Like Hearts Swelling se décline en cinq plages, longs espaces étirés au possible, composés de motifs répétés et crescendos. Parlons de post-rock alors, d'autant que le disque est sorti sur Constellation Records. Les trois premiers tableaux, saisissants, créent un paysage industriel, à la fois vivant et déjà mort, où l’on peut entendre les machines vrombir, grincer, crachoter, et créer une harmonie contemplative et parfois lyrique. Les deux derniers ressemblent plus à des tableaux impressionnistes, à de grandes plaines jaunes et humides où le son est moins dense, la composition moins dramatique, l’éléctricité évaporée. La juxtaposition n’a rien d’artificiel : nous allons bien du labeur à la retraite d’un même mouvement. Et Polmo Polpo, plus intéressé par les fondus que par les cuts, ouvre des zones de convergence où les espaces se recoupent : qu’entend-on au début de Farewell ? Un clavier ? Un oiseau ? Une poulie ?
En effet rarement disque aura si bien posé son décor et créé ses ambiances : les sons ne sont plus identifiables et assimilables à des instruments, ils semblent exister en tant que tels, et créent un champ dans lequel l’auditeur est immédiatement immergé. Cette transparence du moyen rend la musique plus forte, comme libre, autonome. L’espace est déjà réel, il n’est que cadré. L’oreille est contemplative, fascinée. Les tempos sont lents et laissent l’intensité grandir. Et on a beau faire, et apprécier les violoncelles de Sky Histoire et Like Hearts Swelling, ce sont bien les progressions industrielles des trois premiers volets que l’ont retient de l’ensemble.
A l’écoute de Requiem for a Fox, et même si Polmo Polpo travaille évidemment plus sur les progressions que sur les ruptures, à la 7ème minute la surprise est totale et l’idée remarquable : ces beats qui apparaissent comme le lierre sur la tôle, parasites magnifiques, seraient-ils une invitation à la danse ? Polmo Polpo va bien au-delà : c’est tout le mouvement de l’homme entre les rouages de la mécanique des machines, c’est cette recherche d’un rythme de travail, d’un rythme de vie, cette prise d’élan en manque d’envie qui est au cœur de la vie des citadins modernes. Polmo Polpo bâtit un disque post-industriel, où la lutte des classes n’est plus sociale mais esthétique, où la cheminée d’usine devient canon quand on trouve la beauté sous les laideurs imposées. Toute la première partie du disque invite à la contemplation industrielle, au ravissement des sens en milieu glaçant, désormais dernière nécessité face au travail nécessaire.
Car ces sons qu’Einstürzende Neubauten aurait rendu oppressants, ce qu’ils sont pour la plupart de ceux qui les vivent, sont ici enveloppés d’une acoustique brumeuse, d’une brume lointaine, et transfigurés jusqu’au sublime. On apprend alors à peine ce dont l’oreille de l’homme est capable, puisqu’en acoustique aussi tout n’est question que de perspective. On entend ce que l’on veut. Ce disque est profondément bouleversant, car il agit comme une vertigineuse révélation.
En bref : Un disque de post-rock qui ne change pas le genre. Il est juste infiniment plus beau que les autres.__ __Le site de Constellation records_Non pas des vidéos, mais Requiem for a Fox et Farewell illustrés par un amateur: