Seul au milieu des hommes, l’auteur n’a qu’un recours, aussi contraignant qu’agréable : ses personnages. Il s’avère difficile de savoir ce qui a pu, en lui, faire émerger de tels êtres qui acquièrent une surprenante autonomie au fur et à mesure qu’ils existent. Ils craignent l’effacement mais l’affrontent sans broncher.
Ils sont là, c’est tout. Même si on les efface, même si on les corrige, même si on les torture gaiement pour en extraire la sève, ils s’obstinent à exister, assez peu soucieux, finalement, du regard des autres. On les crée, ils vivent, meurent, se laissent embarquer dans des histoires dont ils sont eux-mêmes les héros et ils ne sont que ça, des personnages, mieux que des personnes. Voués à nager dans de l’encre, à flotter sur les pages.
On les prend pour des pantins alors qu’ils sont ficelles. Ils font l’auteur, et non l’inverse.
Aussi, quand il arrive qu’on demande à ce genre d’auteur dans quelles entrailles il est allé chercher ces êtres, la réponse peut se résumer en une bouche béante, une ignorance absolue, un air un peu stupide. Car un des drames de cet auteur se résume à cela : IL NE SAIT PAS.
Posez-lui toutes les questions que vous voulez sur la genèse de son œuvre (la pire d’entre toutes étant le fameux POURQUOI ?), il vous regardera comme on regarde le vide, balbutiera deux ou trois ornements que son esprit loufoque viendra tout juste d’inventer cependant qu’en lui-même, un frisson alarmé le chatouillera et criera : « la réponse est pourtant simple : tu es juste fou ».
D’aucuns sont plus doués pour fournir moult explications, décortiquant leur création comme on dissèque une grenouille ; ceux-là parlent tellement bien de leur œuvre qu’il est superflu de la lire. Ils se plient aux questions, racontent la naissance de leurs personnages (« Je rêvassais sous un arbre et, en voyant passer une colombe, j’ai décidé d’appeler mon héroïne Colombe, etc. ») Fin du mystère. Fin de l’histoire. Et le lecteur ne pourra s’empêcher, s’il lit les aventures de Colombe, de voir des oiseaux blancs venir polluer l’encre des lignes.
Quelle importance, après tout, de savoir l’origine de ces mondes qui ne crépitent que dans les romans ? Savoir que tel parent, tel souvenir est devenu cela, un personnage, oui, un héros douteux, le même, mais différent, vous comprenez, le truchement de la fiction, etc. Creuser les origines peut être intéressant en ce qui concerne l’humanité, mais les personnages de roman ont droit à leurs limbes, même boueuses, même, surtout, inavouables. Les personnages méritent leur zone d’ombre, celle des vides. Car c’est dans l’interligne qu’ils existent vraiment.
Notice biographique
Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan. Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge