (il fallait entendre les réactions dans la salle). Loin de la retenue à laquelle se plient la plupart des films 3D actuels, Jaws 3D fait preuve d’une générosité rare dans ses effets de jaillissement.
Uniquement visible à la télévision et en DVD dans sa version « plate » depuis sa sortie (seule exception : un laserdisc 3D sorti au Japon durant les années 90 que Romain avait d’ailleurs exposé pour l’occasion), le film ne vaut en effet que si on le revoit en relief : l’histoire se déroulant dans un parc aquatique, la réalisation ne cherche jamais à intellectualiser son propos et ni à justifier l’usage purement ludique de la troisième dimension. De ce point de vue, la forme s’accorde parfaitement avec le fond, l’histoire se déroulant dans un parc aquatique tenant plus de l’attraction touristique que d’un projet à vocation pédagogique. D’ailleurs, le requin offert en pature à un dinosaure aquatique dans la bande-annonce du prochain Jurassic World ne serait-il pas au fond un clin d’œil aux Dents de la Mer 3D, le premier empruntant ouvertement son pitch au second ?…

…et Joe Alves remet les choses a plat
Joe Alves, 78 ans au compteur même si il en paraît 10 de moins, semble toujours affecté par l’accueil critique et public globalement défavorable de son film, le désintérêt éditorial dont fait preuve Universal quant aux suites des Dents de la Mer ne faisant qu’enfoncer le clou.
Il aborde pourtant le sujet sans détour, la prescription des années lui permettant de s’exprimer ouvertement sur les conditions de tournage du film. Il reste néanmoins fair-play et refuse de cracher dans la soupe d’un film qui aura marqué sa carrière et à laquelle il reste sentimentalement très attaché.

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Compte-rendu de la conférence de presse :

Qu’éprouvez-vous devant cette collection d’objets dérivés dédiée à votre film ?
C’est complètement incroyable. Je découvre ici des objets dont je n’avais aucune idée de l’existence ou de l’intérêt qu’ils pouvaient susciter. Ils ravivent également des souvenirs personnels d’un moment particulier de mon parcours personnel. Je suis impressionné et ému devant ces objets et la passion de Romain qui a organisé cet événement.

Comment décririez-vous votre relation avec Romain ?
(il soupire)…. Romain… je ne suis pas très intéressé par les ordinateurs et tous ces moyens de communication électroniques. En revanche, mon épouse et ma fille sont toujours connectées et savent y faire. Il y a quelques années, Romain a pris contact avec elle en lui expliquant qu’il était fan du film et il avait tout un tas de questions à son propos. J’ai déjà rencontré pas mal de fans des Dents de la Mer, dans les conventions aux États-Unis principalement, mais ils sont en général plus intéressés par le premier film. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un faisant preuve d’une telle adoration pour mon film. Nous avons donc correspondu toutes ces années et puis, il y a quelques mois, ma femme me dit « Romain a réussi à mettre la main sur une nouvelle copie 3D du film et te demande d’enregistrer un message vidéo pour la soirée qu’il organise ». Or, nous avons toujours voulu visiter la France et nous avons pensé que nous pourrions faire d’une pierre deux coups et assister à la projection. Vous savez, j’avais déjà eu l’occasion de me rendre à Cannes lorsque nous y présentions des films, et je m’étais déjà rendu à Monaco pour un autre projet, mais nous n’étions jamais allés à Paris. Nous y avons passé quelques jours et en tant que dessinateur et peintre, j’ai vu des choses incroyables, notamment au Louvre. Nous avons retrouvé Romain et sa fiancée Annabelle, qui sont des gens tout simplement adorables. Ils nous ont réservé un accueil incroyable.

Devenir réalisateur faisait-il partie d’un plan de carrière ?
Oui et non. Je suis devenu chef décorateur pour le cinéma après avoir fait une école d’art graphique à Los Angeles. Dans l’industrie du cinéma, les rôles sont clairement définis et il faut savoir saisir les opportunités pour accéder à certains postes. Devenir réalisateur ne faisait pas partie d’un réel plan de carrière mais lorsque l’occasion s’est présentée, j’y ai vu un moyen de pouvoir imposer ma vision sur un projet et prendre plus de décisions. Il faut savoir que sur le premier film, j’avais déjà réalisé des plans de seconde équipe sans être crédité, et j’ai à nouveau occupé ce poste, officiellement cette fois, sur le second film, avant de me voir proposer la réalisation à part entière du troisième.

