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Nature morte

Par Memoiredeurope @echternach

Témoignages

Je préfère le titre anglais « Still Life » au titre français qui a été choisi, même si l’expression « Une belle fin » porte avec elle une note d’optimisme dans un océan de larmes.

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Mais il s’agit bien en effet d’une nature morte, ou plutôt d’une série de portraits fondés sur des objets disposés les uns à côté des autres pour faire sens, comme la peinture classique nous en a transmis l’héritage.

On pourrait même mieux dire, il s’agit d’une suite de « Vanités », tant la vie de cet obscur fonctionnaire, employé de la morgue londonienne, qui comptabilise les décédés partis sans laisser l’adresse d’héritiers possibles, semble travailler en vain, dans un monde privé de sentiments.

Des morts invisibles nous regardent !

Il s’agit de l’histoire d’un homme qui rassemble les quelques témoignages glanés dans des appartements depuis longtemps abandonnés par la vie, même si la mort n’a fait son travail définitif de faucheuse que récemment : des photographies presque usées, des témoignages d’identité qui révèlent les maigres témoignages d’un individu figé à jamais, voire des albums qui permettent de tenir une sorte la chronique éclatée d’un destin le plus souvent brisé, fracassé sur les murs de la ville.

Ce sont des objets qui parlent en creux de l’isolement ; d’une habitude solitaire et d’une vie immobile : quelques linges qui sèchent sur le radiateur, une théorie de boîtes de thon en conserve, des lettres jamais ouvertes et d’autres jamais envoyées, ou encore le dialogue épistolaire avec une chatte qui a pris la place des enfants injoignables.

Les appartements se ressemblent. Ils flottent tous hors du temps. Ce sont des refuges, des abris dans lesquels les locataires n’avançaient plus qu’à petits pas, le plus discrètement possible.

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Charon

John May, interprété par Eddie Marsan, pourrait dans une tragédie grecque, voire pourquoi pas dans une comédie anglaise de Woody Allen, jouer le rôle de Charon, fils d’Erèbe, dieu des Ténèbres et de Nyx, déesse de la Nuit.

Il est en effet nocturne en permanence, enfermé en alternance dans un bureau souterrain ou dans son propre appartement. Il gère professionnellement des dossiers qui dirigeront les défunts abandonnés vers un service religieux, vers une église ou une synagogue, dans un cercueil ou dans une urne, puis vers un cimetière où les pelouses regardent la ville depuis les flancs d’une colline. De l’autre côté de la Tamise devenue Achéron.

Mais il gère aussi chez lui, par empathie, comme celui qui tient à jour en permanence, compulsivement sa liste d’amis sur facebook, un album de photographies de tous les inconnus dont il a accompagné seul le dernier voyage, les gratifiant d’un hommage écrit original et sensible, d’un chapitre de roman sans fin, fait de portraits devinés, de souvenirs reconstitués, de paroles qui auraient dues être prononcées par des proches, mais qu’il sera le seul à rendre crédibles.

Il devient, sans fin, le dernier proche inconnu d’anonymes auxquels la société doit assurer un dernier droit : celui d’être répertoriés comme des individus sociaux.

Métaphore ?

A exposer ainsi les faits, on pourrait penser que le film d’Uberto Pasolini, n’est constitué que d’une suite symbolique d’états de faits sur la solitude de ceux qui vieillissent dans les grandes villes. C’est en effet, au premier degré, une métaphore grinçante qui parle de sociétés, les nôtres, où les liens familiaux se distendent, où les vies deviennent chaotiques faute d’amour, ou tout simplement faute d’un peu d’empathie, d’un instant partagé.

Mais la qualité du scénario, le choix des lieux de tournage et l’humanité des acteurs, tout en laissant la symbolique intacte, permettent la construction d’un bas-relief sidérant sur un fond de misère quotidienne.

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Entre capitale et banlieue proche, dans la Gare Saint Pancras ou dans les rues anonymes alignant des pavillons fleuris, dans le déplacement du train régional ou dans une salle d’attente, sur les marches d’une église en compagnie de clochards ou dans un fish and chips où les clients s’ennuient, à l’hospice avec des vétérans résignés ou bien encore dans les cages d’escaliers de bâtiments uniformes où seuls les bruits de télévisions perpétuellement allumées confirment la présence de vies, pour ne pas parler des églises et des cimetières où se déroulent les cérémonies du deuil, les êtres se frôlent sans se voir, avec un tel effet de réalisme qu’on se sent pris à la gorge.

Ils vivent là, quel que soit le lieu choisi comme décor quotidien, comme des damnés, sans avenir et pourtant saisis par le sentiment d’une éternité sans issue. L’enfer.

Et pourtant, paradoxalement, ce film ne manque pas d’humour. Et comme on le sait, si le diable se cache dans les détails, il se cache aussi dans l’humour : dans la précision du rangement des dossiers sur une table où chaque chose a sa place, dans le moment où le héros épluche sa pomme ordinaire, comme chaque midi, ou referme son précieux album, comme chaque soir, là où il attend sagement de traverser en regardant à droite, puis à gauche, puis encore à droite, comme tout Anglais qui sait par instinct d’où viennent les voitures.

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Jusqu’au jour où il tombe amoureux, où il oublie de ranger, où il décide d’aller jusqu’au bout d’une recherche, au moins une et de retrouver toute la famille et les amis du défunt et de faire lui-même partie d’une famille qu’il apprend à connaître.

Jusqu’au jour où il oublie de se contrôler et de regarder à droite avant de traverser. Le diable qui attend toujours que l’horaire se décale, que la pendule s’arrête, que vienne un vrai sourire, un sourire sincère est alors au rendez-vous pour assurer le passage d'un enfer à un autre.

Une Belle fin : sortie le 15 avril. Film d’Uberto Pasolini, avec Eddie Marsan, Joanne Froggatt, Karen Drury.


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