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Favoris du mois de mars // Lectures

Par Camillebook @carnetsdecam

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À Tokyo en ce moment, ça fleure bon le printemps : du ciel limpide aux arbres couverts de fleurs en passant par les oiseaux tout guillerets, il y a comme une bonne humeur constante dans l’air qui donne envie de ressortir les tops et les lunettes de soleil, les sandales et la crème solaire, pour aller se poser lire dans un coin ensoleillé. C’est bien simple, quand il fait ce temps, je n’ai qu’une envie, c’est de m’allonger dans l’herbe avec entre les mains un bon roman et me laisser happer par les pages au point d’en oublier le temps. Les livres, c’est ma vie. J’en ai toujours un dans mon sac, que ce soit en voyage, pour aller faire les boutiques, pour aller à une soirée : après tout, on ne sait jamais, peut-être que cette super fête à laquelle vous vous rendez sera toute pourrie et que vous serez bien contente d’avoir un livre pour occuper le temps en faisant la queue aux toilettes.

Je vais donc vous parler aujourd’hui de trois livres que j’ai lu ce mois-ci.

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1) Banana Yoshimoto, Kitchen suivi de Moonlight Shadow (1988) : ces deux courts romans, à la frontière de la nouvelle, ont été une révélation. J’ai immédiatement accroché au style à la fois léger et tragique de Banana Yoshimoto, une auteur japonaise née en 1964 qui décrit avec force et poésie le moi intérieur de deux jeunes femmes. Dans le premier récit, l’héroïne se trouve confrontée à la solitude et au désespoir suite à la mort de sa grand-mère, avec qui elle vivait. Ce décès la rend orpheline, et le désarroi dans lequel ce constat la plonge la prive de tous ses moyens ; le seul endroit dans lequel elle trouve encore du réconfort est la cuisine. Allongée sur le carrelage froid au pied du grand frigo, Mikage Sakurai parvient enfin à retrouver le sommeil. Lorsqu’un jeune garçon qui connaissait sa grand-mère, Yuichi, lui propose de venir s’installer dans l’appartement qu’il occupe avec sa mère, la surprise de Mikage est grande, mais elle accepte. Cette décision changera sa vie : grâce à la présence réconfortante de Yuichi et de son éblouissante mère, Erika, Mikage retrouve peu à peu le goût de la vie et se découvre une passion pour la cuisine. Quelques mois plus tard, alors que Mikage a déménagé de chez Yuichi et Erika, un événement dramatique vient bouleverser à nouveau son équilibre de vie durement rétabli. Je ne vous en dis pas plus mais c’est une histoire splendide, bien écrite, où les feux de la ville noyée sous la pluie et le brouillard succèdent au ressac de la mer sur une plage déserte en hiver, où l’héroïne, drôle et touchante, fait de son mieux pour affronter les malheurs qui la frappent, et où l’amour, qu’il soit filial ou amoureux, sert à la fois de rempart et de levier.

La deuxième nouvelle, Moonlight Shadow, met elle aussi en scène une jeune héroïne à la première personne du singulier. Satsuki a perdu son petit ami Hitoshi dans un accident de voiture quelques mois auparavant. Ayant perdu tout appétit de vivre, la jeune fille ne trouve plus le sommeil, aussi tous les matins avant l’aube, elle part courir et traverse le pont qui enjambe la rivière séparant sa rue de celle où vivait Hitoshi. Ce pont est comme une liaison entre le territoire des morts et des vivants, et elle, à force de le traverser tous les jours, se trouve quelque part entre les deux, ni morte ni vivante, se contentant de courir pour sentir le sang dans ses veines. Un matin, elle fait la connaissance d’une jeune femme étrange sur ce pont : Urara, comme une apparition divine, lui apprend qu’un événement hors du commun, ne se produisant que tous les cent ans, va avoir lieu sur ce pont d’ici quelques jours. Au cours du récit, Satsuki se rapproche aussi de Hiiragi, le jeune frère de Hitoshi dont la petite amie est morte dans le même accident de voiture. L’auteur décrit avec douceur, presque tendresse, comment les deux personnages, tout en gérant leur deuil de manière très différente, finissent par accepter la douleur de leur perte. Une nouvelle poignante au confins du fantastique, où l’on retrouve le réalisme magique propre aux auteurs japonais tels que Murakami Haruki ou Ogawa Yoko.

