Trente ans. C’est le temps qu’il aura fallu à George Miller pour revenir à ses premières amours : le film post-apocalyptique, qu’il a lui même érigé au rang de genre cinématographique à part entière avec sa trilogie Mad Max. Quoi de mieux que de retrouver ce qui l’a fait connaître au monde entier en réalisant le quatrième épisode de sa saga fétiche. Entre reboot et suite, Mad Max : Fury Road s’impose comme une expérience de cinéma unique redéfinissant la notion même de cinéma d’action à travers une ambition démesurée.
Synopsis : Hanté par un lourd passé, Max estime que le meilleur moyen de survivre est de rester seul. Cependant, il se retrouve embarqué par une bande qui parcourt la Désolation à bord d’un véhicule militaire piloté par l’Impératrice Furiosa. Ils fuient la Citadelle où sévit le terrible Immortan Joe qui s’est fait voler un objet irremplaçable. Enragé, ce Seigneur de guerre envoie ses hommes pour traquer les rebelles impitoyablement…
Rarement un film aura vécu un tel development hell. L’idée d’un nouvel épisode remonte à 1997 mais moult problèmes se mirent en travers du chemin de la production : échecs commerciaux des films du réalisateur, décès brutal de Heath Ledger un temps envisagé pour incarner le nouveau Max, dépassements de budget, invasion de l’Irak par les forces militaires américaines qui empêchent le tournage en Namibie, catastrophe météorologique rendant impossible la réalisation sur les terres australiennes… Les premières prises débuteront finalement en 2012 au premier endroit envisagé : le désert du Namib. Trois semaines de reshoots seront organisées en décembre 2013 en Australie afin d’améliorer les scènes d’action. Avec 480 heures de rushs, la post-production aura duré près de trois ans pour aboutir au film de deux heures qui sort en salle cette semaine.
Et c’est à se demander si toutes ces années à essuyer des échecs n’ont pas renforcé la volonté de George Miller de voir les choses en grand. Parmi les 1700 techniciens qui ont participé à cette folle aventure, le réalisateur s’est entouré de beau monde dont le chef opérateur oscarisé John Seale (sorti de la retraite pour l’occasion). Le tandem décide d’innover en prenant le contrepied des récents films de genre sombres et désaturés. Éclatante de vitalité, la photographie de Fury Road caresse la pupille et promet une immersion totale dans l’atmosphère suffocante de cette dystopie.
Déshumanisé jusqu’à la moelle, le monde de Mad Max Fury Road prend place au sein d’une nature aride et dangereuse qui a repris ses droits. Vivre est désormais impossible, il faut survivre. D’autant plus lorsque les matières premières sont monopolisées par la terrible dictature d’un groupe d’hommes. Dans cet univers nihiliste où seuls le sang, le pétrole et les balles parlent, George Miller fait scintiller une lueur d’espoir à travers ses protagonistes, prisme des maigres relents de philanthropie qui ont subsisté. Anti-clichés au possible, ces personnages qui ont presque oublié ce qu’est la liberté, sont mus par une soif de vie surpuissante qui va les pousser dans leurs derniers retranchements physiques et moraux.
Choisi pour succéder à Mel Gibson, Tom Hardy en impose dans les bottes de Max. Sa voix rocailleuse et ses émotions constamment intériorisées lui confèrent une sécheresse charismatique qui sied à merveille au personnage. Mais la performance la plus surprenante est à mettre au crédit de Charlize Theron, complètement transformée dans la peau de l’impératrice Furiosa, une guerrière redoutable dont la rage vengeresse est moteur de l’action. L’actrice s’est donnée corps et âme pour donner vie à cet anti-héroïne, alter ego féminin de Max, qui s’avère finalement être le personnage principal du film.
George Miller envoie ici un geste très fort d’autant plus lorsque la condition féminine face au patriarcat apparaît comme étant l’une des thématiques principales du long-métrage. En plus de Furiosa, les nombreux autres rôles féminins sont écrits et mis en scène avec éminemment plus d’épaisseur que ce que n’importe quel autre blockbuster nous a amené à voir. Un parti-pris qui n’est certainement pas étranger à la participation de la féministe Eve Ensler dans la composition desdits rôles. De générations différentes, ces femmes prennent toutes part à cette course-poursuite destructrice sans jamais rester à l’arrière plan.
Que dire justement de la forme du film qui semble réinventer la notion même de cinéma d’action ? Sur 90% de la durée, l’impression d’assister au climax est quasiment constante. Effréné, le rythme ne se relâche presque jamais n’hésitant pas à faire évoluer les relations entre les personnages au sein même de péripéties toutes plus impressionnantes les unes que les autres. Miller est parvenu à créer les scènes les plus folles de son imagination sans pour autant sacrifier toute notion de réalisme sur l’autel du numérique comme on pouvait le craindre. La majorité des effets visuels ont en effet été créés de façon artisanale, une pratique qui se ressent fortement à l’écran.
Montés par son épouse à la ville, Margaret Sixel, les plans magistraux du réalisateur sont découpés et assemblés avec une précision chirurgicale. Tempo effréné et lisibilité exemplaire se conjuguent à un sous-texte d’une grande richesse pour offrir au spectateur une hallucinante séance de cinéma à décrocher la mâchoire. Y-aura-t-il un avant et un après Mad Max : Fury Road ? C’est fort possible.
Mad Max : Fury Road. De George Miller. Avec Tom Hardy, Charlize Theron, Nicholas Hoult, Rosie Huntington-Whiteley, Zoë Kravitz, Riley Keough, Abbey Lee, Courtney Eaton, Hugh Keays-Byrne, Josh Helman…
Sortie le 14 mai 2015.