Pourquoi n’avez-vous pas réalisé d’autres films par la suite ? Vous préfériez rester chef décorateur ou l’insuccès des Dents de la Mer 3D vous a-t-il privé d’autres opportunités ?
Vous savez, à Hollywood, il y a plus de projets avortés que de projets qui aboutissent. Après les Dents de la Mer 3D, j’ai travaillé pendant plusieurs mois, voire années, sur des projets qui ont fini par être annulés par faute d’argent car les studios changeaient d’avis en cours de route à mesure qu’ils changeaient d’exécutifs qui pensent toujours savoir ce qui va marcher ou pas.
J’ai longuement travaillé sur deux projets en particulier : le premier Out in Front qui se passait dans le milieu de la mode, et l’autre, un film sur les courses de Formule 1, deux projets qui m’ont amené à visiter la France, et Monaco notamment. Nous avions donc déjà effectué les repérages quand ils ont été tour à tour annulés.
A la fin des années 80, j’ai aussi travaillé sur un projet de science-fiction intitulé Venture1, dont le scénariste n’était autre que David Koepp, qui allait ensuite écrire l’adaptation de Jurassic Park pour Steven Spielberg.
Mais avant Les Dents de la Mer 3D, j’ai également fait les décors de New York 1997 pour John Carpenter, qui m’a ensuite demandé de m’occuper de la seconde équipe sur Starman.

Avez-vous eu votre mot à dire sur l’orientation de Les Dents de la Mer 3D ?
A l’origine, Richard Zanuck, le producteur des Dents de la Mer 1 et 2, avait en tête de faire une parodie, intitulée Jaws 3 – People 0. Joe Dante était d’ailleurs attaché au projet. C’est finalement Verna Fields, monteuse du film original avec qui j’étais resté ami, qui a parlé de moi aux dirigeants d’Universal pour le réaliser. Ayant réalisé les scènes de seconde équipe des précédents films, je pense que cela du influer sur leur décision. Quand j’ai lu le scénario, j’ai dit que c’était une hérésie. On y voyait même des apparitions de gens impliqués dans la production des deux premiers films se faisant dévorer par le requin. Universal rejeta finalement le concept mais se désintéressa du même coup de la franchise. C’est Alan Landsburg, un producteur spécialisé dans les téléfilms au rabais qui reprit alors les rênes du projet, et Universal n’en assura que la distribution. Landsburg n’avait aucune expérience du grand écran, et il était connu pour être très pingre, ce que je constatais au quotidien. Nous avons eu une relation très difficile et conflictuelle sur ce point. Sa première idée était d’utiliser des images d’archives pour toutes les scènes sous-marines impliquant le requin, afin d’économiser sur les effets spéciaux.

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D’où est venue l’idée de tourner en 3D ?
Nous avions ce nouveau scénario de Richard Matheson et Carl Gottlieb avait été chargé de la réécriture. Carl et moi faisions des repérages dans un parc aquatique, celui qui servit de décor principal au film d’ailleurs. Et là-bas, il y avait une petite salle de projection dans laquelle étaient diffusées des images sous-marines en relief. J’ai tout de suite été séduit par la profondeur de champ des images et l’idée de tourner en trois dimensions a germé tout de suite. Il faut se souvenir qu’à l’époque, la mode n’était pas encore aux suites. Certes, il y avait déjà Rocky, Rocky 2 mais plus rares étaient les 3. Aussi, puisque notre film n’était pas une suite directe des deux précédents Dents de la Mer, j’ai eu l’idée d’intégrer le terme « 3D » au titre afin de nous en démarquer.
L’idée du titre Les Dents de la Mer 3D a donc germé pendant les repérages et j’ai réalisé un dessin conceptuel du titre, ou les lettres apparaissaient en relief. Carl et moi avons présenté ce simple dessin lors d’une réunion de production avec Lou Wasserman et Sid Sheinberg (les patrons de Universal – ndr), et l’idée fut approuvée aussitôt.

