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un fils, de Maupassant

Publié le 18 avril 2015 par Dubruel

~~d'après UN FILS de Maupassant

À Primel-Trégastel, En sortant de ma chambre d'hôtel, Je croisai la servante, Une jolie fille à la gorge puissante. Je la saisis brusquement, Plutôt par plaisanterie qu'autrement, Et la jetai chez moi.

La jeune bretonne Me regardait, pleine d'effroi. Affolée, épouvantée, elle n'osait crier De peur sans doute d'être chassée Par sa patronne. Alors, le désir de la posséder M'envahit. Elle résistait Mais épuisée, elle tomba ; Je la pris. Puis elle se leva Et sans rien dire, s'enfuit.

Je ne l'ai pas revue les jours suivants. Mais la veille de mon départ, à minuit, Elle entra chez moi, Nu-pieds, en chemise et se jeta dans mes bras. Elle m'étreignit passionnément, Et me donna toutes les tendresses, Toutes les caresses.

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Je retournai dans le Finistère Trente ans après pour vendre une terre. Je descendis dans le même hôtel De Primel-Trégastel Qui me semblait N'avoir nullement changé. Comme l'aubergiste me servait, Je lui demandais : -" Je suis venu ici, il y a trente ans. Avez-vous connu les anciens patrons De cette maison ? " -" C'étaient mes parents. " -" Et de la servante, vous vous en rappelez ? -" Oui. Y a un an qu'elle est décédée. " Et tendant sa main Vers le jardin Il me montre un homme sale, en tablier, Qui pelletait du fumier : -" Son fils, c'est lui. " J'ai ri : -" Il ne ressemble guère À sa mère. Il tient, sans doute, du papa. " -" Ça s' peut bien, ça. On n'a jamais su qui c'était. Elle est morte sans en parler. "

Je regardai l'employé... Il avait mon nez ! L'aubergiste a ajouté : -" Ça a été gardé ici par charité. Peut-être qu'il aurait mieux tourné Si on l'avait élevé normalement. Mais pas de père, pas d'argent, Mes parents ont eu pitié. "

Je résolus de connaître La date de naissance De ce pauvre être. (Une différence de deux mois Ne m'aurait pas laissé de doute.) Je me procurai son acte de naissance. Il était entré dans la vie un 26 Août. Soit presque neuf mois Après mon premier passage ici. En pesant mes chances de paternité Je me suis persuadé Que cet homme était mon fils.

Je fis venir l'hôtelier, Et lui dis que je voulais Faire quelque chose pour ce malheureux, Abandonné de tous, privé de tout. -" Oh ! N'y songez pas, monsieur, Vous n'en auriez que du désagrément Surtout, ne lui donnez pas d'argent. L'eau-de-vie le rend fou. S'il avait deux sous, il les boirait. "

Le cœur broyé, je suis rentré à Paris. Mais depuis, chaque année, je reviens ici. Si j'ai besoin de l'observer, Sa vue ne fait que me torturer. Je le regarde portant les seaux, Donnant du fourrage aux chevaux, Entassant le fumier Derrière l'écurie, Et je me répète : " C'est mon fils. "


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