Magazine Journal intime

Picton et le Queen Charlotte Track, le retour du bleu de chauffe

Par Simplybrice

Jamais on s'fait de bile, même quand il fait un froid d'canard.
Après deux jours à Wellington, j'ai l'impression d'avoir déjà arpenté toutes les rues de la ville. A l'image de tous les grands centres urbains néo-zélandais, on se croirait dans un village gersois en comparaison avec les métropoles asiatiques tentaculaires. En marchant tout droit d'est en ouest ou du nord au sud, il suffit d'une trentaine de minutes pour boucler le centre-ville.
Ce matin donc, je prends la tangeante. J'ai un billet pour le premier ferry faisant la navette de l'île du nord à celle du sud. A 8h, j'embarque. A 8h30, on lève l'ancre.
Au départ, je m'installe sur le pont supérieur profitant d'un temps à peu près clément malgré la nécessité de porter mes vêtements les plus chauds en couches superposées à, si l'on en croit le calendrier, moins d'un mois de la venue de l'été. Seulement, pour l'instant, l'été est encore loin de me dorer l'épiderme. Sur ma tête, s'empilent casquette et capuche. Ce n'est pas encore assez... Le Détroit de Cook est réputé houleux ce qu'aujourd'hui ne vient pas démentir.
Transi de froid, je suis contraint de déménager à l'intérieur. Là, des centaines de personnes dorment à même le sol quand elles ne trouvent pas de sièges libres. Le ferry est un immense dortoir ronflant improvisé. Pour une fois en Nouvelle-Zélande où tout est d'habitude règlé à la mode bavaroise, c'est un joyeux bordel qui rappelle les trajets marins qu'on peut effectuer plus au nord, là où le bordel fait partie intégrante de l'Art de Vivre.
En apparté, juste pour que vous puissiez vous rendre compte à quel point les gens d'ici sont civilisés, il faut que je vous parle des passages cloutés. Au feu vert, lorsque le petit bonhomme rouge à les mains sur les hanches indiquant qu'il ne faut pas traverser; sans exception, tous les kiwis se font forts de ne pas le décevoir. Qu'il y ait une voiture toute proche ou rien qui vienne à des kilomètres, chacun se garde même de poser un orteil sur la chaussée. Le trottoir est une salle d'attente à ciel ouvert dans laquelle toute incartade n'est même pas du domaine de l'imaginable. Quand je vous dis que par moment on se croirait en Bavière...
Mais revenons à nos moutons.
Entourés de loques affalées comme elles peuvent, j'ai autant de modèles à suivre qu'il y a de dormeurs. La traversée durant trois heures, il faut bien s'occuper comme on peut. Apparemment, le petit bonhomme est en position couchée, tachons d'en faire autant. Autant à l'écart du passage que possible, je m'installe moi aussi ma couchette improvisée, mon gros sac me servant autant de dossier que d'oreiller et mon petit sac noué autour d'une de mes jambes pour ne pas lui donner l'occasion de faire le mur.
Bercé par le rouli du navire chahuté par les vagues, je sombre corps et âme en quelques tours d'hélice. Un délice, ce n'est pas la croisière s'amuse mais la croisière s'allonge et ce n'est qu'une fois Picton atteint de l'autre côté, que j'ouvre mes écoutilles comme le reste des somnoleurs.
Picton a beau être un point incontournable dans tout périple néo-zélandais eu égard à sa position stratégique, tout le monde devant à un moment ou à un autre prendre le ferry, le bled est liliputien. Une rue principale dans laquelle se concentre deux supérettes, trois restaurants et trois bars et puis c'est tout. J'ai plus vite fait d'en faire le tour qu'en faisant la même démarche autour d'un paté d'immeubles parisiens.
En quittant le port mes 25kg sur le dos, je pars de ce constat pour rejoindre la GH que j'ai choisis dans le LP à pieds. Celle-ci à beau être de l'autre côté du village, la belle affaire. Pourtant, en bon escargot aguerri, j'aurais dû savoir qu'épaules nues et épaules pleines ne jouent pas dans la même catégorie. Entre les poids mouches et les poids mi-lourds, il y a un monde. C'est pourquoi je suis bien soulagé quand j'aperçois enfin l'enseigne me prévenant de la fin imminente de mon cross country chargé comme une mule tout juste sorti d'un sommeil tellement profond qu'il est difficile de s'extraire de son emprise.
