L'ancien maitre des lieux nous ayant malheureusement quitté trop tôt l'an dernier, c'est le jeune Kosugi Yoshiki qui lui succède avec beaucoup de brio (imaginez la pression pour ce jeune homme de 30 ans qui prend la suite d'un producteur aussi réputé) pour la fabrication des thés dans l'usine de Yokosawa, et c'est toujours Mme Tsukiji qui gère les plantations.
Quelques efforts avant de pouvoir admirer les lieux
C'est avec le thé qui est récolté le plus tard (cette année du 17 au 21 mai), c'est à dire l'immense Tôbetto, que je vais commencer. Ce thé est aussi le point culminant des thés de ce domaine, récolté manuellement à plus de 800 m d'altitude, au Japon c'est tout à fait exceptionnel, faisant l'objet d'un procédé de fabrication tout aussi exceptionnel. Non seulement il ne déçois pas, mais il est même particulièrement réussi !!
A propos de récolte manuelle
"Cueilli manuellement", voilà une petite phrase magique, une accroche qui fait vendre, cueilli à la main c'est nécessairement mieux qu'avec une machine. Vraiment ? En fait pas nécessairement. Il y a diverses méthodes de cueillette manuelle, et une bonne cueillette à la main demande du savoir faire et de l’expérience, et les cueilleuses de talent se font de plus en plus rare. Mais au delà de ces questions élémentaires se pose aussi le problème de comment travaille-t-on ensuite ce matériel récolté à la main. Si l'étuvage puis le malaxage/séchage n'est pas fait de manière à profiter de la qualité du matériel récolté manuellement, on fini par obtenir un thé qui pourra être inférieur à nombre de thé récoltés mécaniquement.
Pour la cueillette du thé japonais, on parle généralement de isshin-niyô 一芯二葉 (un bourgeon et deux feuilles) ou de isshin-sanyô 一芯三葉 (un bourgeon et trois feuilles). Bien sûr le premier cas est reconsidérer comme meilleur (doucement umami), mais cette troisième feuille est en fait important car elle donne beaucoup de puissance au thé (pour un thé de concours, ou seul l'umami fait tout, on ne la prendrait pas). Pour Tôbetto, on prend isshin-niyô, le bourgeon et les deux feuilles suivantes, plus, séparément la troisième feuille. pourquoi séparément ? Parceque qu'on ne veut pas prendre la tige qui se trouve entre la deuxième et la troisième feuille. Cette parti de tige est trop dure, donc, pour faire un thé d'aussi haut vol que Tôbetto, on n'en veut pas.
En effet, un point très important pour faire un thé de très haute qualité est l'uniformité de la dureté du matériel (bourgeons, feuilles, tiges), cela est la clé pour obtenir un séchage uniforme des trois éléments composant le sencha. Ainsi, la cueillette à Tôbetto va encore plus loin, puisqu'on demande aux cueilleuses de ne prendre que les feuilles répondant à ces exigences. Pour être capable d'un tel jugement, on comprend combien l'expérience est nécessaire. On comprend aussi que le rendement est le dernier des soucis avec ce thé très particulier.
Mais c'est grâce à cette sélection que l'étuvage unique de Tôbetto est possible. Pour un futsumushi sencha (ou asamushi sencha), sencha à l'étuvage standard, la duré d'étuvage, non, la durée de passage dans la machine en réalité, est au alentours de 30 secondes. 20 secondes est déjà très rare est considéré comme très court. Pour Tôbetto, seulement 6 secondes !!!
Beaucoup de producteurs n'y croit même pas, pourtant cela est vrai. Machine pas trop chargée et matériel (feuilles fraiches) d'une grande uniformité permettent cela.Les feuilles ne sont pas chauffées inutilement, elles ne reçoivent pas d'humidité inutile et gênant la malaxage/séchage.
"Ne rien ajouter, ne rien enlever", "je ne fais rien de particulier, mais je ne fais rien à moitié" telle était la philosophie de feu M. Tsukiji. Les parfums de Tôbetto ce sont les parfums de la plantation.
Les feuilles, d’épaisses et longues aiguilles, sont porteuse d'un parfum léger, frais, intense et en même temps naturel, ça fleur bon le sencha. Malgré un torréfaction très faible, il n'y a rien de franchement végétal ni herbeux. C'est doux et envoutant, c'est un parfum très confortable.
Il y a mille façon d'infuser ce sencha. Eau d'abord bien tièdie, avec une bonne dose de feuilles reste pour moi le classique, un idéal ou les infusions s'enchainent les une après les autres, naturellement, évoluant doucement.
On peut aussi choisir l'infusion aux glaçons et eau froide. L'opération peut être répétée avant d'utiliser de l'eau chaude. On mettre beaucoup de feuilles pour très peu d'eau bouillante, façon gongfu cha.... Ce qui est sidérant, c'est que finalement, en faisant preuve d'un minimum de bon sens théïque, il est presque inratable.
Dans ses arômes en bouche il n'y a pas d’élément particulier super original (c'est du Yabukita), le tout est simplement délicieux. Ce n'est pas du tout un thé qui lorgne du côté des concours et on y retrouvera pas de trop plein d'umami type bouillon. Équilibre parfait entre douceur et astringence, petites touches fleuries, boisées, fruitée, puissance et finalement douce interminable.
Selon la méthode d'infusion on peut avoir beaucoup de douceur, umami et sucrée, une très grande intensité, mais toujours d'une manière naturelle, sans aucune lourdeur. A l'inverse on pourra obtenir une touche importante d'astringence, mais sans que celle-ci soit agressive.
On pourra obtenir avec des paramètres presque classiques 5 ou 6 excellentes infusions, chose franchement rare, voir unique avec un thé japonais.
S'il est au Japon un seul qui mérite réellement le titre d'exceptionnel, c'est bien celui-là. Pourtant, il n'est pas nécessairement facile à saisir en premier lieu. Il faut s'en imprégner, puis en revenant à d'autres sencha, on comprend peu à peu toutes les qualités de Tôbetto.
Déranger durant sa chasse, il laisse s'échapper le lézard qui ne lui laisse que sa queue pour maigre pitance.