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Des jeux pour le bien commun : entretien avec Luke Hohmann

Publié le 09 avril 2015 par Diateino

Le 21 mars dernier, j’ai eu le privilège de m’entretenir, lors d’un Playcamp spécial Innovation Games organisé par le French Gamestorming User Group, avec Luke Hohmann, fondateur d’Innovation Games® et expert mondialement reconnu des « jeux sérieux ».

Des jeux pour le bien commun : entretien avec Luke Hohmann

Source : Meetup

A cette occasion, Luke avait présenté aux participants son travail mené avec la commune de San Jose, en Californie, pour permettre grâce aux jeux sérieux d’impliquer davantage les citoyens dans la gouvernance de la ville (expérience dont vous trouverez une description plus détaillée ici ainsi que dans ce billet).

Vous avez témoigné de votre envie d’utiliser les jeux d’innovation pour le bien commun, pouvez-vous nous en dire davantage ?

Il y a quelques années, je me suis retrouvé assis lors d’un trajet en avion à côté de Kim Walesh, qui est en charge du développement économique et de la stratégie de la ville de San Jose. Elle m’a fait part des difficultés que rencontrait la ville, et je lui ai dit que nous traitions des difficultés semblables en entreprise, par exemple : il y a 20 projets à financer, mais nous n’avons les moyens d’en financer que 10, comment choisir ? Puisque nous savions aider les entreprises à résoudre ce type de dilemmes, nous pouvions aussi aider la ville. Cela l’a intéressée, nous avons commencé à collaborer et cela s’est déroulé à merveille. Nous avons adapté un innovation game existant pour créer ce que nous avons appelé le « budget game ». La ville a fourni un lieu, et a réuni une centaine représentants des quartiers. Cette expérience a permis de démontrer que non seulement les jeux sérieux peuvent répondre aux besoins des entreprises, mais ils peuvent rendre service à l’humanité en permettant de résoudre des problèmes de fond. Nous ne sommes pas les seuls à l’avoir prouvé. Il y a une conférence appelée Games for Change, où des concepteurs de jeux sérieux travaillent à faire évoluer les comportements. Il y a aussi l’exemple d’un jeu comme Foldit, qui fait avancer la recherche sur les médicaments. Il y a une quantité incroyable d’opportunités pour les jeux sérieux de contribuer à la société de toutes sortes de manières. C’est aux concepteurs de jeux de décider s’ils veulent créer un jeu divertissant, ce qui est déjà bien, ou un jeu qui vise un but plus élevé. C’est ce que nous essayons de faire.

Quelle est la prochaine étape ?

Cela fait quatre ans que nous travaillons avec San Jose, et les discussions avec la ville se poursuivent. Au-delà des jeux de priorisation du budget ou de réduction des coûts, nous aimerions faire des jeux qui aident la ville à se développer. Nous avons un jeu qui s’appelle « élaguez l’arbre », qui utilise un arbre comme métaphore de la croissance ; il n’y a aucune raison qu’une ville ne puisse pas l’utiliser. De même, le jeu « Product Box » qui permet de créer une vision d’avenir de son produit ou service peut être adapté à une ville et ses citoyens. En un sens, choisir son lieu de vie est un peu comme choisir un produit.

Nous travaillons aussi avec nos facilitateurs européens, comme Jurgen De Smet, qui utilise les jeux de manière très intéressante avec les villes belges. Il se passe aussi des choses à Varsovie, Londres, Berlin, Munich. Nous discutons avec la chambre de commerce autrichienne. Cela ouvre des perspectives très intéressantes à tous ces facilitateurs qui ont des compétences extraordinaires en entreprise de toucher à de plus grands sujets.

Quel est le retour des citoyens de San Jose sur les Budget Games ?