A l'intérieur, je pose mon paquetage en attendant que quelqu'un veuille bien me dire ce qu'il en est des lits libres. Une dame arrive, me demande si j'ai une réservation, et quand je lui répond par la négative, elle conclut en me remerciant d'être passé mais que pour ce soir, ça ne va pas être possible. (sic)
Le couperet tombe, il faut que je tourne les talons s'enfonçant dans la terre sous le poids de mon chargement remis à dos. Je retraverse Picton en sens inverse, las. Mais c'est pour le meilleur. En fin de compte, je me base dans une autre GH, véritable sanctuaire.
Des dortoirs répartis autour d'un patio au milieu duquel trone un poele qui réchauffe les corps, une grasse pelouse richement dotée en chaises longues, un jacuzzi, une boulangerie la porte à côté, rien ne manque. L'un dans l'autre, je ne regrette pas mon coup dans l'eau de la matinée. Tout tourne à mon avantage dans un environnement propice aux rencontres amicales sous un soleil qui daigne enfin faire grace d'une apparition prolongée. J'y passe toute l'après-midi et toute la soirée, ne sortant que pour manger un fish and chips, ne daignant toujours pas passer du côté manche de la casserole. Quatorze mois sans faire la cuisine, ça forge certaines habitudes...
J'organise également ce qui sera mon programme des prochains jours.
Mis en bouche par le Tongariro Alpine Crossing, il faut que j'étrenne mes nouvelles chaussures sur un nouveau parcours. Ca tombe bien, Picton est la base idéale pour se frotter au Queen Charlotte Track. Soixante et onze kilomètres à travers collines et forets, voilà qui devrait caresser ma motivation dans le sens du poil!!! Le tout à boucler idéalement en trois jours!!
Pour se faire, il faut réserver un bateau qui convoit les marcheurs jusqu'au point de départ avant de déposer également tout leur équipement superflu pendant la randonnée dans les logements qui ont aussi été reservés en amont. Merci l'organisation!!! Jamais vu un truc pareil!!!! Pas besoin de se coltiner sac de couchage et Cie, le bateau s'en occupe et une fois la journée de marche finie, mon gros sac devrait chaque fois être là à m'attendre sagement!!
J'ai donc mon transport et mon couchage organisés, ne reste plus qu'à prendre des forces, faire le plein d'abricots secs et être sur le qui-vive le lendemain à 8h pour le grand départ. Je suis d'autant plus impatient que la météo promet juré-craché un grand beau temps pour toute la durée de la transumance.
Elle n'a pas menti. Le ciel est d'un bleu azur quand je me meus en direction du port pictonien. Le capitaine attend sourire aux lèvres rendant grâce à cette journée qui s'annonce parfaite. Le contact enclenché, le cap est mis sur Ship Cove, départ à la résonnance historique certaine puisque cette baie tranquille a accueuilli le Capitaine Cook à chacun de ces voyages en terres australes.
Là, la mer est d'un bleu profond développant des teintes plus claires à mesure que l'on se rapproche de la côte. Ca donne envie de piquer une tête mais comme la température de l'eau est plus proche des 10 degrés que des 25, je me garde bien d'attraper une pneumonie.
Environ dix personnes débarquent ici en même temps que moi. Ne recherchant pas à tailler une bavette pendant la marche, je pars d'un pas décidé, d'emblée en pole position. Il est 9h15. Quelques minutes, plus tard je suis rejoint par deux VTTistes que je m'efforce de suivre aussi longtemps que possible. Mon train s'accélère notoirement.
Si on en croit les panneaux explicatifs, en ce premier jour, il faut que j'abattes 27km ce qui devrait me prendre entre six heures trente et neuf heures selon que je me déplace au pas ou au trot. Vue comme c'est parti, il faudra plutôt compter avec la deuxième option.
Les deux premières heures sont essentiellements faites de montées et de descentes. C'est parfait, ça me permet de prendre mes marques. Mon souffle est bon même quand je prends le temps de me goudronner les voies intérieures. Une gorgée, un cliché, un abricot sec (NDLR : dédicace au Roberto).
95% du temps, je suis entouré de toutes parts par la forêt ce qui ne me distrait pas avec des vues surnaturelles sur les fjords, j'accélère.
Le calme règne sauf quand j'avance auquel cas c'est moi qui règne. Je réduis les pauses à la portion congrue. Si je n'ai pas l'impression profonde d'en chier, je continue tête baissée. Une difficulté rencontrée et achevée, je me félicite d'un abricot sec plutôt que de repos. J'avance comme si j'étais en retard.
Les rares personnes que je croises ne sont vites que de vagues souvenirs et me poussent à continuer de plus belle. En effet, si je m'arrête dans les minutes suivant notre rencontre, ils vont me rattraper et je vais encore une fois être obligé de courir pour les re-doubler encore plus rapidement.
