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Les histoires de religions c'est gonflant.

Par Richard Le Menn

Les histoires de religions c'est gonflant.En ce début de XXIe siècle à Paris, quand on écoute les informations, sort dans la rue et va aux musées ... on voit de la religion partout. En quelques jours j'ai visité l'exposition De Giotto à Caravage, Les passions de Roberto Longhi assez morbide avec une ribambelle de représentations de corps morts et de têtes coupées de saint Jean-Baptiste ; celle sur les Sculptures souabes de la fin du Moyen-âge dont la production s'est arrêtée à cause de la Réforme protestante ; et les deux expositions se faisant face au Musée du Louvre : Poussin et Dieu et La fabrique des saintes images. Rome-Paris (1580-1660), toutes deux se déroulant du 2 avril au 29 juin 2015.

Une des expositions les plus remarquables que j'ai pu voir était en 1994 la rétrospective sur Nicolas Poussin (1594-1665) au Grand Palais qui permettait d'avoir une vue d'ensemble de son oeuvre contrairement à ici. J'apprécie énormément ce peintre qui travaillait seul, sans grand atelier, qui n'avait pas de disciples, mais chez qui le classicisme pictural français du XVIIe siècle a trouvé son inspiration.

Les histoires de religions c'est gonflant.
La question de l'image me passionne aussi. J'en reparlerai dans un prochain article sur l'exposition Lumière! au Grand Palais. La culture de l'image est présente de manière coutumière dans notre société française depuis l'Antiquité. Elle a toujours véhiculé une philosophie qu'elle exprime à travers l'art, et notamment l'art du catholicisme qui s'est posé plusieurs fois la question de la représentation de Dieu et du Christ, et qui a conclu que Dieu ayant fait l'homme à son image, l'image de l'homme ou celle de Dieu sous ses traits était non seulement possible mais un outil de méditation (icônes orthodoxes ...). Aujourd'hui avec le Louvre Abou Dabi (voir l'article Le scandale du Louvre Abou Dabi) et la présence musulmane de plus en plus oppressante en France, la question de l'image et la place de l'art dans la société est davantage prégnante, d'autant plus que l'image est partout, et que toutes les religions s'en servent, de même que chacun ... sauf évidemment ceux qui se sont coupés radicalement de notre société de consommation ... notre société de fabrique à images.

Donc l'idée d'une exposition intitulée " La fabrique des saintes images " est particulièrement intéressante. Seulement pourquoi avoir choisi le XVIIe siècle, et pourquoi faire de Nicolas Poussin un cul-béni ??

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Ces deux expositions semblent essayer de faire entrer des concepts là où ils n'ont pas lieu d'être, dans un mélange qui ne fonctionne pas. Le Louvre consacre sa saison printanière au XVIIe siècle avec ces deux expositions et celle sur Velázquez au Grand Palais dont le commissaire d'exposition est un conservateur du Louvre. On le sait, le XVIIe siècle français est celui du début des Lumières, et celui de la fin du tout religieux qui aboutira à la Révolution, puis à ce concept faux qu'est la laïcité (autre forme de religion). Pourquoi avoir placé l'exposition La fabrique des saintes images dans ce siècle ? Le Concile de Trente qui réaffirme " la possibilité, la légitimité et l'utilité des saintes images, profondément et brutalement attaquées par les Protestants " (comme le dit le dossier de presse) se situe en 1545-1563. Par la suite, le XVIIe prend de plus en plus de distances avec la religion notamment aux niveaux intellectuel, politique ... L'époque des Précieuses et celle de Louis XIV ne sont pas marquées par ce sujet. Au contraire la figure libre du philosophe des Lumières se met en place avec sa recherche de la vérité à travers les sciences et de la liberté par la philosophie.

Évidemment les questions posées par le thème de cette exposition sont intéressantes. Celle-ci soulève notamment l'importance de l'iconographie dans notre culture. Une autre manifestation faisant écho à ce sujet est celle intitulée Lumière! au Grand-Palais où est retracée l'évolution du support de transmission des images depuis les débuts du cinéma jusqu'aux images électroniques d'aujourd'hui. Nous sommes là aussi dans la 'fabrique des images', leur industrialisation. Était-il nécessaire de restreindre l'importance de l'image dans la société occidentale au catholicisme ?

