Magazine Culture

[anthologie permanente] Germain Nouveau

Par Florence Trocmé

Volupté 
 
Plaisir, bourreau des cœurs, vendeur juré des âmes, 
Ah ! trop longtemps tu pris le masque de l’amour 
Au vestiaire impur des romans et des drames ! 
 
Voyageant sous son nom et suivi par ta cour 
De Lovelaces fous et de Phèdres navrées, 
Plaisir, tyran cruel, voici venir ton tour ! 
 
Ah ! trop longtemps tu fis, dans tes mornes Caprées, 
Des corps humains liés à tes rouges poteaux 
De blancs saints Sébastiens pleins de flèches dorées ; 
 
Et depuis trop longtemps, roulé dans tes manteaux, 
Tu te glisses le soir dans les tavernes saoules, 
Où tu mets les hoquets et les coups de couteaux. 
 
Renard caché qui mord le ventre obscur des foules, 
N’es-tu pas las de boire au fond des yeux la vie, 
Comme un soleil brutal boit l’ombre dans un puits ? 
 
― Tout ce qui vient de Dieu, tout ce qui fait envie : 
La grâce des fronts purs, la force des lutteurs, 
L’intelligence, lampe à Dieu même ravie, 
 
Jusqu’à la voix qui vibre au gosier des chanteurs, 
Jusqu’au trésor des pleurs qui tremble au cœur des femmes, 
Tu fais passer sur tout tes souffles destructeurs. 
 
Tu donnes jusqu’au goût des souffrances infâmes, 
Et les petits enfants, qui baissent leurs cils noirs, 
Pâlissent au passage effrayant de tes flammes. 
 
Tu glanes des savants aux plis de tes peignoirs, 
Et tu domptes le cœur des rudes capitaines, 
Rien qu’avec le parfum que jettent tes mouchoirs. 
 
Tu traites les vertus d’atroces puritaines, 
Mais leur cœur réfléchit, comme un lac de cristal, 
La force et la douceur des étoiles hautaines. 
 
Cependant, dur geôlier dont le poignet brutal 
Ne se laisse fléchir par les cris de personne, 
Tu peuples la prison autant que l’hôpital. 
 
Tu te dis bon vivant, tu t’assieds sur la tonne ; 
Ton verre dans la main, tu chantes, et pourtant 
Aux hideurs que tu fais la science s’étonne. 
 
Tu couvres tous les fruits d’un air inquiétant ; 
Ton appétait funèbre engloutirait le monde, 
Pourvoyeur de la mort, qui n’est jamais content. 
 
Que t’importe ! Tu ris sous ta perruque blonde, 
Ou bien tu vas prêcher la modération, 
Rhéteur païen, leurré par ta propre faconde. 
 
Fils lugubre de l’homme, et sa punition, 
Ennemi de l’amour, tu rêves la conquête 
De sa gloire, et maudis sa noble passion… 
 
Mais l’amour triomphant met le pied sur ta tête ! 
 
(extrait de La doctrine de l’Amour)  
 
• 
 
Le baiser (II) 
 
Comme une ville qui s’allume  
Et que le vent achève d’embraser,  
Tout mon cœur brûle et se consume,  
J’ai soif, oh ! j’ai soif d’un baiser. 
Baiser de la bouche et des lèvres  
Où notre amour vient se poser,  
Plein de délices et de fièvres,  
Ah ! j’ai soif, j’ai soif d’un baiser ! 
 
Baiser multiplié que l’homme  
Ne pourra jamais épuiser,  
Ô toi, que tout mon être nomme,  
J’ai soif, oui, j’ai soif d’un baiser. 
 
Fruit doux où la lèvre s’amuse,  
Beau fruit qui rit de s’écraser,  
Qu’il se donne ou qu’il se refuse,  
Je veux vivre pour ce baiser. 
 
Baiser d’amour qui règne et sonne  
Au cœur battant à se briser,  
Qu’il se refuse ou qu’il se donne,  
Je veux mourir de ce baiser. 
 
 
(extrait de Valentines
 
[choix d’Auxeméry] 
 
 
Bio-bibliographie de Germain Nouveau 


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossiers Paperblog

Magazines