A la manière du Jardin des retours de la Corderie Royale à Rochefort qui évoque les retours des navires des expéditions scientifiques du XVIIè au XIXè siècle, les cales chargées de plantes et d'objets alors inconnus, La Maison Rouge à Paris relate l'équipée d'un artiste, Mathieu Briand, engagé dans une aventure contemporaine hors normes.
Ile de Mathieu Briand
Et in libertaria ego
En 2007 l'artiste reçoit de sa sœur qui séjourne à Nosy Be (Madagascar), un mail accompagné d’une photo. "On peut y voir une plage de sable ombragée par des cocotiers et, en face, une île. Elle devient le motif de mes pensées. L’ensorcellement est immédiat. L’île devient un point dans l’espace". C'est le point de départ d'un projet intitulé : Et in libertaria ego. Se référant à Libertalia, nom d'une colonie libertaire fondée par des pirates sur l'île de Madagascar, communauté qui aurait existé pendant environ vingt-cinq ans à la fin du XVIIe siècle sans que l'on discerne véritablement la part de réalité de la légende, l'entreprise s'installe avec cette ambition entre réel et fiction. Mathieu Briand entraîne d'autres artistes dans cette utopie empruntée à ces pirates ayant décrété l’établissement d’une société égalitaire, ode à la liberté contre la tyrannie.
L'artiste laisse ouverts tous les possibles qui permettent d'interroger dans le même temps sa pratique artistique : "Le mot « art » n’a pas sur cette île le même sens que dans les sociétés occidentales ; il n’y a pas d’espace d’exposition, il n’y a pas de « public »… Mais il existe un art rituel, sacré et magique qui est l’élément essentiel de la culture de l’île." Jusqu'à aujourd'hui l'aventure connaît des développements multiples, parfois même des soubresauts lors de la crise politique de Madagascar en 2009 ou quand des œuvres sont détruites en 2011 car accusées de magie noire. Mathieu Briand se console en concluant qu'en attribuant un pouvoir aux œuvres, le vandale les a rendues magiques.
D'une utopie l'autre
L’utopie est le sujet de l’œuvre. Elle renvoie à celle, réelle ou fictive, de Libertalia . D'autres utopies libertaires et artistiques ont vu le jour dans le passé. La colonie de Monte Verita, au début du vingtième siècle, en est peut-être l'exemple le plus remarquable. Alors que l'Europe s'apprête à se jeter dans la guerre, de jeunes intellectuels au bord du lac Majeur entendent se libérer des contraintes de la société de leur temps. Des anarchistes, des socialistes, des végétariens, des artistes, des écrivains et des danseurs expérimentent près d'Ascona de nouveaux modes de vie. La montagne magique de Monte Verita abrite cet ilot idéaliste ouvert à toutes les ruptures, à toutes les inventions sociales, culturelles, politiques.
Exposition Mathieu Briand à la Maison rouge 2015
De nos jours un autre artiste, Laurent Godard, développe également une utopie en donnant naissance à un village imaginaire : Flateurville. L'artiste a investi des lieux disponibles pour donner une réalité non dénuée d'humour à son acte créatif : une ancienne tannerie à Essaouira au Maroc, une ferme ostréicole à l'île de Ré, une tour HLM à New York, un château en Bourgogne ou la piscine Molitor à Paris. Résolvant la quadrature du cercle les habitants de ce village les "Carré-ronds" sont identifiables par leurs curieuses paires de lunettes. Flateurvillle devient cette scène mobile, variable, polyvalente sur laquelle il déploie par tous moyens son propos visionnaire.
A Madagascar, le projet de Mathieu Briand s'enrichit de la participation d'autres artistes (Pierre Huygue,Grégory et Cyril Chapuisat, Damian Ortega, Yvan Salomone...), recourt aux outils multiples (peinture, sculpture, vidéo etc...). La Maison rouge n'est pas seulement hôte de l' exposition visible actuellement, elle finance le projet. Au-delà de cette mise en œuvre pratique de l'aventure, des interventions des artistes dans le lieu, c'est une interrogation d'ordre philosophique qui se fait jour, questionnement qui renvoie à celui des pirates de Libertalia. L'exposition de la Maison rouge m'a laissé cependant un peu sur ma faim. Je n'aurais pas trouvé superflu de voir l'exposition témoigner plus précisément au plan documentaire sur le déroulé de cette aventure jusqu'à ce jour. On peut imaginer que Mathieu Briand trouvera d'autres outils ( écrits, films notamment) pour nous permettre de suivre le devenir de Et in libertaria ego.
Photo: Mathieu Briand et Maison Rouge
Et in libertalia ego
Un projet de Mathieu Briand
Du 19 février 2015
au 10 mai 2015
La maison rouge
Fondation Antoine de Galbert
10 bd de la bastille
75012 Paris