Rendez-vous avec l'Image. Une fascination et un intérêt qui se renouvellent chaque jour et qui évoluent au fil des années, de la fac d'Histoire et le plaisir de décortiquer les archives images plutôt que l'écrit; des premières expositions il y a, aie (:-)...plus de quinze ans, jusqu'à aujourd'hui. Et toujours ce plaisir de ressentir ce coup de foudre pour une photo, la rencontre avec l'univers d'un photographe comme ce fut le cas avec Sebastiao Salgado, Stanley Greene, Giorgia Fioro, Laurence Leblanc ou Rinko Kawauchi, pour ne citer qu'eux....
D'où l'impatience des Rencontres de la Photo... comme un rendez vous amoureux : l'attente, l'excitation de savoir qu'on va vivre un moment fort avec celles qui, en concentré sur quelques jours, embarquent dans des histoires aux multiples regards. Florilège de photos, d'univers qui témoignent, font voyager, réfléchir et regarder le monde toujours différemment. Je ne suis pas une "experte" et mon oeil n'est pas assez critique pour vous dire les bons et mauvais cotés de cette nouvelle édition, je me contenterai donc de vous dire les expositions que j'ai le plus savouré. Pour découvrir l'intégralité de la programmation, c'est par
Comme pour la précédente édition, il y a eu quelques "rencontres" et "moments phares" au sein d'une programmation écclectique intitulée du "Lourd et du piquant", entre la découverte de photographes argentins et une programmation rendant hommage aux photographes d'artistes et autres pépites...
et à l'Argentine l'honneur.
Leon Ferrari. Spectacle. 2003.
Avec Léon Ferrari, incroyable, brillant, provocant artiste plasticien, qui livre sa propre lecture de l'Histoire en détournant cartes postales et images. Comme cette photo ci dessous intitulée "spectacle". On rit de délice de ces propositions subversives d'intelligence. L'idée des Rencontres de lui accorder l'espace de l'Eglise Sainte Anne est audacieuse voir gonflée et renforce de façon pertinente le propos de l'artiste qui dénonce tous les excès et travers de l'Eglise, de ses frasques pendant la dictature argentine au nazisme...Tous les abus de pouvoir sont dénoncés sans ménagement...et jusqu'à la politique américaine sous l'ère Bush.
Marcos Lopez, kitchissime à souhait, propose dans des mises en scène très (trop) travaillées et excessivement colorées un portrait de "son" Argentine entre clichés et dénonciation. Les allusions sont multiples, là une réinterprétation d'Adam et Eve, plus loin une photo panoramique réinterprétation provocante de la "cène".
Dans un autre registre, en noir et blanc, Marcos Andadia photographie les mères des disparus pendant la dictature. Celles qui n'ont jamais cessé de baisser les bras et qui se réunissent chaque jeudi sur la place de mai. Avec ou sans foulard, il leur rend hommage avec douceur et subtilité et les photographie en portrait sur fond blanc, un cadrage serré sur leurs visages et leurs regards. Un poignant portrait de ses femmes aux regards profond et intenses pour ne pas oublier, un hommage aux disparus à travers celles qui restent et résistent. Un très beau travail sur la mémoire .
Et puis direction la promenade Rock a vec la ballade la plus troublante et poétique dans l'univers de David Wojranowicz. Artiste phare du NY underground, de l'East village des années 80, ami proche de Nan Goldin. On découvre dans une série intitulée "Rimbaud à NY", une des ses performances où il emprunte un masque avec une photo de Rimbaud pour relater son autobiographie. C'est magnifique, dur car tout le mal-être de l'artiste est là devant nous et on comprend son attachement à ce grand poète maudit d'une autre époque...
David Wojranowicz. Photo prise à Arles par Isa. F
Peter Hujar, Stephen Shore ou Robert Mapplethorpe sont exposés également. La scénographie est géniale, les murs recouverts de papier d'alu est un clin d'oeil à Billy Name qui avait recouvert les murs de la Factory de papier d'argent et d'alu. Les BO des Velvet Underground surgissent en fond sonore. On ressort avec le sentiment doucement mélancolique que cette époque sans limite artistique, qui nous a vu naitre, est belle et bien passée.