Pourrions-nous évoquer votre travail sur le requin original, qui est une icône du cinéma contemporain ? La légende dit qu’il ne fonctionnait pas toujours et que Steven Spielberg a du ajuster sa mise en scène en conséquence, afin de le suggérer plus qu’il ne le montrait ? Avez-vous un exemple ? Je pense par exemple à la fameuse scène des barils jaunes qui est une des plus belles idées du film ?
Avant de répondre à la question, je tiens à revenir sur tous ces commentaires à propos du requin qui ne fonctionnait pas. J’ai été le premier à travailler sur le film, même bien avant Steven Spielberg. Voilà ce qui s’est passé : Zanuck, qui était un des plus grands producteurs de l’époque, avait acheté les droits du livre de Peter Benchley (ndr : l’auteur des Dents de la Mer) avant même sa parution. Il voyait le potentiel de l’histoire mais les scènes avec le requin représentaient un défi technique duquel dépendait toute la production. Il faut savoir qu’à l’époque, le système des studios était très encadré et nous travaillions toujours sous contrat avec eux. Zanuck m’a toutefois demandé de travailler pour lui à l’étude et la fabrication d’un requin mécanique en prévision de l’adaptation du roman. J’ai donc été la première personne engagée pour le film. J’ai dessiné près de 800 storyboards avant même que Spielberg ne soit impliqué, et certains d’entre eux se retrouvent à l’écran. J’avais eu cette idée d’un plan subjectif vu depuis l’intérieur de la bouche du requin alors qu’il fondait sur une victime. Spielberg ne l’a pas retenu mais je l’ai finalement fait dans Les Dents de la Mer 3D. Bref, j’avais dit à Zanuck qu’il faudrait un an et demi afin de pouvoir fabriquer le requin mécanique et il m’avait donné son feu vert. J’ai approché Bob Mattey, un ancien de chez Disney qui venait de prendre sa retraite mais qui avait participé à la construction de la pieuvre de 20,000 lieues sous les Mers. Avec son aide, nous commençâmes donc la longue conception du requin. Puis le roman est paru et a été un succès immédiat et on nous a alors demandé d’être prêt à tourner quatre mois plus tard, afin de profiter de cette popularité. Je n’ai donc pas eu le temps de finaliser les trois versions du requin mécanique et aucun test en bassin n’a pu être réalisé. Avec Steven Spielberg, nous avons planifié le tournage en commençant par toutes les scènes sur la terre ferme pour me laisser le temps de peaufiner les requins. Il y avait trois versions comme je l’ai dit : un qui allait de droite à gauche, un qui allait de gauche à droite et un dernier qui aller d’avant en arrière. À chaque fois que l’un d’entre eux était prêt à l’emploi, j’avisais Spielberg et nous allions filmer en mer tous les plans nécessitant cette version. Nous avons donc fait beaucoup de va-et-vient entre la terre ferme et la mer. Mais je tiens à dire que tous les plans, TOUS les plans incluant le requin dans le storyboard apparaissent dans le film final. Pas un plan ne manque et je trouve très injuste ces histoires que l’on raconte à propos du requin qui ne fonctionnait pas (NDR : Steven Spielberg lui-même l’affirme dans le making-of du film).

Ayant travaillé sur les trois premiers Dents de la Mer, quel est le film dont vous gardez le meilleur souvenir ?
J’aime les trois pour différentes raisons. Sur le premier, nous étions jeunes et fous et tout était à faire. Sur le deuxième, j’étais en charge de la seconde équipe et le tournage a duré plus de cent jours. Et sur le troisième, j’étais le réalisateur principal et j’avais un tas de responsabilités. Sur le plan personnel, ce sont des expériences très différentes. Figurez-vous que je n’ai jamais vu le 4ème film. L’unique raison de son existence, c’est que Loraine Gray, l’héroïne du film, est la femme de Sid Sheinberg (ponte de MCA/Universal – ndr) et il a produit le film uniquement pour elle.

Pendant la production des Dents de la Mer, envisagiez-vous un tel succès ?
La vérité, c’est que seules six ou sept personnes avaient foi dans le film : Spielberg, Zanuck, Marshal Green entre autres, et moi-même. Le studio ne se préoccupait pas beaucoup de nous et misaient plutôt sur L’Odyssée du Hidenburg (NDR : réalisé par Robert Wise) et Tremblement de Terre (NDR : un film-catastrophe dans la lignée de La Tour Infernale).

Savez-vous ce que Steven Spielberg a pensé de votre film ?
Nous n’en avons jamais parlé. J’ai été son chef décorateur sur Sugarland Express, Les Dents de la Mer et Rencontres du Troisième Type. Nous nous sommes ensuite rencontrés pour parler de 1941. Il me voulait à nouveau sur ce film et j’étais intéressé. Malheureusement, le studio n’avait pas encore officiellement donné le feu vert au film et il faut savoir que sans feu vert, il n’y a pas de contrat, donc pas de salaire. Comme il fallait bien que je travaille, j’ai signé pour Les Dents de la Mer 2 où j’ai également obtenu le titre de producteur associé. Je crois que Steven Spielberg m’en a un peu voulu et qu’il était déçu. En tout cas, nous n’avons plus jamais travaillé ensemble. Nos rapports sont toutefois très amicaux lorsque nous nous croisons. Mais il est devenu une institution, et il est tellement occupé qu’il est devenu difficile de l’approcher. J’ai connu le Spielberg des débuts, avant qu’il ne devienne ce personnage important. C’était une autre époque. L’année dernière, sa maison de production m’a appelé pour me demander de participer à un nouveau documentaire à propos des Dents de la Mer. J’ai bien sur accepté mais nous ne sommes pas revus pour autant. Il faut dire qu’au moment de réunir le casting des Dents la Mer 3D, j’avais auditionné sa femme sans la retenir !