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2) Tanizaki Junichiro, Le Coupeur de roseaux (1932) : je me suis forcée à lire ce court roman en plusieurs fois, car la tentation était forte de le lire d’une traite mais j’avais envie de savourer chaque page, chaque mot comme autant de bouchées d’un bon dessert (manger est ma deuxième passion). Le narrateur est un homme d’une cinquantaine d’années que la mélancolie conduit à se rendre au sanctuaire de Minase, ancienne demeure d’un empereur des temps jadis, près de Kyoto. Guidé par un poème de cet empereur dont les moindres mots suffisent à rendre le charme de la villa bâtie sur la rivière, le narrateur tente de reconstruire dans son esprit la configuration des lieux tels qu’ils avaient dû l’être du vivant de l’empereur, quand les rires des courtisans et le son du luth emplissaient la vallée de notes joyeuses. D’autres évocations littéraires se succèdent, et le narrateur, après un dîner bien arrosé, se rend sur un banc de sable au milieu de la rivière afin d’y contempler la lune d’automne tout en buvant du saké. Bien avant sa naissance, cet endroit appartenait aux maisons de passe : les prostituées, remontant le cours de la rivière à bord de frêles embarcations, accostaient les clients et leur proposaient leurs services sous le couvert de la nuit. Soudain, le narrateur est arraché à ses pensées par une présence au milieu des roseaux : un homme, qu’il n’avait pas vu, se trouve également là, mu par le même désir de s’absorber dans la vision du clair de lune. L’homme lui tend une coupe de saké et commence à lui raconter une étrange histoire, celle de son père, tombé amoureux de la belle Oyu, dont la demeure se trouvait non loin de cette rivière. Tanizaki mêle avec charme les évocations du passé et du présent, baignant son récit d’une nostalgie poétique, pleine de lumières et de couleurs, ressuscitant les fantômes d’un autre millénaire et plongeant son lecteur dans une histoire où la réalité et le fantasme, la vérité et le mystique s’entrecroisent sans fin. Un livre que je recommande à tous les amoureux du vieux Japon, celui du Genji Monogatari et d’une Kyoto aux traditions séculaires. J’avais également lu Le Meurtre d’Otsuya du même auteur, également très intéressant mais beaucoup plus terre-à-terre.

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3) Mishima Yukio, Le Tumulte des flots (1954) : je connais ce célèbre romancier japonais pour ses contes et nouvelles au ton cruel et cynique (ma favorite étant La Lionne, une transposition dans le Japon d’après-guerre de la Médée d’Euripide), et j’ai également lu son Pavillon d’or, écrit en 1956, qui retrace le parcours d’un jeune moine ayant brûlé le Pavillon en 1950 (fait réel). Vous pourrez trouver des photos de ce fameux pavillon dans mon article sur Kyoto et Nara. Le Pavillon d’or étant un récit parfois très cru, où le héros, en proie à un mal-être existentiel dû à un défaut d’énonciation, se laisse aller à des pensées violentes qui gravitent autour de la fascination presque morbide suscitée par le pavillon, je m’attendais à retrouver cette brutalité, cette fatalité tragique proche du déterminisme dans Le Tumulte des flots. L’histoire s’annonce en effet sous de mauvais augures : Shinichi, jeune pêcheur sur l’île d’Utajima, tombe un jour par hasard sur un visage inconnu alors qu’il se rend à la maison du gardien de phare. Ce visage aux traits si envoûtants est celui de Hatsue, rappelée sur l’île par son père, le terrible Terukichi, un pêcheur ayant fait sa fortune à la force du poignet, redouté par tous les notables de l’île, craint pour son caractère et sa force physique. Yasuo, fils d’un riche fonctionnaire, est pressenti pour épouser la jeune fille, ce qui ferait de lui le gendre de Terukichi et donc son héritier. Mais Shinichi et Hatsue tombent amoureux, et la jalousie déchirante d’une autre jeune fille sera la cause de rumeurs pernicieuses dans tout le village, causant de nombreux troubles aux deux amoureux. Dans la nature sauvage et superbe de cette île coupée du monde, l’amour de Shinichi et Hatsue grandit en dépit des obstacles, au fil des saisons marquées par le cycle des pêches, les typhons, la plongée aux coquillages. Ce petit microcosme dans le Japon d’après-guerre, à la fois pauvre et riche de sa solidarité, prend vie sous la plume soudain apaisée de Mishima, qui fait peser une tension palpable tout au long du roman sans jamais la transformer en drame. Je dois avouer avoir été un peu déçue par ce roman finalement un peu banal, peut-être en raison d’une prédisposition de base liée à mes précédentes lectures de cet auteur. Toutefois, la description du travail des plongeuses en été m’a rappelé une session de photos datant de la même époque dont vous pouvez observer des échantillons ici, particulièrement intéressante dans la mesure où cette tradition des plongeuses dites aux seins nues est en voie de perdition.

J’espère que cet article vous aura plu et vous donnera envie de lire ces auteurs japonais ! En cadeau, une photo des cerisiers en fleur près de chez nous, sur la Tamagawa. Mata ne ! :)

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