Je ne sais trop qui parlerait ainsi
j’ai menti beaucoup menti le moins possible mais beaucoup
et la parole était sacrée encore et le mensonge un crime au moins encore vaguement un crime
il était encore question de la parole et de tenir la parole
je vous parle simplement de l’enfance au moins la mienne
et d’abord il fallait la fermer apprendre à la fermer et la fermer vraiment
je ne sais pas si vous me comprenez
puis il n’a plus fallu la fermer mais l’ouvrir et l’ouvrir et l’ouvrir
et l’on ne s’est pas aperçu alors que l’on ne savait plus parler ni tenir la parole
on ne s’est aperçu de rien à cause de l’immédiate apparence du gain voilà on ne s’est pas aperçu de l’immensité de la perte
et les superlatifs surabsolutisés se sont seulement fondus en un brouhaha inaudible et en une superposition de brouhahas inaudibles sur tous les canaux humains et techniques imaginables
et ce fut n’est-ce pas magnifique cette liberté soudain conquise
une illusion d’abord ne s’avoue jamais telle et c’était merveilleux il n’y avait plus qu’à se préoccuper de ce qu’on disait soi
et du plaisir solitaire qu’on y prenait puisque personne hormis soi n’y entendait plus rien
et chaque homme s’est trouvé isolé enfermé dans une parodie de liberté débile
l’autre jour j’ai demandé à un jeune homme face à moi de ranger son téléphone qu’il avait à la main
et toujours face à moi il m’a répondu son téléphone à la main qu’il n’avait pas son téléphone à la main
et sa voix portait une telle assurance une assurance de jeune homme offensé et tout à fait en droit de se défendre face à mon agression
que je me suis dit qu’il avait bien raison et en fait c’est le seul moyen de le tuer que j’aie trouvé sur-le-champ
et j’ai espéré qu’un jour il sauterait du haut d’un gratte-ciel en étant certain qu’il ne lui arriverait rien parce que c’était lui
et qu’il savait que sa parole le séparait du monde commun puisqu’il devait demeurer à ses propres yeux une sorte d’idole parfaitement indiscutable
c’était un jeune homme perdu qui étudiait la science politique ou plutôt ce qu’appellent ainsi des adultes qui pensent comme lui
que ce qu’il disent et quoi que ce soit immédiatement est la réalité
et je peux vous assurer que dans ma faiblesse à ce moment précis j’étais mauvais mais mauvais et je souhaitais sa mort
sa mort physique réelle et bien évidemment hélas elle n’est pas immédiatement advenue
la parole immédiate est vérité immédiate désormais me suis-je amusé à penser
et la parole en quelque sorte s’est déliée du temps
une promesse un serment ne disent plus rien d’un avenir auquel on ne tient plus par rien mais seulement l’intensité voulue de l’instant où ils sont énoncés
et j’ai menti aussi j’ai tenu des toujours qui étaient des calculs un pari sur ce qu’ils allaient immédiatement produire et très souvent j’ai gagné ces paris dégueulasses
mon toujours vaut seulement tout de suite
(je me suis dit aussi que bien malgré eux il y avait dans la façon dont les gamins aujourd’hui emploient trop pour très quelque chose qui se trahissait qui se disait encore une sorte malgré soi de scrupule amoché)
et moi aussi j’ai promis des fariboles avec une intensité dingue pour obtenir d’immédiates redditions et nombre de fois je m’en suis trouvé bien m’en suis félicité
la satisfaction immédiate a ses charmes et l’oubli fait le reste
c’est pour cela sans doute que ce monde est si féru d’oubli si féru de son propre oubli si considérablement employé à la disparition de toute mémoire et de toute histoire et peut-être au fond de toute parole mémorable
alors j’oublie ce que je dis tout ce que je dis tant je sais que ça ne vaut rien du tout
et tenir sa parole impliquerait pour moi de ne plus dire un mot de taire toutes ces folies au moins jusqu’à ma mort
ou jusqu’à ce que j’aie trouvé une parole enfin que je pourrais tenir tout de suite et puis encore ensuite tenir en acte
je ne vaux pas mieux que ces autres salopards autour de moi à ceci près que mon enfance a fait que je le sais
que je sais que je mens que ma parole n’est plus tenue en rien
puisque je parle encore quand je devrais me taire
sachant que ce que je dis ne pourra pas être tenu par moi-même et que par lâcheté je n’ai aucune intention de rien tenir de tout ce que je dis
manquant ainsi que tout ce monde de la foi la plus élémentaire en tout ce que je dis
et participant de bon cœur à ce crime fondant au brouhaha tout inarticulé des milliards de paroles incessamment lancées
