Magazine Culture

Beate et Serge Klarsfeld, mémoires

Par Mpbernet

couventure

Un pavé de près de 700 pages qui se lit comme un thriller … voilà ce que je retiens des mémoires croisées de Beate et Serge Klarsfeld. J’ai abordé ce livre avec une certaine réserve, car le genre est naturellement empreint d’un souci d’autojustification, de plaidoyer pro domo. Mais ici, ce reproche n’est pas fondé : cette autobiographie - fort bien écrite même si certains chapitres en sont très techniques - constitue une double épopée individuelle doublée d’une extraordinaire histoire d’amour.

La rencontre, le 11 mai 1960, sur le quai du métro, de ce jeune juif français orphelin d’un père mort en déportation et cette jolie fille au pair d’origine modeste, allemande et protestante, tient du prodige. Leur complémentarité dans l’action aussi. C’est, à peu d’années près, l’histoire de ma jeunesse qui défile … et je me souviens qu'en 1957, quand le choix d'une première langue vivante s'est posé à l'entrée en 6ème, mon père m'a encouragée à apprendre l'Allemand, lui qui avait fait la guerre et fut prisonnier !

Leur propos est double : d’une part, débusquer les anciens nazis qui se sont fondus dans la société silencieuse du miracle économique allemand et sont devenus d’éminents juristes ou responsables d’entreprises, faire connaître à tous l’horreur de leurs crimes, les faire juger par les autorités allemandes pour redonner à l'Allemagne la dignité d’un pays qui regarde son passé en face, d’autre part, retrouver les traces de chacun des 80 000 déportés français – en particulier les enfants – afin que nul n’oublie leur existence, leur identité, comment ils ont été arrêtés, dans quel convoi ils furent transportés, où et quand ils ont été assassinés.

Beate n’a pas fait d’études supérieures, mais Serge va l’aider à se former et elle apprend vite. Surtout, elle est animée d’une résolution absolument inébranlable. Elle va tout risquer et faire montre de qualités hors du commun : rigueur, courage physique, ingéniosité, témérité folle, abnégation, culot monstrueux, persévérance, patience, astuce, sang froid, oubli de soi …

Sa vie est un manuel pratique d’agit-prop antinazi. Elle commence par une gifle monumentale sur la joue du Chancelier d’Allemagne fédérale, l’ex-nazi Georg Kiesinger, dont elle va provoquer la chute … Avec le soutien de Serge et ses recherches méthodiques inlassables, elle prend tous les risques, voyage seule ou avec lui et même son petit garçon, sans cesse, en Europe, en Israël, à l’Est, dans les dictatures d'Amérique du Sud où sont réfugiés de nombreux anciens responsables de l’Holocauste. Klaus Barbie, Bousquet, Touvier, Leguay et Maurice Papon vont devoir rendre des comptes en France, Kurt Lischka, Heinrichsohn et Hagen seront jugés en Allemagne. Entre deux missions qu’elle s’est auto attribuées, elle revient s’occuper de son ménage, est toujours tirée à quatre épingles, comme une jeune bourgeoise, elle qui acceptera d’être candidate à la présidence de l’Allemagne sous les couleurs du parti de gauche : Die Linke. Entre deux séjours en cellule, elle retrouve ses deux enfants, Arno et Lida, confiés dans l'intervalle à sa belle-mère, qui vont prendre bientôt le relais, et ses animaux.

Beate-et-Serge-Klarsfeld décorés

famlle et animaux

Serge est historien, journaliste puis, à 37 ans, devient avocat pour défendre les parties civiles : les Fils et Filles de déportés juifs de France. Sans trève, il harcèle les dirigeants de tous bords pour faire triompher la vérité historique, assurer la subsistance des orphelins de déportés tombés dans le dénuement, influence les discours politiques, critique ouvertement ceux qui font tout pour retarder la justice, quitte à rectifier à la baisse les chiffres des martyrs du nazisme secondés par l’Etat français du Maréchal Pétain, dont il met en lumière l’implication personnelle dans le statut des Juifs. Il est un des rares à souligner la réaction bienveillante de la majorité de la population française et des catholiques envers la population juive pendant la guerre. Dans cet ouvrage passionnant, on sent qu’il laisse la place d’honneur à son épouse et à ses enfants, tout particulièrement à Arno, avocat brillant et charismatique.

L’émotion est intense à cette lecture … en particulier l’évocation de quelques trajectoires interrompues du chapitre « Des voix qui toujours portent ». Je défie quiconque les lit de ne pas essuyer une larme …

Mémoires de Beate et Serge Klarsfeld, édité chez Fayard Flammarion, 688 p., 26€


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Mpbernet 50874 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte