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Margaret Mitchell, Autant en emporte le vent (1936)

Par Ellettres @Ellettres

« Scarlett, le genre de vie que nous menons dans le Sud est aussi désuet que le système féodal. Ce qui est étonnant, c’est qu’il ait duré aussi longtemps. Il fallait bien qu’il disparût un jour et c’est maintenant qu’il s’en va. » p. 194.

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A 15 ans, Scarlett est une séduisante fille de planteurs de coton de Géorgie, au sud des Etats-Unis. Avoir tous les hommes à ses pieds est la chose au monde qu’elle préfère, mais elle a jeté son dévolu sur un seul d’entre eux : le beau, le grave, l’aristocratique Ashley Wilkes. Seulement il est promis à une autre. A ce premier drame sentimental vient s’ajouter la guerre de Sécession (1861-1865) provoquée par le refus des Etats du sud d’abolir l’esclavage et conséquemment, leur départ de l’Union. Les vies de Scarlett et de tous ses proches vont changer à jamais. Au-dessus de tout cela, plane l’ombre de Rhett Butler, cynique, arriviste, séducteur, épris de Scarlett et bien décidé à la posséder un jour ou l’autre

Comme dans Le Guépard de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, qui se passe pendant la guerre d’unification italienne à peu près à la même époque, on se trouve ici dans un Etat traditionnel et rural du sud des Etats-Unis (comme la Sicile en Italie) dont le mode de vie et la mentalité vont basculer lors de la Guerre de Sécession. Le vieux code de l’honneur sudiste contraignait surtout les femmes – Margaret Mitchell excelle à décrire toutes les interdictions auxquelles doit se plier une vraie dame du sud : ne pas avoir l’air plus intelligente qu’un homme, ne pas s’occuper de politique, ne pas s’occuper d’affaires, ne plus danser avec d’autres hommes une fois mariée, ne pas sortir de chez soi quand on est enceinte, ne plus sortir dans le monde quand on est veuve, etc – ce vieux code de l’honneur va s’effondrer sous l’assaut des idées nouvelles venues avec la victoire du Nord. Autant en emporte le vent : c’est ce qui reste d’une civilisation quand la bourrasque de la guerre et de la modernité emporte tout sur son passage.

Il y a ceux qui s’adaptent au nouveau système, comme Rhett Butler, et ceux qui ne le peuvent pas, comme Ashley Wilkes  ou les femmes de la famille de Scarlett. Ce pavé d’Autant en emporte le vent (800 pages dans mon édition de 1938 !) est en fait le roman d’apprentissage de Scarlett, qui va progressivement rompre avec les normes, retrouver sa vraie nature d’Irlandaise (en elle combattent la rude franchise de son Irlandais de père et la délicate bienséance de son aristocrate de mère) et devenir une femme indépendante et libre qui « plus jamais n’aura le ventre creux ». Elle y est amenée par Rhett Butler le renégat, qui a coupé les ponts avec les codes de la bonne famille de Charleston dont il est issu. Son idéologie à lui : la loi de la jungle. Seuls les plus doués méritent de triompher. Il n’hésite ainsi pas à commercer avec les yankees ni à spéculer pendant la guerre. Mais sa nature est plus complexe qu’il n’y paraît puisqu’il cède à un accès de chevalerie quand il s’engage au front alors que tout est déjà perdu.

Ce roman nous plonge ainsi dans le traumatisme de la guerre de Sécession vécue depuis la ville d’Atlanta, l’un des derniers bastions du sud assiégé par l’armée du nord. Dans un mélange de patriotisme et de réalisme, l’auteur narre les horreurs de la guerre, l’armée confédérée (du sud) résistant héroïquement mais submergée par le nombre et la technologie de l’armée du nord. On voit passer les morts, les blessés, les privations, les mariages hâtivement noués. Scarlett qui avait épousé Charles par dépit amoureux (le frère de la fiancée d’Ashley !) est veuve à 16 ans, dès les premiers mois de la guerre. Mais la guerre n’occupe que le premiers tiers du livre. Toute la suite s’intéresse à sa prise en main du domaine de son père, Tara, qu’elle est la seule à pouvoir diriger, et au développement de ses affaires en ville lors de la Reconstruction.