Dans le parc des ateliers, des photos interpellent et empêchent de regarder ailleurs...Par leur format d'abord, le cadrage élargi, les personnes mises en scène au milieu d'un paysage, d'un café ou d'un coin de rue, des hommes qui fixent la photo avec une intensité froide."the Innocents" est une commande du New York Times magazine et pour lequel Taryn Simon a reçu le prix "découverte" à Arles cette année. Toute la série présente des personnes condamnées et accusées de crime, qui ont fait de la prison et finalement ont été innocenté par les tests Adn.
Un reportage d'autant plus impactant qu'il révèle une faille importante du système judiciaire américain. Un coup de coeur de photographie documentaire que je ne m'attendais pas à découvrir à Arles, réputée pour son parti pris plus conceptuel... Ca fait du bien !
Autre coup de coeur du coté de la photo documentaire, Paolo Woods et sa série de photos sur la société iranienne, un projet qu'il a débuté en 2005 lorsque Amhadinejad a été élu. Avec son regard, les cadrages et les jeux de couleurs, il révèle toute la dualité de cette société, prise entre le poids flagrant de la tradition et de la religion et cette volonté d'émancipation, de modernisme et de liberté. Souvenir de cette photo de jeunes gens riches et habillés à la dernière mode avec en toile de fond, la piscine vide de leur villa. Une piscine vide au premier abord juste insolite, et qui devient un objet symbole d'une forme d'intégrime lorsqu'on apprend que les religieux interdisent de se baigner devant ses voisins. Toujours incongru, une classe d'université qui est en plein exercice, de rire! Il propose également une série de photos prises par des anonymes avec leurs mobiles lors des soulèvements de 2009 et dévoile ainsi toute la force de certains clichés pris sur le vif des émeutes et la force que peut avoir un journalisme citoyen, complémentaire de l'oeil du Photographe professionnel.
Photos de Paolo Woods.
Direction ensuite l'Eglise des frères prêcheurs où nous pouvons découvrir avec une scénographie qui s'apparente à un labyrinthe, la magnifique collection de Marin Karmitz. Ce passionné de photos suit et accompagne des photographes pour lesquels il a d'immenses coups de coeur. Une vraie sensibilité photographique mélant grands noms et jeunes photographes. Il jette son dévolu sur quelques uns en particulier et on admire notamment les photos de Michael Ackerman, (ma préférée, celle qu'il semble prendre de façon anodine, de l'homme de dos près d'un hôtel à Times Square, une image à la fois en mouvement et qui dénote une force tranquille), Christian Stromholm, le génial et piquant Duane Michaels ou encore les troublantes photos d' Antoine D'Agata.
Et pour finir, LE moment de grâce des Rencontres avec l'exposition consacrée à Mario Giacomelli, "Le noir attend le blanc" à la Chapelle Saint-Martin du Méjan. Les séries de ses photos sont très bien mises en avant. Avec ce noir et ce blanc, il raconte notamment sa vision de la vie,la mort, la vieillesse et la solitude dans sa série "la mort viendra et elle aura tes yeux". Souvenir d'une photo d'un couple de très vieilles personnes qui s'embrassent et se tiennent par la main comme s'ils partageaient ce moment pour l'éternité, souvenir des photos de moments d'une passion amoureuse suggérée, ou plus léger, la pause "récréative" de séminaristes qui se lancent des boules de neiges. Des moments de la vie, simples; capturés avec une profonde subtilité et justesse comme s'il se contentait de les effleurer pour mieux les révéler. Il n'y a rien d'autre à ajouter...sauf peut-être de se dire à quel point on est chanceux de vivre cet intense moment d'émotion artistique.
De quoi rester longtemps sur notre nuage...jusqu'à l'année prochaine.