Brigitte Seth et Roser Montllo Guberna, Genre oblique (cl. Vincent Jeannot)
A en croire notre Jean-Marc Adolphe national, "les artistes ont visiblement du mal à prendre pied dans la construction des mythes de demain". Et celui-ci se propose de les y aider pas plus tard que samedi prochain.
"Visiblement", pourtant, des artistes comme Brigitte Seth et Roser Montlló Guberna n'ont pas besoin de son aide. Je ne sais si Genre oblique construit les mythes de demain (le faut-il, d'ailleurs), mais il puise dans notre civilisation méditerranéenne et la passe, comme le nocher Charon passe les âmes d'un monde à l'autre. Enfin voilà ce qui m'a ému dans cette pièce, sur laquelle je n'ai voulu rien lire ni me renseigner avant d'avoir écrit ce qui suit.
Le décor de Genre oblique est un huis-clos de murs de gros blocs gris. Brigitte Seth paraît en chemise de nuit rose, un pull rouge en écharpe, lourde et légère dans ses mots et dans ses gestes, âme cocasse un peu perdue, un peu brisée. Les interprètes entrent l'un après l'autre. On finit par découvrir que l'on est dans un asile de fous, où des collets montés, pantins du pouvoir, servent de caméras humaines, de vains scanners de l'âme. Les surveillants, bien entendu, sont aussi fous que les internés. Mais ici, de plus, surveillants et internés changent de rôle comme de chemise. C'est au fond le paradoxe du gardien et du prisonnier. Le gardien, pourtant libre, est condamné à vivre en prison. Il s'en dégage un sentiment de fraternité dans l'enfermement partagé. De cet asile à notre société toute entière, il n'y a qu'un pas que tout spectateur franchit aisément.
L'enfermement, c'est le cercle. La brèche c'est le désir. Genre oblique est un poème de l'enfermement et de la résistance, du désir étincelle et flamme de résistance à l'aliénation. Un poème du cercle, à l'image de la Méditerranée, arène circulaire. On y tourne en rond, au son funèbre des cuivres siciliens. Trompettes et tambours composent la musique sauvage du pouvoir, la mise à mort processionnelle de la liberté. Le rond tambour imprime son rythme au coeur. Comme la trompette (merci Jean-Pierre Drouet et Geoffoy Tamisier), il est ambivalent : tantôt mortuaire et normatif, tantôt débordant d'une vie échevelée, aiguisant la sensualité à vif des corps. Oh, le contraste des cols blancs et de la chair frémissante, quand les jambes parlent plus haut que la tête !
Genre oblique a la simplicité limpide et riche d'une fable. On n'est pas loin du Roi et l'Oiseau de Paul Grimault, dans la symbolique comme dans les combats. Mais ici la tyrannie qui aliène les âmes et les corps n'est pas celle d'un roi sans coeur, c'est la tyrannie de la normalité, d'une société contre l'individu.
Genre oblique réussit une synthèse parfaite du théâtre, de la musique et de la danse, comme un retour à la tragédie grecque. Le chant en moins, la satire en plus, et une sensualité puissante. Avec tout cela, c'est comme un hommage à Pina Bausch dans la musique (comment ne pas penser à La Plainte de l'impératrice ?) et dans les corps (Roser Montlló Guberna, toute en os musclés sous sa nuisette, comme une réincarnation latine de Pina). Et le cercle finit sur une brèche ouverte.