Je ne sais trop qui parlerait ainsi
j’ai menti beaucoup menti le moins possible mais beaucoup
et la parole était sacrée encore et le mensonge un crime au moins encore vaguement un crime
il était encore question de la parole et de tenir la parole
je vous parle simplement de l’enfance au moins la mienne
et d’abord il fallait la fermer apprendre à la fermer et la fermer vraiment
je ne sais pas si vous me comprenez
puis il n’a plus fallu la fermer mais l’ouvrir et l’ouvrir et l’ouvrir
et l’on ne s’est pas aperçu alors que l’on ne savait plus parler ni tenir la parole
on ne s’est aperçu de rien à cause de l’immédiate apparence du gain voilà on ne s’est pas aperçu de l’immensité de la perte
et les superlatifs surabsolutisés se sont seulement fondus en un brouhaha inaudible et en une superposition de brouhahas inaudibles sur tous les canaux humains et techniques imaginables
et ce fut n’est-ce pas magnifique cette liberté soudain conquise
une illusion d’abord ne s’avoue jamais telle et c’était merveilleux il n’y avait plus qu’à se préoccuper de ce qu’on disait soi
et du plaisir solitaire qu’on y prenait puisque personne hormis soi n’y entendait plus rien
et chaque homme s’est trouvé isolé enfermé dans une parodie de liberté débile
l’autre jour j’ai demandé à un jeune homme face à moi de ranger son téléphone qu’il avait à la main
et toujours face à moi il m’a répondu son téléphone à la main qu’il n’avait pas son téléphone à la main
et sa voix portait une telle assurance une assurance de jeune homme offensé et tout à fait en droit de se défendre face à mon agression
que je me suis dit qu’il avait bien raison et en fait c’est le seul moyen de le tuer que j’aie trouvé sur-le-champ
et j’ai espéré qu’un jour il sauterait du haut d’un gratte-ciel en étant certain qu’il ne lui arriverait rien parce que c’était lui
et qu’il savait que sa parole le séparait du monde commun puisqu’il devait demeurer à ses propres yeux une sorte d’idole parfaitement indiscutable
c’était un jeune homme perdu qui étudiait la science politique ou plutôt ce qu’appellent ainsi des adultes qui pensent comme lui
que ce qu’il disent et quoi que ce soit immédiatement est la réalité
et je peux vous assurer que dans ma faiblesse à ce moment précis j’étais mauvais mais mauvais et je souhaitais sa mort
sa mort physique réelle et bien évidemment hélas elle n’est pas immédiatement advenue
la parole immédiate est vérité immédiate désormais me suis-je amusé à penser
et la parole en quelque sorte s’est déliée du temps
une promesse un serment ne disent plus rien d’un avenir auquel on ne tient plus par rien mais seulement l’intensité voulue de l’instant où ils sont énoncés
et j’ai menti aussi j’ai tenu des toujours qui étaient des calculs un pari sur ce qu’ils allaient immédiatement produire et très souvent j’ai gagné ces paris dégueulasses
mon toujours vaut seulement tout de suite
(je me suis dit aussi que bien malgré eux il y avait dans la façon dont les gamins aujourd’hui emploient trop pour très quelque chose qui se trahissait qui se disait encore une sorte malgré soi de scrupule amoché)
et moi aussi j’ai promis des fariboles avec une intensité dingue pour obtenir d’immédiates redditions et nombre de fois je m’en suis trouvé bien m’en suis félicité
la satisfaction immédiate a ses charmes et l’oubli fait le reste
c’est pour cela sans doute que ce monde est si féru d’oubli si féru de son propre oubli si considérablement employé à la disparition de toute mémoire et de toute histoire et peut-être au fond de toute parole mémorable
alors j’oublie ce que je dis tout ce que je dis tant je sais que ça ne vaut rien du tout
et tenir sa parole impliquerait pour moi de ne plus dire un mot de taire toutes ces folies au moins jusqu’à ma mort
ou jusqu’à ce que j’aie trouvé une parole enfin que je pourrais tenir tout de suite et puis encore ensuite tenir en acte
je ne vaux pas mieux que ces autres salopards autour de moi à ceci près que mon enfance a fait que je le sais
que je sais que je mens que ma parole n’est plus tenue en rien
puisque je parle encore quand je devrais me taire
sachant que ce que je dis ne pourra pas être tenu par moi-même et que par lâcheté je n’ai aucune intention de rien tenir de tout ce que je dis
manquant ainsi que tout ce monde de la foi la plus élémentaire en tout ce que je dis
et participant de bon cœur à ce crime fondant au brouhaha tout inarticulé des milliards de paroles incessamment lancées