Henri Lopes : Le Méridional

Henri Lopes est un auteur incontournable aux multiples activités. Homme d’état, haut fonctionnaire international, diplomate, l’homme semble indéchiffrable. D’ailleurs, la relation que le critique peut entretenir avec lui est marqué par le sceau d'une certaine réserve. D’une certaine manière, sa fonction lui impose cela. En observant cet homme dans les milieux littéraires, j’aime penser que son oeuvre aurait été toute autre si elle n’avait pas été partagée avec le service de la collectivité. Mais, il est une évidence, les clés pour comprendre l’homme est dans son oeuvre littéraire. 
Le narrateur, enseignant, dit d’ailleurs dans Le Méridional :

Quand sauterais-je le premier pas? Quand donc ferais-je, moi aussi, ce que j’aime, uniquement ce que j’aime, sans le souci de rendre comptes à un patron?

P. 15 Le Méridional, Editions Gallimard 
La parution de son nouveau roman, Le méridional, m’a quelque peu surpris. Deux ans après Une enfant de Poto-Poto, auréolé du Prix littéraire de la Porte Dorée. Mais, en regardant de plus près la  bibliographie de l’écrivain diplomate, force est de constater que ses publications se sont toujours faites par cycle. Celui des années 70 avec trois romans. Celui des années 90. Puis 2000 et enfin 2010. Le pleurer-rire, son chef d’oeuvre, est quelque peu isolé par rapport au reste de sa production.
Depuis Le chercheur d’Afriques, Henri Lopes a choisi de mettre l’accent sur des questions plus personnelles, sur une exploration du métissage dans tous les sens du terme. Une approche pertinente, cohérente quand on la lit dans sa globalité. Être métis, c’est quoi? Quelle est la spécificité du métissage biologique quand on nait en Afrique équatoriale, qu’on y vit sa petite enfance, qu’on y fait ses classes? Qu’en est-il en Europe, quand on part à la recherche de cette autre part de soi à laquelle les insultes et les railleries de l’enfance nous renvoie? Cette part de soi absente. Quelle est d’ailleurs l’histoire de ces rencontres intimes entre, comme le disait un de mes grands frères métis entre l’Africain sorti de sa natte et la l’Européenne rencontrée dans sa province? Qu’en est-il de ces chocs sensuels ou violents du dominant pouvoir colonial sur la fragile Afrique qu’on laboure dans toute sa sensualité (Le mal de peau - Monique Ilboudo, Zone 4 - Eric Bohème ) ? Ces mots ne sont pas ceux d’Henri Lopes, mais ils mettent en scène un projet sans cesse revisité, retravaillé par l’auteur congolais. Il n’est d’ailleurs pas le seul dans cette thématique. Sylvie Kandé le fait avec des procédés différents. Mais, il est sûrement le plus prolifique usant d'une langue française construite sur ce métissage, empruntant des tournures aux langues africaines.
Dans Le Méridional, Henri Lopes place avec originalité son match entre Noirmoutier et Brazzaville en structurant son roman en deux parties très distinctes portées par des rythmes différents au niveau de l’écriture. 
Noirmoutier : Le choc des culturesDans la première phase du roman, l’écrivain plonge le lecteur dans l’univers de cette petite île de Vendée. La construction du roman permet de voir cette petite île se transformer et passer de village de pêcheurs à un site touristique au fil des décennies. Un universitaire parisien se voit recommander de séjourner à Noirmoutier. Son projet est de travailler sur un livre d’histoire en lien avec les troupes coloniales pendant les deux grandes guerres mondiales. Il est métis. Il se lie aux habitants de l’île et en particulier avec les habitués d’un bistrot qu’il fréquente. Deux figures attirent son attention. Assanakis, un personnage qui continue de hanter les lieux. Et le Méridional. Le narrateur ressent ce besoin d’en savoir plus sur ce noir qui le tient à distance. Quel est son secret? Les échanges entre le narrateur et quelques habitants de Noirmoutier révèlent des incompréhensions habituelles, un malaise, des préjugés. Ils mettent à nu aussi un désir de rencontre même si ce qui obsède le narrateur, c’est l’itinéraire du basané du coin. Un événement  douloureux va permettre au Méridional de raconter son histoire.

Je viens d’une planète où chaque être à plusieurs mères, plusieurs pères, où ce sont les hommes, et non les femmes qui apportent la dot, où l’on chante et danse aux obsèques, où les neveux héritent  des veuves de leur oncle, où des femmes épousent d’autres femmes sans être lesbiennes; une planète où les gens parlent des langues que vous passeriez votre vie à tenter d’apprendre, mais où les indigènes apprennent vite votre alphabet, votre langue, vos coutumes; une planète où les gens n’ont qu’une tête, un seul tronc, deux bras, deux jambes, un seul coeur et dont le sang est rouge, comme le vôtre; une planète où les femmes enfantent dans la douleur, ont des règles; où les indigènes souffrent quand on les blesse, rient quand on les chatouille, où les hommes se rebiffent et tuent quand on les humilie…

P. 69-70 Le Méridional Editions Gallimard
Brazzaville : Entre révolution et identitéSur la phase 2 du roman, Henri Lopes remonte et nous propose le parcours du Méridional, Gaspard Libongo, le bien nommé. Il vient du Congo, c’est un enfant de Poto-Poto. Libongo, c’est le fleuve. D’une certaine manière, quand on est à Brazzaville, tout nous ramène au fleuve. Il forge l’identité des individus. Pourquoi est-il parti? Comment a-t-il disparu? Il faut lire le Méridional pour en savoir plus. Le contexte est toutefois celui du Congo révolutionnaire, empêtré dans l’idéologie du socialisme bantou. Une période où les milices sévissaient dans les quartiers d’un pays en alerte permanente face aux possibles attaques d’un ennemi extérieur et à la montée de la propagande marxiste. C’est le temps des premiers assassinats politiques. Noceur invétéré, notre homme incorpore les milices rouges et il est témoin des premières exactions. Le texte se recentre toutefois par une très belle digression sur la question métissage et celle d’atypiques relations mixtes pendant la colonisation…
Au-delà du Méridional, la quête du narrateur est tout aussi intéressante, dans cet entre-deux, cet exil. Le renvoyant à ce Congo avec lequel il a une relation complexe, mais des attaches solides. 
Henri Lopes, Le Méridional
Editions Gallimard, première parution en 2015Source photo : Tous droits réservés par Festival de Cine Africano de Córdoba