Vous voulez parler de Kate Capshaw (NDR : la Willie Scott de Indiana Jones et le Temple Maudit ?)
Oui, c’est bien elle. Mais il nous fallait une actrice plus athlétique pour le rôle. Parmi les autres actrices pressenties figurait aussi Linda Blair, que j’ai rencontrée à plusieurs reprises à l’époque.
Avant votre retraite en 2000, vous avez travaillé sur le film d’animation Sinbad : Beyong the Veil of Mists (ndr : une co-production entre les USA et l’Inde, à ne pas confondre avec le Sinbad de Dreamworks).

Que pensez-vous de l’évolution du métier de chef décorateur, ou les décors ne nécessitent plus systématiquement la fabrication de décors « en dur » ?
La façon de travailler sur ce film était totalement nouvelle pour moi. Nous n’avions pas besoin de quitter nos bureaux. Il suffisait que je demande d’avoir telle structure ou telle couleur et les infographistes éxécutaient le travail dans l’ordinateur. Je pense que c’est très libérateur pour un artiste car cela permet de se focaliser sur l’idée et non plus son exécution concrète. Mais la nature du travail du chef décorateur n’a pas changé.

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Vous avez participé à Planète Interdite en 1956 ? Racontez-nous vos premiers pas dans l’industrie.
C’était il y a bien longtemps….J’habitais Los Angeles et j’avais fait une école d’art. Je cherchais du boulot et le père d’une amie qui connaissait quelqu’un chez Walt Disney m’a suggéré d’y postuler. Je n’avais que peu de dessins dans mon portfolio, mais il m’a encouragé à y aller. On m’a dit qu’il était trop tard pour rejoindre le cursus de formation des animateurs mais on m’a offert de rejoindre le département effets-spéciaux du studio. Disney offrait à l’époque ses services à la MGM, qui produisait Planète Interdite. J’étais l’assistant d’une femme qui était l’assistante de l’assistant de l’animateur Josh Meador, en charge du monstre électrique du film (Joshua Meador était spécialisé dans les animations « spéciales » telles que l’eau, le feu ou les effets magiques sur Cendrillon et Alice aux Pays des Merveilles – ndr). Mais cette femme a démissionné, puis son supérieur a été hospitalisé et je me suis alors retrouvé assistant direct de l’animateur ! Et j’ai donc travaillé sur le monstre du film.
Mais je voudrais aussi vous raconter une autre anecdote de mon passage chez Disney. Comme ils avaient besoin de main d’oeuvre supplémentaire sur La Belle au Bois Dormant, j’ai été assigné au « clean-up » (ndr : la mise au propre des crayonnés des animateurs) des trois fées. Un matin, alors que j’étais penché sur ma table à dessin, j’entends une voix derrière moi qui me dit : « non, non, pas comme ça. Ca devrait être plutôt être comme ceci ». En me retournant, j’ai reconnu la personne et j’ai dit : « D’accord, Walt. Merci ! »

Vous avez rencontré Walt Disney en personne ? Avez-vous vu le film Dans l’Ombre de Mary ?
Oui, j’ai vu le film. Ma-gni-fi-que. Il retranscrit parfaitement l’ambiance sur le campus des studios Disney à Burbank à l’époque. Walt Disney faisait le tour du studio chaque matin, observant et commentant le travail des gens. C’est un âge révolu ou l’industrie avait encore un visage humain.

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Jérôme Muslewski et Joe Alves

Remerciement à l’équipe du cinéma La Scala – Justine Girardi (directrice) et Romain « Néophyte » Christmann (projectionniste et organisateur des « Nuits Bis ») – pour leur accueil et les « Nuits Bis », une initiative rare en province et qu’il faut saluer et soutenir !
Photos : Stéphane Thévenin/ Christian Lesourd

@ Propos recueillis par Jérôme Muslewski 


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