Lauréat de la première édition du MIT TR35 Belgique, Yves-Alexandre de Montjoye apprivoise le big data et les métadonnées au service de la préservation de la vie privée des individus.
Un innovateur ?
Après un bachelor en ingénierie à l’Université catholique de Louvain, Yves-Alexandre de Montjoye se lance à corps perdu dans les mathématiques appliquées. Il n’a alors rien d’un mathématicien fou, pourtant ses maîtres à penser sont bien Euler, Leibniz et autre Chasles. À l’issue d’un premier Msc, il intègre le programme T.I.M.E. de Centrale Paris. Une expérience en terre française qui durera deux ans : « C’est une formation d’excellence qui m’a bien préparé pour le travail de recherche que j’effectue aujourd’hui ».
Mais ce sera le Nouveau Mexique et, plus précisément, l’Institut de Santa Fe où il effectuera de la recherche sur les systèmes complexes qui l’inspirera le plus. « Cela m’a donné goût aux types de recherches pratiquées aux États-Unis, qui sont plus appliquées et proches des problématiques sociétales ». C’est aussi ce qui l’a motivé à achever son doctorat au MIT Media Lab, « on travaille sur le thème de la computional privacy. On s’inspire d’une certaine élégance des modèles physiques qu’on mêle ensuite aux mathématiques appliquées ».
Une innovation ?
Le travail de recherche d’Yves-Alexandre couvre deux axes principaux. On retrouve, d’une part, les limites de l’anonymisation face à une quantité très grande de données. « Nous avons récemment publié une étude sur les données issues d’un téléphone portable et, en particulier, sur ce que nous avons besoin de savoir sur une personne pour la retrouver dans un grand set de données. Il apparaît que si on connaît 4 endroits où la personne s’est trouvée pendant la journée avec son mobile, on est capable de l’identifier dans 95 % des cas » .
D’autre part, celui-ci se concentre sur la prédiction qui peut être établie à partir de ces données. « La question théorique est vraiment ce qu'un algorithme peut révéler sur une personne maintenant mais aussi dans le futur - quand les techniques auront évolué. Notre expérience, à l'échelle du MIT, était de montrer qu'un algorithme par exemple pouvait prédire de manière relativement précise la personnalité des volontaires ».
Au carrefour de ces deux domaines, le projet phare d’Yves-Alexandre et son équipe est une plateforme du nom d’OpenPDS/ SafeAnswersat. Elle permet d’abord de stocker dans un espace sécurisé les données personnelles d’un utilisateur. Puis, à la différence des initiatives classiques d’anonymisation, il s’agit d’une interface fonctionnant sous la forme de questions-réponses, les données sur l’utilisateur étant associées à des questions spécifiques.
Quel impact ?
C’est bien une approche éthique de la donnée qui occupe Yves-Alexandre. « On essaie de s’assurer que les enjeux qui se dissimulent derrière l’utilisation du big data et des métadonnées – les données issues des cartes de crédit, de la navigation web et du téléphone portable notamment – soient mesurés ».
Avec le projet, OpenPDS/ SafeAnswersat, la vie privée des individus reprend ses droits. « Via une plateforme, on permet à des chercheurs, par exemple, de poser des questions. Questions envoyées à une partie tiers qui offrira un accès à la donnée, restreint à l’objet de la question ». Le chercheur prend l’exemple d’une municipalité qui aurait fermé l’accès routier à un pont et souhaiterait connaître l’impact de la fermeture de celui-ci sur les habitants de la ville se rendant au travail quotidiennement.
Par le biais de ce système, un véritable filtrage s’opère. « Dans notre exemple, la ville n’a pas besoin de connaître tout ce qu’un résident a fait durant le reste de la journée. Le principe est donc de limiter les informations que l’individu rend disponible. On essaie de trouver une technique performante pour utiliser les données des individus tout en respectant leur vie privée ».
Aider les citoyens à reprendre le contrôle de leurs données personnelles, le but des travaux de recherche d'Yves-Alexandre au MIT Media Lab
Et à l’avenir ?
Tout est à construire en matière de protection des données des citoyens, « beaucoup de choses vont évoluer du côté des entreprises et de la régulation avec la nouvelle directive de l’Union européenne ou en France, grâce à l’action de la CNIL. En ce qui me concerne, je compte poursuivre dans cette logique à la croisée de l’éthique, de la tech et des privacy policies. S’assurer qu’on se pose les bonnes questions quant à l’usage des données des individus, voilà le cœur de mes travaux ».
Le chercheur belge souhaite également continuer à nourrir une vision particulière de la recherche, « il m’importe d’aider à développer des produits issus de travaux de recherche, tout comme contribuer à sensibiliser les gens sur ce que sont les métadonnées et le big data ».