Non, ne criez pas à l'acharnement pour ce deuxième billet au titre latin en trois billets, mais c'est celui qui m'est venu le plus naturellement à l'esprit en repensant à notre livre du jour. Car oui, le temps s'enfuit, pour traduire littéralement cette expression. Pour ce qui nous intéresse, j'irais même jusqu'à dire qu'il fuit et, vous me connaissez, dès qu'il s'agit de jouer sur les mots, rien ne m'arrête. Attardons-nous sur un court roman de science-fiction dont le thème central est ce fichu temps qui passe toujours trop vite, a-t-on coutume de dire... Dans "Sale temps" (publié chez Rivière Blanche), Lou Jan nous fait voyager de mondes en mondes, à la découverte du temps et de l'usage qu'on en fait. Et, plus que jamais, c'est lorsqu'il vient à manquer qu'on se rend véritablement compte de son importance, et pas seulement dans notre quotidien.
Cocorico ! Olgann est le plus grand champion de ski du moment. Un sportif pratiquement imbattable lorsqu'il s'élance sur les pentes enneigées et entre les portes des courses qu'il dispute. Un palmarès long comme le bras, qu'il entend encore enrichir quelques saisons, tant que son corps le lui permettra. Et, pour cela, il bénéficie d'un atout maître.
Olgann sait influer à volonté sur le temps. Bien sûr, cette technique, totalement scandaleuse et contraire aux règles et au fair-play le plus élémentaire, demande un certain tact. Car, le skieur, ne peut se permettre que de gagner un dixième par-ci, un autre par-là, au long du parcours, et pas d'un seul coup, ce qui serait bien trop visible.
Et même s'il se pose bien de temps en temps la question de l'honnêteté de ses victoires, force est de reconnaître que la concurrence l'aurait déjà dépassé si lui n'avait pas cette façon si particulière de se surpasser. Alors, parce que l'important, pour Olgann, c'est de gagner, et non seulement de participer, n'en déplaise au baron de Coubertin, il continue, mais doit grappiller de plus en plus de temps...
Mais Olgann ne triche pas qu'en compétition. Dans la vie, aussi, en particulier avec les femmes. Oh, le garçon est fort beau, séduisant, auréolé de gloire, il n'a donc pas de mal à séduire, mais il ne peut s'empêcher pour autant de profiter de ses conquêtes, et des femmes qui lui plaisent en général. Un simple arrêt sur images pour elles et l'odieux Olgann peut s'en donner à coeur joie.
Jusqu'au jour où il rencontre Céraline. D'où sort-elle ? Il n'en a aucune idée, mais elle est... différente, sans qu'il puisse véritablement expliquer ce que cela signifie. Cela ne l'empêche pas de faire son numéro, mais la jeune femme l'intrigue, le séduit, le désarçonne. Mais elle a d'autres idées en tête : rencontrer Mirenelle, dirigeante d'une importante société qui sponsorise justement le skieur.
Que peut bien vouloir Céraline et surtout, qui est-elle, voilà l'un des enjeux de ce roman. Car c'est ce personnage qui va conditionner tout le reste de l'histoire. Et Céraline est effectivement quelqu'un de différent. Elle vient d'un autre monde, une dimension parallèle qui ressemble au nôtre mais qui est très différente.
Le temps, particulièrement, n'y tient pas du tout la même place que dans le nôtre. Enfin, celui d'Olgann le skieur. Mais, là-bas, Céraline est malade, un mal qui lui vient de ce temps qu'on lui vole, qu'on lui suce, presque, comme s'il s'agissait d'une substance vitale. Voilà pourquoi elle a choisi de faire le douloureux voyage d'un monde à l'autre : pour que cela cesse.
Hélas, rien ne va vraiment se passer comme Céraline le voudrait. Et bientôt, Olgann, Mirenelle et elle vont se retrouver embarqués dans une incroyable course contre la montre, entre mondes parallèles pour essayer d'endiguer le mal, tant qu'il est encore tant. Car, tel un sablier, le temps qui s'écoule d'un côté disparaît de l'autre et un monde est en danger d'extinction.
Pardonnez-moi, j'essaye de ne pas trop en dire, mais je trouvais important tout de même de planter le décor de ce livre. J'ai laissé dans l'ombre beaucoup d'aspects que le lecteur pourra découvrir, et surtout, les événements surprenants qui attendent le trio de protagonistes de "Sale temps". Un roman qui, malgré le fond dramatique qui lance son intrigue, est ensuite plein de folie et d'idées amusantes, presque burlesques.
J'ai beaucoup apprécié la réflexion sur le temps et son influence sur les populations qui, à leur tour, vont voir leur action sur le temps avoir des conséquences. Le monde d'Olgann et de Mirenelle, qui ressemble fort au nôtre, est un monde où le temps est quasiment devenu une valeur monétaire. Si on pouvait en acheter, certains s'en feraient livrer des cargaisons.
