"Objets inanimés avez-vous donc une âme...?" Non pas natures mortes, mais Still life, tableaux vivants répond Lydia Flem dans l'exposition que lui consacre actuellement la maison européenne de la photographie à Paris
De Georges Pérec à Philippe Delerm, les écrivains qui sont partis de ces "choses" si ordinaires du quotidien pour nous raconter notre propre vie se délectent de cette aptitude à faire parler ce qui pourrait paraître si banal. Cette petite musique des écrivains se retrouve dans les photographies de Lydia Flem, « Photographie de chambre, comme une musique » écrit -elle.
"Journal de bord implicite"
Car l'artiste-photographe est d'abord écrivain et psychanalyste. Son expérience récente de photographe (2008) s'exprime ici dans un contexte particulièrement douloureux: « Ces photographies sont nées d’une nécessité : créer un monde imaginaire pour reprendre pied dans la réalité, transformer la douleur en beauté, l’aléa en élan. ». On devine que cette période très difficile de ce que l'on appellera une longue maladie sert de matrice à cette enquête photographique autobiographique. Le Journal de bord implicite, tenu au fil des mois, est composé par cette recherche dont les règles ne sont pas connues à l'avance. Au plan matériel, il s'agit d' assembler quelques objets à portée de main, trouvés au hasard d’une poche, d’un tiroir, sur le rebord d’une fenêtre, dans le désordre des jours et des lieux : jeu de cartes, mètre ruban, racine de gingembre, plume, clefs, loupe, puis de les disposer sur une surface : table, bureau, console, plancher. Mais ceci n'est que le point de départ d'une stratégie élaborée : " Il me faut composer des mises en scène éphémères, tels des songes, des jeux secrets qui en un instant pourraient contenir, enserrer, le tourbillonnement des sensations, l’excès des émotions".
La photographie s'enrichit alors d'un statut nouveau : l'enquête engagée par Lydia Flem n'aboutit pas à fixer objectivement une exploration scientifique ou géographique, ni même à figer une scène de crime. Son enquête vise à s’engouffrer dans l’inconscient optique, forcer le réel à se plier à une autre dimension. Si bien que l'agencement photographique des objets a mission d'interroger la photographe elle-même, dans son parcours douloureux, dans sa façon de se raccrocher au réel autrement qu'avec des mots. Dans le même temps, la photographe nous place également devant une énigme à décrypter. Saurons-nous apporter quelques éléments de lecture à ces clefs d’hôtels lestées de leurs énormes porte-clefs disproportionnés que nous avons tout utilisés sans les voir ? A quelle histoire nous ramène ces objets ? Qui écrira le roman de ces clefs d'hôtels ? On en revient à Philippe Delerm et sa délicieuse et légère façon d'écrire cette histoire invisible. Postmémoire
L’enquête de Lydia Flem, elle, ne relève pas de la même légèreté mais au contraire de l'impérieuse nécessité de sortir de la maladie par le haut, par le rattachement au monde à l'aide de son appareil photographique et des ces quelques objets du quotidien qui jouent alors un rôle majeur. La notion de postmémoire, terme créé par le professeur américain Marianne Hirsch pour décrire l’expérience d’artistes qui ont grandi entourés des récits de survivants de la deuxième guerre mondiale, réapparait au sujet de Lydia Flem. La relation photographie/mémoire est riche en enseignements. Les photos de famille construisent les familles autant que les familles les construisent. L'agencement photographique auquel se livre Lydia Flem a, semble-t-il, beaucoup participé à sa propre reconstruction après la traversée de son drame personnel.
Lydia Flem "Journal implicite"
Du 15 avril au 14 juin 2015
La maison Européenne de la Photographie
5/7 Rue de Fourcy
75004 Paris