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Fascinant Modiano : Romans

Par Carmenrob

Je suis partie en résidence d’écriture d’une durée de trois semaines avec pour toute lecture Romans de Patrick Modiano, prix Nobel de littérature 2014, convaincue que je ne passerais pas au travers de cette brique de plus de 1000 pages regroupant 10 courts romans publiés entre 1975 et 2010. C’était sans compter sur la fascination qu’a suscitée chez moi cet auteur singulier.

L’autobiographie imaginaire

Dans l’avant-propos, Modiano explique que le regroupement de ces dix opus publiés sur une période de 25 ans constitue « une sorte d’autobiographie, mais une autobiographie rêvée ou imaginaire. » En est-il jamais autrement de toute autobiographie? Un mélange de faits avérés et de fiction. On constate en effet à la lecture de Romans, par la récurrence des thèmes, des personnages et des lieux, que court en filigrane de toutes ces pages un seul et même petit garçon, bientôt adolescent puis jeune adulte, qui n’est autre que le jeune Patrick, enfant né sur les cendres fumantes de l’Occupation, laissé à lui-même par une mère actrice et peu maternelle et un père aux activités louches qui cherche sans cesse à se débarrasser de ses fils en les plaçant chez des amis et plus tard dans les pensionnats. De livre en livre, l’auteur revisite et réinvente, au travers de divers alter ego, son enfance et sa jeunesse comme pour mieux se l’approprier, la rendre comestible.

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Prendre racine

Plus encore que ce thème de l’abandon, c’est celui du déracinement, ou plutôt de l’absence de racines, qui constitue la toile de fond de ces divers récits plus ou moins imaginaires.

En découle donc une quête éperdue d’ancrages et de repaires se traduisant, entre autres, par la mémorisation maniaque des adresses, des noms des gens, et de mille détails qui sont autant d’armes contre les dangers de l’oubli, de l’amnésie. Dans Pedigree, il écrit :

Que l’on me pardonne tous ces noms et d’autres qui suivront. Je suis un chien qui fait semblant d’avoir un pedigree. Ma mère et mon père ne se rattachent à aucun milieu bien défini. Si ballottés, si incertains que je dois bien m’efforcer de trouver quelques empreintes et quelques balises dans ce sable mouvant comme on s’efforce de remplir avec des lettres à moitié effacées une fiche d’état civil ou un questionnaire administratif.

Il a développé une mémoire phénoménale pour contrer les gouffres de l’oubli, de l’effacement, de la mort des êtres.

L’oubli finit par ronger des pans entiers de notre vie et, quelquefois, de toutes petites séquences intermédiaires.

Et ailleurs :

Un jour, peut-être, parviendrai-je à briser cette couche de silence et d’amnésie.

Pourtant l’effort de remémoration est toujours insatisfaisant.

Jusque-là, tout m’a semblé si chaotique, si morcelé… Des lambeaux, des bribes de quelque chose, me revenaient brusquement au fil de mes recherches… Mais après tout, c’est peut-être ça, une vie…

Apaisement

Je ne sais pourquoi, un soir, j’ai levé les yeux du livre et le mot qui m’est venu, c’est « lecture apaisante ». Malgré la noirceur des propos. Ou parce qu’on se retrouve dans les angoisses de l’auteur. Et en raison du tempo, peut-être. On avance au rythme du pas humain. Ou encore, en raison du style de Modiano, de son écriture élégante, précise, et surtout tellement sincère. Je l’ignore. Je sais seulement qu’il ne m’a jamais lassée et que je n’en ai pas fini avec cet auteur. Une grande rencontre de la vie.

Patrick Modiano, Romans, Gallimard, Paris, 2013, 1083 pages.


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