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La magie des mots, par Francesca Tremblay…

Publié le 17 avril 2015 par Chatquilouche @chatquilouche

Nous n’avions pas pensé qu’elle irait aussi loin. Du fin fond des retranchements de son âme, elle s’était extirpée. Elle avaitchat qui louche maykan alain gagnon francophonie
refait surface et nous faisait grâce d’un sourire énigmatique. La jeune silencieuse avait mille secrets à dévoiler, mais commençait, ce matin-là, par le secret qui nous attirait le plus. Qui nous tourmentait. Elle avait emprunté à la Mona Lisa, sur le livre d’art de la bibliothèque de l’école, cet air de femme mystérieuse. Elle, qui ne levait jamais les yeux sur l’univers qui l’entourait, portait maintenant son regard sur nous quatre qui épiions le moindre de ses gestes.

Il faut se le dire, la jeune femme ne nous laissait pas beaucoup de chances. Nous étions quatre petits bourdons s’agglomérant autour de cette fleur prête à être cueillie et du haut de nos treize ans, gamins que nous étions, nous ne savions comment attirer sur nous ne serait-ce qu’un de ses regards de velours. Juchés sur les tabourets du comptoir, commandant notre deuxième milkshake, nous lancions des œillades enamourées vers la belle Lolita qui portait bien la queue de cheval. En sirotant notre récompense des chauds jours d’été, nous nous lancions des défis à relever et nos arguments bidon étaient accentués de bonnes tapes dans le dos pour exciter notre jeune testostérone. Des défis du genre : le premier à lui adresser la parole. Le premier à la raccompagner jusqu’à chez-elle. Et la crème de la crème, le premier à l’inviter à danser un slow chez Bigband Bar. Même si nous ne pouvions pas aller dans ce club, rêver ne nous coûtait pas la peau des fesses ! Mais chaque fois, nous nous dégonflions et, lorsque nous terminions notre dernier milkshake à la fraise ou au chocolat, nous détalions sur nos bécanes, avec le regret de ne pas avoir osé et la poussière du gravier qui dissimulait l’enseigne de notre resto préféré que nous quittions.

Et un jour, une chose étrange se produisit. Elle nous regarda avec ce sourire énigmatique et un peu coquin qui commençait à poindre sur son visage couleur fleur de vanille. Des quatre intrépides que nous étions, nous nous transformâmes en statues de sel, qui, de surcroit, auraient été dévastées par la vague. Moment fatidique. Lequel de nous quatre elle allait choisir ?

Jean était le plus grand et le chef de notre bande. Un beau prospect pour une fille qui cherche un garçon pour sa beauté, mais pas pour une vie de famille.

Peter était le plus grassouillet, mais le plus charitable. On pouvait compter sur lui pour nous sortir du pétrin, et Dieu savait comment nous savions nous y enliser. Maman disait même que nous avions beaucoup de talent.

Timmy était roux à cause de sa mère irlandaise et de son père écossais ! Les plus vieux de l’école le tabassaient à cause de cette couleur et il se faisait appeler « Poils de Carottes ». Il était un peu espiègle et tourmenté…

Moi, je me prénommais Philippe. Pas trop petit, mais pas très grand non plus. Cheveux bruns, yeux bruns. J’aimais faire des coups, je tirais bien de la fronde et je gagnais souvent aux billes.

Chacun pourrait faire un bon parti.

Alors qu’elle se dirigeait vers nous, notre cœur cessa de battre. Nous étions devenus, en l’espace de quelques instants, de dangereux adversaires. Je me voyais étrangler Peter avec une clé de bras que mon père m’avait enseignée.   Ou encore, casser le nez à Jean, si grand et si beau, pour le dévisager. Je me suis même imaginé ridiculiser Timmy en le traitant de tache de rouille et en lui baissant son pantalon devant elle. Je voulais triompher de mes rivaux pour qu’elle me choisisse !

D’un coup de pied, je fis pivoter le tabouret pour faire face au comptoir, fuir ce regard. Je faisais l’indépendant. Alors que j’entendais le son de ses pas dans mon dos, je sus qu’elle se dirigeait toujours vers nous quand, soudain, je n’entendis plus rien. Du coin de l’œil, je la vis sauter au cou de Jimmy qui venait d’entrer dans le resto. Lui, c’était le chef d’une vraie bande de motards avec blouson de cuir et sourire fendant. Elle ne riait plus, il l’embrassait à pleine bouche ! Il faut dire que Marilyne avait 19 ans et qu’elle était le fantasme de tous les gars de notre âge…

Et là, mes potes ont respiré de nouveau.

— Ça a passé à un cheveu ! s’exclama Peter. Je crois que mon cœur s’est emballé parce que j’ai entendu une sorte de grondement sourd !

— Gros balourd ! lança, Timmy. C’est ton estomac qui a fait ce boucan…

— Ouais, c’était près. Si Jimmy n’était pas arrivé, je suis certain qu’elle venait vers moi, affirma Jean en peignant ses cheveux saturés de brillantine volée à son père. Comment as-tu pu te retourner si vite, Phil ?

En soupirant, je répondis :

— Si elle s’était adressée à nous, les gars, ça aurait pu être dangereux !

— Et pourquoi ? me demandèrent-ils à l’unisson.

— Pour rien… dis-je en faisant pivoter de nouveau mon tabouret pour appuyer mes coudes sur la surface du comptoir et balancer mes pieds paresseusement.

Derrière la vitrine du restaurant, je vis la belle Marilyne chevaucher la superbe moto de ce Jimmy à la noix. Ils partirent tous deux dans un raffut terrible. Et seulement là, je compris qu’une fille ne valait pas la peine que je me brouille avec mes potes.

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Cet été-là fut le dernier de nos étés à nous amuser. L’école avait recommencé si vite et les années ont passé. J’ai rencontré une merveilleuse femme qui est devenue la mienne et j’ai eu trois beaux enfants. Mais parfois, nostalgique, il m’arrive de retourner à ce petit resto et y commander un lait frappé au comptoir. Dès les premières saveurs, je me souviens de la belle Marilyne et de mes potes. Combien la vie était bonne quand elle avait un goût de fraise ou de chocolat.

Notice biographique

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En 2012, Francesca Tremblay quittait son poste à la Police militaire pour se consacrer à temps plein à la création– poésie, littérature populaire et illustration de ses ouvrages.  Dans la même année, elle fonde Publications Saguenay et devient la présidente de ce service d’aide à l’autoédition, qui a comme mission de conseiller les gens qui désirent autopublier leur livre.  À ce titre, elle remporte le premier prix du concours québécois en Entrepreneuriat du Saguenay–Lac-Saint-Jean, volet Création d’entreprises.  Elle participe à des lectures publiques et anime des rencontres littéraires.

Cette jeune femme a à son actif un recueil de poésie intitulé Dans un cadeau (2011), ainsi que deux romans jeunesse : Le médaillon ensorcelé et La quête d’Éléanore qui constituent les tomes 1 et 2 d’une trilogie : Le secret du livre enchanté.  Au printemps 2013, paraîtra le troisième tome, La statue de pierre.  Plusieurs autres projets d’écriture sont en chantier, dont un recueil de poèmes et de nouvelles.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)

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