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un chômeur désespéré

Publié le 29 avril 2015 par Dubruel

~~d'après LE VAGABOND de Maupassant

Depuis plus d'un mois, Il cherchait un emploi. Il voulait quitter Ville-Avaray Parce que l'ouvrage manquait. Si Jacques Legal, Compagnon-charpentier de vingt-cinq ans, Vaillant, fort et grand Ne partait pas, Il n'avait plus qu'à croiser les bras Dans le chômage général.

Il s'était informé à la mairie : On trouvait à s'occuper dans le Berry. Il était donc parti là-bas Muni de ses papiers et certificats. Il fut tour à tour terrassier, Valet de ferme, puisatier. Il cassa du bois, lia des fagots, Mêla du mortier, cueillit des haricots. Mais depuis huit jours, il ne trouvait plus rien. Il en fut réduit à ne manger que du pain.

Ce jeûne et la recherche obstinée D'un travail le fatiguaient Et l'emplissaient de colère. Il grognait : '' Misère !... Me laisser crever,... Tas de cochons... Pas quatre sous...Tas de cochons !...'' Alors, il retourna à Ville d'Avaray Si la charpente n'allait point, Il faucherait le foin, Deviendrait manœuvre, casseur de cailloux... Quand il ne gagnerait Que vingt sous Par jour Ce serait toujours De quoi manger.

Un matin, Sur le chemin, Voyant une vache dans un pré, Il enjamba le fossé, Se coucha sur le dos Entre les pattes de l'animal, Et but le lait tiède, pressant Méthodiquement Le pis gonflé et chaud Qui sentait l'étable.

Puis, croisant une sorte de bourgeois, Il lui demanda : -" Je cherche du travail depuis deux mois. Je n'ai plus un sou. Pourriez-vous me donner..." Cet homme était le maire. Il répliqua : -" Si vous ne filez pas, je vous fais ramasser. Vous n'avez donc pas lu l'avis Affiché à l'entrée du pays : Ici, il est interdit de mendier. " -" Faites-moi ramasser Ainsi, je ne mourrai pas de faim ce soir. " Et, sur le bord du fossé, il alla s'asseoir.

Vingt minutes après, Deux gendarmes le menottaient. Legal ne se défendit pas. Le brigadier lui demanda : -" D'où venez-vous ? " -" Y a trop d' pays qu' j'ai traversé. " -" Où allez-vous ? " -" À Ville-Avaray, En Normandie. " -" C'est votre pays ? " -" Oui. " -" Pourquoi en êtes-vous parti ? " -" Pour chercher un emploi. " Se tournant vers son équipier, Le brigadier s'exaspérait : -" Je la connais, celle-là, moi. Ils disent tous ça, Ces bougres-là. Vous avez des papiers ? " -" Oui. " -" Donnez-les. " Legal les tendit Au soldat Qui épela Le nom et l'adresse en ânonnant, Puis constatant Qu'ils étaient en règle, il les rendit Avec l'air mécontent De celui qui vient d'être joué.

Le brigadier l'a encore interrogé : -" Vous avez de l'argent ? " -" Non. " -" Pas un sou, rien ? " -" Rien. " -" De quoi vivez-vous ? " -" De ce qu'on me donne. " -" Mendiez-vous ? " -" Cela m'arrive, oui. " -" Ah ! J' vous prends en flagrant délit De vagabondage et de mendicité. Je vous enjoins de nous accompagner. " -" Oui, coffrez-moi ! Ça me donnera un toit. " Et Legal fut mené à la mairie.

En le voyant, le maire s'écria : -" Ah ! Ah ! Vous revoilà. Je vous avais bien dit Que je vous ferai coffrer. Eh bien, brigadier, qu'est-ce que c'est ? " Le brigadier répondit : -" Un vagabond sans argent sur lui, Arrêté en état de mendicité. " Le maire dit : -" Montrez-moi ses papiers. " Il les prit, les lut, les relut, les rendit, Puis ordonna : -" Fouillez-le. " On le fouilla. On ne trouva rien. -" Que faisiez-vous sur la route, ce matin ? " -" Je cherchai de l'ouvrage. " -" Sur la grand-route,... de l'ouvrage ? " -" Je ne trouverai pas d'emploi Si je me cachais dans les bois " -" Je vais vous rendre votre liberté, Mais que je ne vous y reprenne pas. " Dit le magistrat.

-" J'aime mieux que vous me gardiez. " -" Non, dégagez ! " -" Donnez-moi au moins à manger. " Le maire, indigné, Répliqua : -" Il ne manquerait plus que ça ! Ah ! Elle est forte, celle-là ! " Legal reprit avec fermeté : -" Si vous ne me donnez pas à manger, Vous allez me forcer À mal tourner. " Le maire s'était levé : -" Emmenez-le, parce que je vais me fâcher. " Les gendarmes jetèrent à la rue le charpentier.

Sur sa route, Legal croisa une jeune fille Qui allait à la ville. Soulevé par une envie Plus dévorante que la faim, Il la saisit Et la culbuta dans un petit chemin. Elle céda, pas très fâchée, Car il était vigoureux, le gars. Épouvanté de ce qu'il avait fait, Legal se sauva De toute la vitesse de ses jarrets. Puis s'étendit dans un fossé Et s'assoupit.

Quand il s'est réveillé, Les gendarmes le secouaient, Lui liaient les poignets Prêts, s'il faisait un geste, à le rudoyer : -" Ah ! Gredin, ah ! Garnement, Tu les tiens tes vingt ans ! On savait qu'on te repincerait. " Lui dit le brigadier En se frottant les mains, content Comme il l'avait été rarement.


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