Même quand l'horizon se dégage, je m'arrête de courtes secondes pour immortaliser la scène avant de reprendre ma fuite en avant.
Toute la journée, le physique tient bon la barre, tient bon le vent. Hissez haut!! Retailleau!!
Mon seul problème, stupide s'il en est, vient de mes chaussures neuves qui à force de me voir vous en parler pourrait attraper la grosse tête ce qui, en ces termes, serait salvateur. C'est que, quand je m'en suis porté acquéreur, j'étais tellement content et tout s'est passé si vite, que malheureusement, je ne me suis pas rendu compte... qu'elles sont trop petites. Et de beaucoup!!! A l'intérieur, j'ai les orteils tous ratatinés les uns contre les autres. A chaque pas, ceux-ci rentrent un peu plus dans une phase de décroissance comme si ils rentraient dans mon pied à la manière d'une tête de tortue qui se réfugie dans sa carapace au premier danger. Je suis une petite chinoise du XIXème siècle dont les parents seront ravis quand je chausserais du 12 à l'age adulte!!
Plus les kilomètres défilent et plus le repos s'impose, et pas pour épargner mes cuisses mais pour éventer mes doigts de pieds. Un comble!!
Cela dit, le reste du temps, je sers les dents autant que possible pour maintenir mon rythme à 3-4 pas par seconde. Je vole et prends les signes d'encouragement où qu'ils se présentent.
Vers 14h, alors que le sol est maintenant plat, je croise tout un groupe qui est parti du même endroit que moi... Mais la veille!!! Alors certes, ils prennent leur temps. Mais moi, ça me donne des ailes. Appelez le Guiness Book, il y a un malade sur la Queen Charlotte!!!!
Physiquement, ça a beau commencer à tirer un peu, à coups d'abricots secs, je garde le pied sur l'accélérateur jusqu'à Punga Cove, mon étape pour la nuit que j'atteints à 15h.
Il y a là une jetée les pieds dans l'eau où, merveille des merveilles, m'attend le gros de mes affaires. Dans un dernier effort, je mets le tout sur mes épaules et grimpe les derniers mètres qui eux, font office de juge de paix. Passer de 3kg sur le dos à 20kg, ça vous achève un Troupe de Marine, même un tenace. Surtout que pour enfin s'alanguir à la Noeline Homestay, il faut encore franchir une batterie de marches inégales propres à réduire à néant tout ce qu'il me reste d'énergie.
En franchissant le portail, je suis accueuilli par le yorkshire de Noeline qui est tout excité de n'avoir pas marcher 27km. Je lui botterais bien le derrière mais Noeline est aussi là à me scruter depuis son balcon/terrasse avec vue sur la mer.
Noeline a 78 ans et tient toute seule cette maison d'hotes. Ca l'occupe six mois par an, synonymes de haute saison. Le reste de l'année, elle la passe à voyager par ces propres moyens à travers le monde. Chapeau bas!!!
La première remarque qu'elle me fait tient du bonheur quand elle apprend que j'ai mis six heures pour rejoindre sa maison et qu'elle m'en félicite. Des randonneurs, elle en voit tous les jours, mais d'après ses dires, ce n'est pas banal quand ils débarquent à pieds en milieu d'après-midi. Ensuite, elle m'invite à m'installer aussi sur son balcon pendant qu'elle va chercher des petits pains briochés maisons ainsi qu'une tasse de thé chaud. Noeline, c'est ma grand-mère par procuration!
Je me délecte du tout en sa compagnie avant qu'elle ne me laisse à mes songes non sans un dernier conseil : "relax". Tu m'étonnes!!!
En retournant dans la maison, mamie s'est allongée sur son canapé et a entamé sa sieste.
Moi, je commence par prendre une douche dans sa salle de bain avant de moi aussi m'allonger sur mon lit profitant du fait que pour la première fois depuis que je suis en Nouvelle-Zélande et surement la dernière, j'ai une chambre à moi que je ne suis pas tenu de partager avec des allemands, des canadiens, des suédois, etc.
Un couple devrait arriver plus tard. Bien plus tard. Tellement tard que je ne vois rien venir. Il est 19h quand Noeline frappe à ma porte pour s'enquérir de mon état. Je suis tellement bien comme ça que je la rassure brièvement avant de replonger dans le sommeil. Pour le dîner, on verra plus tard. Demain en l'occurence.
Il est 9h quand j'émerge enfin de ma léthargie, dix-sept heures après son avènement!!! Tu parles d'une nuit de sommeil!!!!
