C’est le sixième recueil de poèmes de Malek Alloula, et le dernier, puisque, né à Oran en 1937, il vient de mourir à Berlin en février. Figure discrète mais majeure de la littérature française et algérienne, écrivant uniquement en français, il aura été le maillon reliant la génération fondatrice des Kateb Yacine ou Mohamed Dib aux écrivains d'aujourd'hui, qui souvent s'en réclament,. Le livre est composé de trois parties, avec deux voix et deux tempos fort différents.
D’abord, celle qui donne le titre à l’ensemble : « Dans tout ce blanc », sous-titré Récitatif. Ghislain Ripault, son ami, parle de monologue haleté, et en effet, on a affaire à un long texte en bandeau, avec répétitions, bégaiement et parole soufflée à l’oreille de celle à qui s’adressent ces mots serrés, pressés et brûlants
tu es alors oui
une bouffée
de mon haleine.
Les deux personnages se fondent dans une seule et même tonalité. Preuve en est, les genres s’inversent :
toi étreint dans mon étreinte
moi muette de tant de mots
L’amour affleure sans discontinuer dans cette déclaration ininterrompue, urgente, nerveuse et balbutiante, comme s’il n’y avait plus de temps à perdre, pour dire cette parole de fièvre et de grandeur où ne jaillit qu’un seul monologue pour deux voix unies. Chœur ou confident, un troisième personnage résonne qui souligne de son ampleur le discours murmuré : la mer, avec son mouvement perpétuel et sa rumeur infinie :
…l’accueillir à reculons sans cesse
tirant vers nous ce qu’elle propose
de broderies éphémères
et de bulles d’air…
et l’amour susurré devient cosmique, fervent, miraculeux.
La seconde partie est sous-titrée Météorologies. Il est question de pluies et de vent, et surtout du rapport étroit et charnel entre ces forces climatiques et la terre, cette terre d’Afrique du Nord de laquelle il participe intimement. Les pages cette fois font montre d’une écriture charnue, où le vers épaissit, s’incruste et se love dans la langue imprécatoire de l’oracle.
Il vient du ciel une eau de fougue
de déchaînement menant grand fracas
et s’abattant au-dessous d’elle
sur les enclumes raidies du sol…
Le style est très différent, les éléments du paysage prennent alors le devant de la scène, mais la résonance cosmique est semblable, et l’enracinement tellurique traverse la mémoire et l’histoire.
les voici ces vertueuses chargées de pureté
faisant d’un linceul un cocon de nymphe…
La dernière partie, « Les Pluies du miracle », serait comme l’amalgame des deux premières. On retrouve la même forme haletée et cette poésie visionnaire où l’homme fait corps avec l’amour et le monde
…nous tels un milieu passif et clair nous diffractons
ce qui de lumineux nous traverse
pour rêver seuls sans fin à ce mystère…
(Jacques Morin)
Malek Alloula, dans tout ce blanc, Éditions Rhubarbe
8 €. 10, rue des Cassoirs – 89000 Auxerre.