Le temps est une denrée rare, alors, allonger les journées est une bénédiction pour certains, qui peuvent enfin concilier vie professionnelle et vie familiale, multiplier les activités et même, prendre un repos bien mérité, là où une journée de 24 heures ne suffit pas. Mais sans jamais se demander comment cela est possible et surtout, sans s'inquiéter de possibles conséquences.
Car, finalement, tout est là : ce monde, si ressemblant au nôtre, est d'un effarant égoïsme. Chacun pour soi et... rien pour tous. Les individus de ce monde mangent du temps jusqu'à l'indigestion, s'en bâfrent avec un délice glouton. Il y a quelque chose, dans cette vision du temps, proposé par Lou Jan, de cet ultra-consumérisme qui est le nôtre, en ce qui concerne toutes les énergies.
Dans le même temps, et je vais un peu entrer dans les détails, donc, soyez prévenus, le monde de Céraline, lui, paraît futuriste, ou en tout cas différent du nôtre par l'omniprésence d'une technologie avancée. Je dois dire que le frigo qui se remplit tout seul, ce serait mon rêve, donc Père Noël, si vous passez par là, pensez à mes petits souliers dans quelques mois, merci !
Plus sérieusement, les habitants de ce monde, comme Céraline, n'ont plus aucune contrainte dans le domaine domestique. Ils sont libérés des contingences matérielles et peuvent ainsi se consacrer à l'essentiel. De fait, les relations humaines semblent, dans ce monde-là, bien différentes des nôtres, plus profondes, plus suivies, plus importantes...
Les questions de pouvoir, de domination, d'argent, de gloire, tout ce qui fait nos faiblesses humaines dans cette dimension qui est la nôtre, n'ont pas prise dans cette autre dimension et on y semble, allez, soyons fou, lançons le mot : heureux. Simplement, intrinsèquement heureux. Les choses ne sont sans doute pas aussi simple que cela, il faudrait passer plus de temps dans ce contexte pour en juger.
Mais, une chose est certaine, le temps n'est absolument pas une préoccupation pour les habitants de ce monde. La question ne les effleure même pas. On ne cherche pas à le gagner, à l'étendre, à le rentabiliser, à le multiplier... On le vit, et c'est tout. Mais on ne peut pas vivre sans non plus. Et, lorsque la saignée s'accentue, c'est la substance même de ce monde qu'on vide, comme par un siphon.
C'est cet effet, involontaire (mais le savoir changerait-il quelque chose ?), de vases communicants qui est au centre de cette histoire. Mais aussi la folle détermination de Céraline pour y remédier. Cela passe certainement par un changement de mentalité du monde vampire qui aspire avec gloutonnerie le temps de son monde.
Mais, pas d'ail, de pieu, de crucifix, cette fois. Ce monstre-là, on ne s'en débarrasse pas aussi facilement. Car il s'agit de modifier des mentalités et des comportements profondément ancrés dans la majorité des habitants de ce monde. Un golem composé de plusieurs milliards d'êtres qui trouvent leur confort, l'illusion d'un bien-être parfait...
Alors, il va falloir se démener et chercher d'autres moyens que la simple irruption dans ce monde inconscient du mal qu'il fait. Et, quand je dis "démener", vous n'imaginez sans doute pas à quel point ! Ni même le parcours du combattant démentiel qui attend la jeune femme, véritable héroïne de ce roman, son personnage le plus positif, aussi.
Tout ce que je raconte peut sembler dramatique, et ça l'est. Mais, Lou Jan parvient, pour partie, à insuffler à son histoire pas mal de drôlerie par des situations très souvent décalées et un imaginaire foisonnant. Tout au long de lectures, on va de surprises en surprises et de rebondissements en rebondissements. Avec trois personnages qui doivent s'adapter, et vite. Et là, le naturel revient immédiatement au galop.
Un mot sur le style de Lou Jan, assez surprenant, lorsqu'on le rapporte au genre qu'elle a choisi. Pas de longues phrases, de grandes descriptions, c'est une écriture très simple, un peu sèche, peut-être. On se cantonne souvent au sujet/verbe/complément, parfois même moins encore. Ce n'est pas désagréable, mais c'est vrai qu'on s'attendrait plus à retrouver cette façon d'écrire dans un roman de littérature dite blanche.
Que cela ne vous freine pas, bien au contraire. On se rapproche, avec "Sale temps", des contes philosophiques d'antan et l'étiquette science-fiction est peut-être un peu trop restrictive. Mais je crois que ce petit livre, auquel Rivière Blanche donne sa chance, a de quoi distraire autant que faire réfléchir, ce qui est, après tout, une des raisons d'être de la lecture.