Le dernier recueil de nouvelles d’Erri De Lucca vient en son temps. Des temps troublés où il est bon de revenir aux mythes ; ceux de la Méditerranée, ceux du mystère des eaux et des mystères de la vie.
Tout commence en Grèce pour le meilleur de la pensée même si l'on craint pourtant que tout y revienne pour le pire de l’économie.
L’écrivain se retire régulièrement en Grèce, dans une île. De cette manière il reste en contact avec la baie de Naples, comme si l’eau conduisait ses pensées. C’est ainsi que la seconde nouvelle « Le ciel dans une étable » le relie à son père. On sait déjà combien le premier livre qu’il a écrit lui était dédié, au point qu’il ne revienne vers lui qu’une fois l’ouvrage publié.
L’écrivain parle de la Grèce comme d’un lieu où le ciel et la terre se confondent souvent et continuent à se déchirer, comme au temps des dieux, quand les éléments se sont séparés les uns des autres dans la douleur et le crime après avoir engendré des enfants devenus des Titans.
« Un abime. C’est ça qu’il y a d’abord. Ensuite, naît, apparaît, se produit Gaïa, c’est-à-dire la Terre, avec un grand « T », la déesse ou la puissance Terre. Elle apparaît, au fond, au milieu de Béance et d’une certaine façon, comme nous le verrons, encore rattachée à la Béance. La Terre, Gaïa, d’une certaine façon, c’est le contraire de la Béance. La Béance, c’est un trou, un vide obscur où rien n’a de forme. La terre, c’est un plancher déjà. C’est quelque chose de solide où on peut marcher, où les hommes marcheront, les animaux, les Dieux, les montagnes. » … « Ouranos le grand ciel. Imaginons Terre, comme une immense, géante, étendue à terre sur le dos, Chaos en-dessus d’elle, étendu sur elle. Elle a créé Ouranos exactement semblable et égal à elle-même. Il n’y a pas un morceau de Terre que le Ciel ne recouvre. » Ainsi parle Jean-Pierre Vernant.
Et il y a la mer.
Et entre la terre et la mer, il y a Irène, capable de parler avec les animaux de l’une et de l’autre, mais se taisant devant les hommes.
Elle aussi est enceinte. « Irène a des yeux ronds de poisson, d’oiseau, de mammifère. Pas une trace de plis, même dans le sourire. »
Et la mer est faite pour le va et vient de ceux qui s’éloignent, puis reviennent, puis s’éloignent encore.
« Etre expulsés deux fois fait mal aux os. Pour nous, la Méditerranée est une mer qui jette dehors. Pour ceux qui l’on traversée, entassée et debout dans des embarcations hasardeuses, la Méditerranée est une mer qui jette dedans. »
Dans cette mer, Irène va nager la nuit…elle connaît les réponses à des choses qui ne posent pas de questions…
Irène s’intéresse aux histoires et, comme nous, elle écoute le conteur.
Et quand « elle fait sa provision de souffle, elle devient une voile. »
Il y avait déjà trop longtemps que je n’avais plus eu l’occasion de lire le grand écrivain italien. Ses mots me manquaient. Sa manière de me les donner par surprise était devenue indispensable pour combler un manque. Et ce texte n’est, pour tout le bonheur du monde, qu’une suite de phrases. Chacune laisse un trait, un lambeau de chair et d’histoire ; chacune est faire pour devenir mienne. Chaque phrase dépose un morceau d’univers, comme au moment de la séparation primitive.
Irène existe pour et par la somme des phrases…
« Elle existe parce que oui, parce que dans la nature il existe le oui et le non. Ils se produisent, ils se chassent, ils se repoussent, ils coïncident, ils se disputent le monde. »
Elle écoute le monde qui tremble et fait trembler les îles. Elle sait qu’elle doit fuir la folie des hommes et faire confiance aux conteurs.
Erri De Luca. Histoire d’Irène. Traduit de l’italien par Danièle Valin. Gallimard. 2015. Storia di Irene. 2013 Feltrinelli pour la version originale.
Autres romans :
Pas ici, pas maintenant.
Le jour avant le bonheur.
Le poids du papillon.