Enfin, Autant en emporte le vent est une tragique histoire d’amour sertie au sein de la rouge Géorgie. Scarlett nourrit un fol amour idéaliste pour Ashley malgré l’impossibilité de se marier avec lui, et elle se rendra compte, mais trop tard, que c’est Rhett qui l’a toujours aimée et qu’elle aime vraiment. Cette prise de conscience, à la fin du livre, fait partie du déchirement de ses illusions d’adolescente. Mais la fin du roman n’en est pas vraiment une : après que Rhett l’ait quittée en lui lâchant sa célèbre phrase « Franchement ma chère, je me fiche [de ce que vous allez devenir] comme d’une guigne », Scarlett relève la tête en se promettant de le reconquérir. Il n’est pas interdit de rêver qu’elle y arrive… mais c’est une autre histoire.

C’est un roman très dense, avec toute une galerie de personnages secondaires bien typés, parfois très drôles. Margaret Mitchell s’y entend pour créer des situations à retournements, des quiproquos (le passage où Scarlett imagine qu’Ashley va la demander en mariage, et le décalage avec ce qui se passe réellement, est mythique !). Le coup de génie de l’auteur a été de faire de la douce et bonne Mélanie, épouse d’Ashley, la meilleure amie et alliée de Scarlett pour qui elle éprouve une admiration sans borne, étant tout son contraire. Là encore, Scarlett va apprendre à aimer celle qu’elle haïssait le plus. Mélanie réserve des surprises (un de mes personnages préférés).

On peut ne pas trouver Scarlett très sympathique… : elle est la personnification de l’égoïsme, de l’esprit calculateur tendant à la malhonnêteté, mais aussi de la fougue et du courage. Rhett est lui aussi ambigu, presque démoniaque parfois : manipulateur, flamboyant, conscient de sa force et plein d’arrogance, mais aussi clairvoyant, pratiquant la dérision de tout y compris de lui-même et secrètement tendre. Son passe-temps préféré ? Faire enrager Scarlett. Mais il reconnaît en elle son double féminin, son Döppelganger pour faire snob : un être foncièrement libre, prêt à se délier des conventions sociales dont il ne se prive pas de lui montrer l’inanité. Il s’amuse beaucoup des conflits intérieurs de Scarlett. Le premier, c’est le moment fondateur de leur relation au cours duquel il invite à danser une Scarlett de 16 ans, déjà veuve et tellement frustrée de ne plus pouvoir s’amuser. C’est la première fois qu’elle rompt une convention, et ce ne sera pas la dernière, au grand régal de notre vieux fond féministe.

Les descriptions pittoresques qui parsèment le livre sont loin de me déplaire. Elles nous plongent dans une autre époque, celle du vieux sud nonchalant avec ses hiérarchies sociales : supériorité de l’homme sur la femme, supériorité des blancs sur les noirs.

Les esclaves justement : ils sont très présents, intégrés à la vie sociale. En bonne fille du sud, Margaret Mitchell tient un peu trop à montrer que leur situation était idyllique dans le sud avant la guerre : le père de Scarlett n’a fouetté qu’une seule fois dans sa vie un esclave (rien que ça…), la mère de Scarlett s’occupe d’eux comme ses propres enfants, la nounou noire de Scarlett lui est dévouée tout en ne se privant pas de la réprimander… Ils font partie de la famille (des meubles dirait-on). Encore imprégnée des préjugés de son époque, l’auteur présente les noirs comme des enfants amoraux globalement incapables de se conduire tout seuls sans la férule des blancs. Mais il y a des exceptions, comme l’oncle Peter par exemple. Cette représentation pourra faire grincer des dents à quelques-uns. Pour moi, ça fait partie du compromis romanesque qui prend toujours ses distances avec la réalité.

 Ce roman est enfin un bon gros mélo comme on n’en fait plus, qui m’a semblé un peu long par moment (d’où ma technique : sauter des pages, lire les passages les plus exaltants, puis revenir en arrière pour lire bien sagement de façon linéaire). Ses scènes de passion et de guerre, de mœurs et de luttes pour la vie, de commérages et de fêtes m’ont transportée à bien des moments, malgré les longueurs. Et que dire de ses scènes d’amour, dignes des meilleurs Harlequin ?

« Alors Rhett lui entoura la taille et les épaules de ses bras. Elle sentit contre son corps les muscles durs de ses cuisses, contre sa poitrine les boutons de sa veste. Une vague chaude la souleva, malgré son étonnement et sa frayeur, chassa  de son esprit la notion de temps, de l’espace et des circonstances. Elle se sentait aussi molle qu’une poupée de chiffons. Elle avait chaud, ses forces la trahissaient, elle était sans défense, et c’était si bon de s’abandonner dans ses bras. » (p.310).

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Bien envie de revoir le film du coup…


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