Le couple, lui, est déjà reparti. Je tiens ma carotte qui pourrait aussi être un lapin mécanique juché sur un rail si j'étais un lévrier dans un cinodrome. Peu importe l'heure à laquelle je décolle, il faut que je me les fasses!!
Mais pour l'instant, je prends le temps d'une autre douche et de profiter des viennoiseries locales. Ce n'est qu'à 10h, alerté par Noeline qui m'annonce que le bateau qui acheminera mon sac jusqu'à la prochaine étape ne va plus tarder, que je m'active. Pas question même d'entrevoir, ne serait-ce qu'une fraction de seconde, l'idée d'avoir à porter ma maison sur les 24km de cette nouvelle étape pédestre qui promet d'être plus riche que la précédente en terme de dénivelé positif et négatif.
D'un pas lourd d'avoir à remettre la machine en marche, je salue mon hotesse. A la jeté, je décharge la mule. Au loin, le bateau arrive.
A mon commandement, en avant, marche!!!
Les premières minutes sont une lente remise à niveau. Qui plus est, les difficultés majeures à franchir durant ces trois jours interviennent maintenant. Ca consiste en une ascension d'une quarantaine de minutes suivie d'une deuxième un tantinet plus longue. Pas de quoi affoler les compteur cependant, je suis rodé à l'art de la grimpette. Comme c'est écrit en tête de gondole du blog depuis avant le départ : "pas sportif mais capable de gravir une montagne", même deux fois la même montagne dans la même journée!!
Ces deux mises en bouche ont en fait le mérite de me remettre le pied à l'étrier. Arrivé au dernier sommet, c'est comme si je venais de commencer. Seule la faim me taraude quelque peu mais comme il me reste encore près d'un kilo d'abricots, je ne vais pas me plaindre... C'est un peu redondant comme menu mais c'est bon et ça donne une patate à rendre la dite pomme de terre jalouse.
Au fur et à mesure de ma progression, je recroise les autres marcheurs avec qui je partageais le bateau la veille au matin. Certains sont arrêtés, d'autres avancent mais à un train de sénateur comparé au dragster made in Paname. A chaque fois que j'en double, j'ai envie d'en doubler davantage. Je force l'allure. Rien d'autre ne compte que ma cadence. J'en laisse même le calme environnant de côté en m'équipant de mon Ipod chargé de rythme la marche triomphante.
Au détour d'un virage, un couple. Le couple. Parti avec 90 minutes d'avance, les voilà maintenant avec un passif grandissant à chaque seconde.
En haut de la colline, au niveau de la mer, en haut de la colline, au niveau de la mer. j'enchaîne.
A 13h quand même, je me fends d'une courte halte histoire d'aérer mes orteils contusés. Mais dès que j'entends quelque signe d'activité humaine, je reprends la croisade. Il ne faudrait pas que la tortue se fasse des idées sur le lièvre. Il est gentil La Fontaine mais quand même...
C'est à 15h45 que je quitte le sentier. Portage, ma ville étape, mérite presque cette dénomination. C'est un petit bourg en contrebas du Queen Charlotte Track, les pieds dans l'eau, que l'on rejoint après un dernier kilomètre le long du route goudronnée. A ce stade, j'en ai enfin plein les baskets, pour un peu, je ferais une pause. Mais non.
Ma GH n'est plus une maison d'hôte. A 16h, je valide mon arrivée et on m'indique mon lit.
Apprenant des mes erreurs passées, je défie la gravité et reste debout pour aller le plus vite possible dégoter un restaurant bon marché. Mais à Portage, il n'y a pas grand choix. Une micro-supérette qui n'a rien de super et un bar-restaurant, voilà tout. A l'épicerie plus que fine, j'achète deux litres de jus de fruits. Au restaurant, je demande le menu. Abassourdi par les prix, je fais le choix d'une raisonnable pizza au saumon, ceux-ci étant parait-il fameux. Mais par un concours de circonstance, j'arrive à arracher à la bouche du serveur que la pizza est surgelée. Non merci. Quoi d'autre? N'ayant pas manger de repas chaud depuis 48h, j'en viens alors à craquer.
- "Apportez moi donc un T-bone steak saignant, sa purée et ses légumes, s'il vous plait. Je pense que ça fera l'affaire!!"
Cinq minutes chronos plus tard, l'assiette arrive. La barbaque, je la dévore, d'où qu'elle vienne. Seulement, la purée n'est pas une purée mais une salade de pomme de terre froide et les légumes sont tellement gelés qu'ils sont presques encore tous durs d'avoir tout juste été sortis du congélateur qui apparemment tourne à plein régime. C'est sans doute le repas le plus onéreux que je m'offre depuis que j'ai quitté la gastronomique terre gauloise et j'ai autant de talent de cuisinier que celui qui à préparer cette insulte. La prochaine fois, je m'en tiendrais à mes fidèles abricots secs!!!!
