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SPRE, SACEM, et rémunération équitable inique

Publié le 15 mai 2015 par H16

Il existe de multiples fromages dans la République du Bisounoursland française, tout le monde le sait, mais l’un des plus dodus est celui construit autour du droit d’auteur et des droits voisins. Et malgré une société civile qui évolue de plus en plus vite et dans laquelle la révolution numérique a profondément changé la donne, les sociétés vivant de ces droits n’entendent rien lâcher. Le fromage est trop bon.

Concrètement, en France, la gestion du droit d’auteur et des droits voisins, c’est une kyrielle de sociétés civiles, d’associations loi 1901 sans but autre que lucratif, qui se chargent de collecter, sucer, ponctionner, extraire, extirper et récupérer par tous les moyens possibles l’argent de ceux qui ont l’inconscience de diffuser des biens culturels (musique, vidéo) d’une façon ou d’une autre : tous les jours, la SDRM, l’ADAMI, la SPEDIDAM, la PROCIREP SCPA, la SACEM, la SACD, la SCAM, l’ADAGP, la SAJE, la SCPP et la SPPF brûlent quelques calories pour envoyer factures, courriers de relances, huissiers et autres avocats aux trousses de (notamment) tous les commerçants, artisans et professions libérales qui ont eu l’idée assez sotte de mettre une radio ou une télévision pour distraire leur clientèle. Ce sont ces mêmes sociétés qui font aussi la tournée des popotes auprès des majors musicales, des chaînes de radio, de télévision, pour, là encore, collecter les petits sous pour leurs sociétaires (les auteurs, compositeurs et producteurs, en substance).

(Ici, je schématise un peu parce que ces sociétés sont spécialisées pour cette collecte dans à peu près tous les arts, toutes les variantes de production et de diffusion. Le gâteau est grand, épais, bien gras et intéresse donc un grand nombre d’acteurs. Je n’évoque pas ici la partie « copie privée », qui est un chapitre entier et croustillant à lui tout seul.)

De petits sous en petits sous, on finit par rassembler de vastes montants. On dépasse les 800 millions d’euros annuels pour la SACEM, par exemple ; eh non, ce n’est plus du petit business pour des petits artistes. Devant ces fortunes, on comprend tout de suite que certains modèles alternatifs de gestion de droits d’auteurs ne plaisent pas du tout du tout à ces sociétés.

sacem logo

Le cas de Jamendo et MusicMatic est particulièrement intéressant. Ces entreprises (la première est maintenant filiale de la seconde) proposent de commercialiser les productions d’artistes licenciés sous Creative Commons, qui permet à l’auteur, l’interprète, au compositeur, ou au producteur de conserver le monopole des utilisations commerciales et le monopole des travaux dérivés sur les œuvres. Les droits sont collectés par MusicMatic ou Jamendo, en court-circuitant complètement les sociétés précédentes, les artistes inscrits sur ces sites ne pouvant être en parallèle membres de sociétés de gestion collective…

On le comprend ici : le juteux business-model de la SDRM, l’ADAMI, la SPEDIDAM, la PROCIREP SCPA, la SACEM, la SACD, la SCAM, l’ADAGP, la SAJE, la SCPP et la SPPF est mal barré. L’affaire prend une tournure plus sombre encore pour notre brochette de ponctionnaires lorsqu’on apprend que depuis quelques années, MusicMatic propose des contrats de sonorisation de magasins permettant de diffuser des musiques libres de droits dans les rayons de ses surfaces commerciales. D’ailleurs, le 27 mars dernier, c’est au tour de Jamendo de lancer un nouveau service en ligne de commercialisation de musique libre de droits pour les entreprises.

En substance, ces deux sociétés proposent la vente de licences aux entreprises qui veulent sonoriser leurs magasins en évitant de passer par la SACEM ou d’autres sociétés de collecte, et partagent avec les artistes les droits collectés (en 50/50 pour Jamendo, par exemple). Comme il s’agit d’un modèle « tous droits compris », l’entreprise cliente se retrouve avec une seule facture, de montant maîtrisé et unique, renouvelable au mois ou à l’année.

