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Whiplash

Publié le 15 février 2015 par Marcel & Simone @MarceletSimone

A travers ce qui prend aussi la forme d'un hommage touchant à la figure du Prof, le film tente d'expliquer, en luttant comme il peut contre l'idéologie de la tolérance, du relativisme et de l'égalitarisme, qu'un maître n'est pas l'égal de son élève et qu'à la hauteur de son pouvoir de domination peut correspondre la qualité et l'importance de son apprentissage. Tout ne se vaut pas, tout le monde ne mérite pas une médaille, et celui qui prétend à l'absolu (être Charlie Parker) n'a pas le temps de se soucier d'être sympa ou de s'offusquer que les autres ne le soient pas. En donnant une réponse assez claire sur le plan moral, Chazelle insiste sur la relation intime entre violence et progrès, souffrance intime et succès existentiel et artistique, impolitesse inadmissible et vérité universelle. La démonstration va tellement loin qu'elle tournerait presque à l'exercice de style, mais jamais elle ne perd sa cohérence. L'expression " dépassement de soi " est explorée sous tous ses aspects. L'élève est constamment en sueur et en sang, rejette les autres (dépassant certaines aspirations pour en laisser d'autres apparaître), et poursuit son œuvre comme une sorte de chevalier solitaire sur les traces du Destin, thème central qui unit les deux personnages.

Plutôt que d'opposer les gentils et les méchants (notions absentes du film quand on regarde de près), le film oppose des personnages habités par l'idée et le sentiment de Destin, et les autres. Un écrivain raté qui a abandonné pour se dévouer à sa famille, une fille qui ne sait pas quoi faire de sa vie, et nos héros qui poursuivent quelque chose d'abstrait et d'absolu, une vision mystique qui tient beaucoup à une conception délirante du temps. Une conscience accrue de l'Histoire (de multiples références au passé et l'image du Grand Homme à travers Charlie Parker) qui devient une obsession du travail à accomplir, du lendemain qui chante, en ignorant tout ce qui relève de la vulgarité de l'instant, c'est-à-dire la souffrance, l'humiliation et les relations humaines, ignorées ou bafouées, pour ne laisser place qu'à la pureté d'une partition et le respect précis de la mesure. Un caractère paradoxal à cette posture est bien sur évoqué : c'est à la fois une force de création et de destruction, une volonté et un abandon, une force vitale invincible et un fardeau pathologique. Mais l'auteur a la bonne idée de prendre parti pour ses personnages et d'éviter le syndrome du " oui et non ", du " ça dépend ". L'avocat des élèves n'a aucune importance, les voix dissonantes de l'entourage n'ont aucun poids, et il ne reste à la fin pour nous qu'une impression de sublime, c'est à dire l'accès à l'intemporel face auquel le reste est dérisoire. L'élève évoque cette idée en affirmant fermement viser le destin tragique de son héros, mort à l'âge du Christ dans un bain d'alcool et d'héroïne, mais remémoré, plutôt que de mourir vieux, riche et heureux dans son coin. Le professeur, ayant entrepris de dévouer son existence par tous les moyens à révéler au monde le prochain Louis Armstrong, poursuit lui son destin en interférant brutalement avec celui de ses élèves. Ainsi rassemblés dans un même mouvement, une même ambition, une même folie, une violence réciproque faîte d'harcèlements et de destructions, l'entretien de la souffrance comme puissance de création, les deux personnages s'élèvent et accomplissent un ouvrage important.


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