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Finalement la juxtaposition de ces deux expositions et leur sujet font ressembler le tout à une chimère, c'est à dire à un animal imaginaire constitué de parties différentes d'autres animaux. Le pire selon moi est d'avoir placé une exposition sur Nicolas Poussin dans ce contexte de prosélytisme religieux. Nicolas Poussin utilisait aussi bien les mythologies antiques que les mythes chrétiens pour créer. Sa peinture est davantage dans la lignée du courant humaniste que chrétien. Elle est même au-delà de tous courants, de toutes philosophies, pour toucher directement à l'harmonie divine (si cela se peut par une simple peinture), à la sagesse, ou du moins la pointer du doigt. Ce peintre philosophe n'est pas un peintre chrétien. Il a su créer sa propre langue, aller à l'essentiel de ce que les cultures dans lesquelles il baignait comportaient de gracieux, harmonieux, intelligent ... une langue universelle qui touche directement au cœur et à l'âme ... de paix, d'amour et riche ... Comme je l'ai dit, cet artiste peignait seul, sans atelier (par exemple celui de Velázquez comportait des dizaines de personnes y travaillant), sans disciple. Il n'était pas, lui, dans le prosélytisme ... ou dans des affaires de pouvoir ou d'argent. Pas de dogmes chez lui ... ce qui en fait un peintre important pour notre époque. Je me pose encore la question du secret de cet artiste lui permettant de trouver le bon ton, l'harmonie parfaite dans sa composition et dans ce qu'elle suscite au spectateur. Quel est le secret de cette harmonie ?

Mais qu'est-ce que celui, celle, ou ceux, qui ont décidé de ces deux expositions ont voulu démontrer ? Que le Louvre Abou Dabi est une ineptie (ce qui est vrai) : amener l'image dans une société musulmane profondément contre et qui pourtant ne vit en Occident que par elle ? Tout cela est fouillis. Nous sommes loin de la paix, de la liberté et du chemin de douce rigueur entrepris par Nicolas Poussin. Le Louvre est devenu une entreprise de vente d'images. Du reste ce musée ressemble de plus en plus à un grand centre commercial. J'y reviendrai. Peut-être est-ce cela que dénoncent aussi ces expositions. Si c'est le cas pourquoi ne pas le dire haut, fort, clairement, d'une manière vive, pointue et intelligente ?

Paysage avec saint Matthieu. 1640. Huile sur toile. H. 99; l. 135 cm. Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Gemäldegalerie. Inv. 478 A © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / Jörg P. Anders. "

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Photographie ci-dessous : " Eliezer et Rébecca. 1648. Huile sur toile. H. 118; l. 199 cm. Paris, musée du Louvre. INV. 7270. © Musée du Louvre, dist. RMN/ Angèle Dequier. " J'ai choisi cette peinture pour entreprendre un modeste descriptif. Le choix du sujet est puisé dans l'Ancien Testament. Éliézer de Damas, fils adoptif d'Abraham, vient chercher Rébecca pour la marier à Isaac. Il est au centre de la composition. Autour de lui toutes les jeunes femmes sont d'une beauté semblable et aucune n'est traitée par l'artiste avec moins de soins. Chacune exprime une émotion différente, parfois pas du tout en relation avec la scène. Certaines discutent, d'autres font ce qu'elles sont venues faire (chercher de l'eau), une autre appelle l'attention de son amie vers sa tâche (verser de l'eau) absorbée qu'elle est par la scène biblique qui se passe sous ses yeux. Une seule regarde le spectateur : celle qui porte un vase rempli d'eau au dessus de sa tête et au dessus de celle de tous les autres personnages. Le geste de la figure centrale d'Éliézer se trouve donc surplombé par celui plus modeste d'une simple jeune femme. Nicolas Poussin place souvent de petites scènes familières et délicates en contrepoids face à la rigueur mythologique ou mythique. Le mythe rejoint ici la vie. Nous avons aussi la présence de la Cité et de ses citoyens qui l'arpentent. Dans d'autres peintures on trouve des baigneurs, des pêcheurs etc. À ce mélange s'ajoutent les drapés qui eux ne sont pas de son temps, mais dont les couleurs franches et tendres (on appelle au XVIIIe siècle et peut-être au XVIIe 'couleurs tendres' des teintes riches) et le raffinement des plis donnent à l'oeuvre une 'raison artistique', insèrent d'autres notes dans cette composition d'ensemble. Les traits droits des architectures mélangés à d'autres en rondeurs, les couleurs, les drapés, les regards, les gestes, le jeu des ombres et des lumières, les différents paysages ... tout concourt à recentrer l'oeil du spectateur, le concentrer dans le moment présent et entrer dans l'harmonie de ce tableau ... qui est aussi celle de la sagesse ... peut-être. En tout cas le peintre nous amène dans son eurythmie, dans son rythme, fait de paix. Du reste, lors de la conférence de presse, les deux commissaires de l'exposition (cette exposition représente deux années de travail) ont insisté sur l'importance du cadre pour présenter les œuvres de Poussin, lui-même en parlant dans ses écrits et se représentant dans l'autoportrait de début d'exposition au milieu de cadres. Il conseillait encore de couvrir ses peintures d'un rideau pour mieux les découvrir et entrer dans l'univers représenté. C'est une leçon du regard, d'apprendre à regarder. Pour cela il commence par nous convier dans son univers : une tranquillité de l'âme toute spirituelle, aimante et aimable, une harmonie presque divine ... puis à regarder notre esprit, notre entourage ... tout en sachant que tout cela n'est que verbe, langage, images ... un jeu de codes permettant de vivre ensemble dans la mesure de son oeuvre.

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