Ils sont enthousiastes. Dans les entreprises comme les collectivités, les gens veulent se sentir impliqués. Surtout, ils ne veulent pas seulement qu’on leur demande de participer, mais ils veulent être sûrs que leur participation soit entendue et réellement appliquée. Et c’est le cas : les choix budgétaires de la ville découlent directement de ceux faits par les citoyens au cours du jeu. Ce n’est pas de la représentativité directe parce qu’il y a d’autres facteurs à prendre en compte, mais quand les participants au jeu voient que celui-ci a eu un impact, c’est bel et bien un jeu sérieux. Quand vous jouez au Scrabble ou à Colons de Catane, vous passez un bon moment, mais quand c’est fini, c’est fini. Mais quand vous jouez à un jeu sérieux, que vous choisissez des priorités budgétaires et que vous voyez que la ville modifie son budget en fonction de vos choix dans le jeu, la signification et l’impact sont complètement différents. C’est le cas en entreprise, mais ça peut être aussi bien le cas pour les collectivités.

Quels freins pourraient empêcher ces expériences de se développer à plus grande échelle ?

L’un d’entre eux est cette idée, présente dans de nombreuses cultures, que les jeux ne servent qu’à se divertir. Je pense qu’elle est en train de perdre du terrain et que les gens de la génération Y ne pensent pas comme cela. C’est peut-être une question de génération : une certaine génération pense que les jeux ne servent qu’à s’amuser, ce qui est contredit par l’Histoire des jeux. Pendant des milliers d’années on a utilisé des jeux de guerre. On parlait de manœuvres ou de jeux de guerre dans l’armée pour simuler, s’entraîner, et atteindre des objectifs hélas associés à la guerre, mais c’était tout ce qu’il y a de plus sérieux. Je pense que le principal obstacle à franchir est de faire en sorte que les gens comprennent que jouer ne signifie pas uniquement se divertir. Cela peut permettre de faire du bon travail riche de sens.

Pensez-vous que l’on puisse créer des jeux de paix ?

Oui, il y a d’ailleurs un jeu de paix qui a été créé conjointement par des développeurs israéliens et palestiniens, pour illustrer comment le conflit au Moyen-Orient pourrait être résorbé. Il y a déjà des jeux qui montrent comment créer la paix dans des temps et des zones où c’est un vrai défi.

Des jeux pour le bien commun : entretien avec Luke Hohmann

Source : meetup French Gamestorming User Group

Pensez-vous que le groupe soit plus intelligent que l’individu ?

Non, mais il y a certaines tâches pour lesquelles le groupe est plus intelligent que l’individu. Dans la communauté du jeu, nous sommes parvenus à le démontrer avec des choses comme les marchés prédictifs. Sur un marché prédictif, à grande échelle, le collectif devient plus intelligent que l’individu. Mais il faut faire attention, parce que la psychologie sociale nous a appris que les gens calquaient leur comportement sur celui des autres : cela ne veut pas dire que ce comportement soit meilleur ou plus noble. Sans vouloir donner une réponse de consultant, je dirais que l’intelligence du groupe par rapport à l’individu dépend de la nature du problème. Ce que nous cherchons à faire est de créer la sagesse qui nous permette d’identifier quand le groupe est plus intelligent, et de l’interroger dans ces cas-là.

A quoi ressemblerait le monde si les innovation games étaient utilisés dans toutes les entreprises, toutes les villes et tous les gouvernements ?

Le monde serait beaucoup plus gai, plus satisfait, et foncièrement plus sain. On y trouverait plus d’implication et d’empathie… et aussi beaucoup plus de sourires et de rires ! Un de mes clients de SAP m’a envoyé un e-mail après une session d’innovation games, dans lequel il me disait que le jeu avait été très constructif, qu’il en avait eu d’excellents retours, etc. Et tout à la fin, après avoir fait la liste de tous les résultats pour l’entreprise, il finissait par dire : « Et on ne peut pas le nier, on s’est aussi bien amusés. » C’est ce que nous cherchons.


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