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Oui, un roman de Thomas Bernhard

Par Etcetera

oui_bernhard L’histoire contée par ce roman tourne autour d’une scène initiale – une scène clé – au cours de laquelle le narrateur dépressif, qui vient de passer plusieurs mois dans une solitude abrutissante et destructrice, se présente chez son ami Moritz – un agent immobilier plus ou moins malhonnête – et lui fait une longue déclaration colérique et haineuse. Au moment où le narrateur a l’impression que sa déclaration est en train de le mener trop loin et qu’il est sur le point de basculer dans la folie, deux personnages font irruption dans la pièce : un couple d’une soixantaine d’années, l’homme étant un Suisse (désigné tout au long du roman comme « Le Suisse ») qui vient d’acquérir par le biais de Moritz un terrain lugubre et jusque là invendable, et la femme étant une persane peu loquace (désignée tout au long du roman comme « la Persane ») qui fascine aussitôt le narrateur et à laquelle il propose une promenade dans la forêt. (…)

Mon avis :
Le style de ce livre est tout à fait particulier et donne l’impression d’être pris dans un tourbillon verbal : les répétitions de mots et d’idées sont nombreuses, et les phrases font parfois plusieurs pages. La présence de toutes ces répétitions, couplée à cette impression de logorrhée, donne le sentiment que le narrateur est effectivement perturbé, en proie à des idées fixes, et qu’il est dans une sorte de continuel ressassement de ses problèmes, ce qui s’accorde bien à son caractère dépressif.
L’histoire m’a semblé marquée par une profonde désespérance : chacun – notamment le narrateur mais aussi la Persane – est confronté à la solitude et les tentatives faites pour sortir de cette solitude et nouer une communication véritable sont vouées à plus ou moins court terme à l’échec.
L’histoire de la Persane est particulièrement cruelle : elle suivait dans sa jeunesse de brillantes études et se montrait douée et intelligente, mais elle rencontre le Suisse et décide de sacrifier son avenir pour lui et de mettre à sa disposition son réseau d’amis et de relations, son ambition et ses capacités. Au lieu d’en être finalement remerciée, elle en sera au contraire cruellement punie par le Suisse, qui la pousse à la réclusion et à la destruction.
J’ai bien aimé ce sombre roman, à l’écriture entraînante et énergique, j’ai trouvé qu’il illustrait brillamment l’absurdité de la vie et la difficulté des relations humaines.

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Voici un extrait qui m’a paru révélateur de la philosophie de ce roman (pages 49-50) :

Mais tout ce qui doit être écrit a constamment besoin d’être recommencé à zéro et constamment tenté à nouveau, jusqu’au moment où c’est au moins approximativement réussi, mais jamais de manière pleinement satisfaisante. Et, aussi désespéré, aussi épouvantable et voué à l’échec que cela soit, chaque fois qu’on a un sujet qui, sans cesse et sans répit, vous torture obstinément, qui ne vous laisse pas en paix, il faudrait malgré tout essayer. Tout en ayant conscience que rien n’est jamais certain, que rien n’est jamais parfait, nous devons, même au milieu de la pire incertitude et des pires doutes, entreprendre et poursuivre la tâche que nous nous sommes donnée. Si nous renonçons toujours avant même d’avoir commencé, nous finissons dans le désespoir, et, pour finir, nous ne pouvons sortir de ce désespoir définitif et nous sommes perdus. De même que, chaque jour, il nous faut nous réveiller, commencer et poursuivre la tâche que nous nous sommes donnée, c’est-à-dire vouloir continuer à exister, tout simplement parce qu’il nous faut continuer à exister, de même une entreprise comme celle de fixer le souvenir de la compagne du Suisse, il nous faut la commencer, la poursuivre et ne pas nous laisser décourager par la première pensée qui nous vient à l’esprit, et qui, probablement, y reviendra constamment : celle que nous ne pouvons qu’échouer dans cette entreprise. Après tout, il n’existe que des tentatives échouées.



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