Nous sommes en France : des artistes heureux (certains gagnant plusieurs milliers d’euros par mois grâce à la diffusion de leur œuvre dans des campagnes de pub comme Nespresso ou Toyota, ou dans des chaînes comme Ikea, McDonalds ou H&M), un concept innovant qui permet à des entreprises de grossir et de se développer, des commerçants ou des marques satisfaites, tout est ici réuni pour un désastre.

Et c’est donc un désastre que préparent nos sociétés de collecte grâce à l’application pointilleuse (et très discutable) d’une loi consternante. En effet, à la surprise d’un des clients de MusicMatic (St Maclou), le 22 mars 2013, la société reçoit cependant un courrier de la SACEM, mandatée par la SPRE, lui enjoignant le versement de 117 826,84 euros, pour la collecte de droits : les musiques libres de droits ne sont pas libres de rémunération équitable.

Oui, vous avez bien lu : que les musiques diffusées soient libres de droit ou non, et même si les auteurs des musiques diffusées n’ont cédé aucun de leurs droits à la SACEM, la SPRE est en droit de réclamer des thunes, parce que, parce bon, c’est comme ça. Et le plus beau n’est pas là, mais bien lorsqu’on se penche sur le sort des 117.000 euros collectés : les artistes concernés par ces fonds n’étant pas inscrits auprès des sociétés de collecte (et pour cause), ces sommes pourraient tomber dans le pot commun, celui utilisé pour les artistes affiliés (i.e. pas les auteurs, compositeurs et interprètes de ces musiques, donc). En clair, grâce à la rémunération équitable, les artistes enregistrés auprès de Jamendo ne toucheront pas un rond.

wtf jackie chan

Cette affaire est une illustration magnifique de l’équité et de la légitimité de ces sociétés, qui pervertissent complètement le sens de leur mission puisqu’ici, elles ne collectent même pas pour leurs propres sociétaires. Si ce n’est pas du vol ou du racket au plan légal, cela en a cependant toute l’apparence.

C’est aussi une magnifique démonstration de leur cupidité puisqu’elles n’hésitent absolument pas à étendre les collectes partout où c’est possible et légal, en dépit du bon sens et de la légitimité.

Il faut dire que le mode traditionnel de production et de diffusion de la musique encore valable dans les années 80 s’est progressivement effrité dans les années 90 et s’est évaporé dans les années 2000 avec la révolution numérique. De fait, dans les années 80, il y avait une assez bonne correspondance entre les artistes qui étaient diffusés dans les magasins et ceux qui étaient inscrits dans ces sociétés d’auteurs, et pour cause : à l’époque, produire et enregistrer une musique sur un support professionnel dans des grands magasins imposait des moyens en comparaison desquels l’inscription à ces sociétés de collecte était une formalité allant quasiment de soi.

En revanche, depuis la révolution numérique, n’importe qui ou à peu près peut produire et enregistrer de la musique dans un format professionnel facilement diffusable en magasin et à plus grande échelle encore avec internet (les artistes auto-produits qui ont fini par rencontrer un succès planétaire sont un bon exemple de ce changement paradigmatique), et donc se passer assez facilement de majors, de SACEM et de leurs multiples variantes. Cette révolution a complètement bouleversé la donne puisqu’à présent, les majors et les sociétés d’auteurs peuvent ne plus être impliquées du tout dans le processus de création, et donc, dans les flux financiers correspondants.

On ne peut, en l’état actuel de l’affaire, présager du jugement qui sera rendu mais, on le comprend, si les tribunaux donnent raison à la SPRE et la SACEM dans leur ahurissante collecte, c’est tout l’écosystème des musiques libres de droit qui sera remis en question. Et encore une fois, la France fera un joyeux bond en arrière pour protéger des pratiques d’un autre âge, au détriment de l’innovation, de la transparence et de la simplicité.

Allez, musique maestro !

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