Sitôt l'addition payé, je retourne à la GH. Mes muscles bien reffroidis ne me portent plus qu'à peine. Chaque mètre est une gageure, chaque pas douleur. Le couple qui doit une nouvelle fois dormir sous le même toit n'a toujours pas pointé. Je sens qu'ils ne vont encore pas voir ma trombine ce soir.
A 18h, je ferme les mirettes. A 18h02, il n'y a plus personne. Extinction des feux, dépressurisation de la cabine.
Debout à 9h30, je m'étonne encore de ma capacité à faire le tour du cadran après une nouvelle nuit longue de plus de quinze heures!!
En quittant le dortoir que j'ai partagé avec un attardé pas entendu lors de son installation, je tombe sur LE couple qui prend le petit déjeuner. Ils sont assis là tranquilles, apparemment pas presser d'en découdre avec les 21 derniers kilomètres, une broutille. En discutant, ils m'apprennent en fait qu'aujourd'hui, ils font l'impasse du moindre effort. Ils se sont votés une journée de repos. Tant pis pour la carotte... Il y en aura surement d'autres.
La mise en action est encore un peu plus laborieuse que la précédente. Après cinq kilomètres, je suis aussi souvent la tête en l'air que le pied au plancher. C'est que mes Adidas n'ont pas eu une poussée de croissance dans la nuit et que la foudre petit à petit s'effrite. Et puis vingt-et-un kilomètres quand cinquante ont déjà été parcourus en deux jours, comme la cerise sur le gateau, c'est un détail de l'histoire.
A mi-parcours, profitant d'un point de vue splendide depuis un promontoire rocheux auquel on a généreusement ajouté une table et deux bancs, je lambine. Deux gars arrivent en sens inverse, on discute. Dans le même temps, un autre couple qui ne répond même pas à un bonjour poli passe sans se retourner dans ma direction. La voilà ma carotte géante!!! Deux malotrus!!!!
Je finis quand même ma cigarette pour leur laisser une chance, salue mes potes épisodiques et remonte sur mes grands chevaux. Ce sont les derniers dix bornes. Même si je me crame, ce n'est pas un souci. Ensuite, ce n'est plus que bateau et GH avec chaises longues et jacuzzi.
J'accélère. Je double mais jamais les rustrots. Il semblerait que eux aussi soient déterminés. J'accélère. A chaque petite descente, je cours. Quand c'est sur du plat que je vole, j'alterne trotinette et pas cadensés. Un panneau indique cinq kilomètres, toujours rien. Si j'accélère encore, c'est pour courir franco de porc, mais non, je m'en préserve si on peut dire qu'il y a encore quelque chose à préserver.
A trois kilomètres environs du drapeau à damier, au détour d'une ligne droite, je les aperçois à une centaines de mètres devant. Arghhhh!! Par le pouvoir du crane ancestral, je détiens la force toute puissaaaante!! Ils sont à ma merci ce que je me garderais bien de leur dire quand enfin, ça y est, les allemands, car c'en sont, m'ont sur les talons. Effectivement, eux aussi ils cavalent. Pas assez, mais ils cavalent.
A deux kilomètres enfin, je prends l'aspiration et déboite. La foule agite les fanions aux couleurs de mon écurie. Une clameur emplit les tribunes bondées. Je double sans une invitation au sourire.
Jusqu'au bout, je n'ai de cesse que de penser à les distancer. Ils sont ma nouvelle Mme Lomière de triste mémoire!!!
Je passe sous la flamme indiquant le dernier kilomètre. La cloche retentit.
A 15h, j'en termine victorieux. D'autres randonneurs sont déjà là quand même mais ça n'a pas grande importance. Les tireurs de tronche ont perdu. Ca m'a tellement requinqué que je pourrais repartir pour vingt bornes supplémentaires!!
Je passe la demie-heure qui suit allongé sur une pelouse devant la mer à attendre le taxi flottant. A son bord, je regarde défiler les montagnes sur lesquels, tel le dahut, je construis la légende. Une légende qui se démystifie vite.
Dès le retour à la GH, le marcheur a fait son temps. Je suis en mode maison de retraite. Une fois retrouvé un transat orienté fasse au soleil, je n'en bouge plus que pour accepter une bière qu'un joyeux groupe m'offre de bon coeur avant de reprendre la position semi-couchée.
Queen Charlotte a laissé quelques traces. De bonheur. Je souris.

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