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Tout est-il pur pour qui est pur ?

Publié le 26 avril 2015 par Anargala
Tout est-il pur pour qui est pur ?

Une idée centrale du tantra non-duel est que les choses sont ce que nous jugeons qu'elles sont. Ainsi, '"il n'y a pas de phénomènes moraux, mais seulement des interprétations morales des phénomènes", comme dit Nietzsche. J'avais cité Abhinavagupta allant dans ce sens, qui faisait allusion à la croyance selon laquelle on peut neutraliser un poison en s'imaginant être un aigle, un garouda en sanskrit. Cette idée est fort courante. On la retrouve dans de nombreux textes bouddhistes, et elle est la base de tout un ensemble de tantras destiné à neutraliser les venins de serpent, cause de mortalité toujours importante en Inde. Voici un autre extrait qui fait allusion à cette croyance à la toute-puissance de l'imagination, un extrait de la Pureté de l'âme (Citta-vishuddhi, 30-31), texte tantrique bouddhiste qui défend l'idée que tout est imaginaire :Pour le yogi dont les intentions sont pures,(Même si son esprit) est subjugué Par ce poison qu’est le feu de la passion,Le désir qu’il nourrit Envers les femmes désirablesEst de fait un désir Qui le conduit à être délivré des désirs.

De même, si on s’imagine être un garoudaCe garouda peut ingérer le poison (Sans en souffrir).On a alors neutralisé le poison.On ne sera donc pas terrassé par lui.

Seulement, si tout est imagination et construction mentale, qui construit ? Le "grand moi" ou le "petit moi" ?Ce texte, comme d'ailleurs le New Age (loi d'attraction, pensée positive, transurfing et autres machins quantiques...), laisse planer une ambiguïté : est-ce que c'est l'individu qui imagine, ou une source transpersonnelle, pour ne pas dire Dieu ?S'il n'y a que l'individu, si c'est lui seulement qui imagine, qui imagine le monde et qui s'imagine lui-même en une sorte de monologue perpétuel, alors "il n'y a que moi qui existe", c'est le solipsismeEt le résultat n'est pas beau à voir. Chacun se renferme sur soi-même en répétant ces mantras : "à chacun sa vérité", "tout est croyance", "la réalité est ce que je ressens dans l'instant", etc. Il n'y a alors plus de distinction entre l'objectif et le subjectif - tout est subjectif. Il n'y a plus de vrai, ni de beau, ni de bien, ni de juste. Il n'y a plus que ce qui arrive dans l'instant, neutre, impersonnel, malléable. Mais, comme les désirs de la personne demeurent... l'individu qui adhère à ces slogans adopte généralement un comportement égoïste, immature, tel une sorte d'adolescent attardé. Et il souffre. Cette voie-là est une impasse.Mais comment distinguer rêve et réalité si "tout est imaginaire" ? Comment ne pas croire que "tout est croyance" si il n'existe pas de réalité séparée de moi ?La réponse est qu'il faut distinguer entre ce qui est imaginé par Dieu, c'est-à-dire le monde, et ce qui est imaginé par Dieu identifié à tel individu, c'est-à-dire "son" monde à lui. Ce monde personnel est privé. Il est imaginé sur la base du monde objectif, qui est imaginé par Dieu. Mais ces deux sortes d'imagination doivent être soigneusement distinguées !Dieu et un individu, ce n'est pas pareil. Le rêve de Dieu est notre réalité. Mais les réalités que nous imaginons ne deviennent pas LA réalité. Et même, le peu que nous pouvons imaginer est fondé sur la puissance de la Source. A chaque fois que nous imaginons, que nous agissons ou que nous pensons, nous nous identifions inconsciemment à Dieu. Plus nous nous identifions à cette Source, plus nos rêves deviennent réalité. Ou plutôt, la réalité correspond de plus en plus à nos rêves. Non pas que nous devenions résignés, passifs devant les imperfections et les injustices du monde (ce qui est une autre forme d'égoïsme, courante dans la spiritualité), mais nous sommes plus en paix, plus libres et joyeux. Ce qui, paradoxalement, nous rend plus disponibles et efficaces pour agir et changer ce monde.Donc non, tout n'est pas imaginaire au sens ou tout serait imaginé par l'individu. Mais tout est bel et bien imaginé par cela qui, en moi, m'imagine et imagine tout le reste. Et cela est le Soi, plus moi que moi, le Soi de tout et de tous, la Source universelle. Il suffit de se retourner pour qu'elle se contemple elle-même par elle-même, sans intermédiaire ni croyance.Or, comme il existe ainsi une différence entre mes rêves et la réalité, entre ce qui est subjectif et ce qui relève de l'objectivité, il s'ensuit que le Bien et le Mal ne sont pas toujours subjectifs. De même pour le Beau, le Vrai et le Juste. Si tel fait me semble injuste ou mauvais, cela ne correspond pas nécessairement à une croyance subjective. Cela peut être l'effet d'un sens inné du Bien et du Mal telle que la Source l'a décidé. Bien entendu, ce rêve de la Source est aussi un rêve, une création imaginaire. De fait, le Bien est relatif au Mal : ce sont des constructions. Mais qui ne dépendent pas de mon "petit moi". Le Bien et le Mal s'imposent à moi comme des faits. Du reste, ceux qui écoutent leur conscience savent bien que sa voix ne va pas toujours dans le sens de notre avantage égoïste ! Et c'est pourquoi on choisi bien souvent de ne pas écouter cette voix.De plus, et même si la Source, substance de tout et de tous, est par-delà Bien et Mal qui sont des constructions relatives, cela n'implique pas que la Source, ou Dieu, ou la Déesse, soit neutre, indifférente. Non, car, même s'ils sont relatifs, Bien et Mal ne sont pas égaux, ils ne relèvent pas des même causes : le Bien est la Source elle-même, la Lumière. Le Mal est son absence, son ombre. Ou alors, disons que le Mal est la manifestation déformée du Bien, ou la Lumière incomplète. Ou bien, disons que le Bien est toute action ou parole dérivé d'une claire conscience de ne faire qu'un avec la Source, tandis que le Mal est le fruit d'une conscience confuse, qui s'identifie à un fragment du tout. De sorte que la Source est le Bien absolu qui transcende le Bien relatif.En tous les cas, Bien et Mal ne sont pas simplement des inventions de l'individu.


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