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Les vacances de monsieur Lartigue

Publié le 06 juillet 2015 par Pantalaskas @chapeau_noir

"La vie en couleurs"

En cette fin des années cinquante, dans un après-guerre sorti des épreuves, où le goût des vacances et des loisirs retrouve peu à peu droit de cité, une certaine nonchalance transparaît dans ce monde en couleur capté par le photographe Jacques-Henri Lartigue et présenté actuellement à la Maison européenne de la photographie à Paris au sein de l'exposition "La vie en couleurs". La silhouette de monsieur Hulot pourrait traverser ces clichés dont les décors semblent surgir d'un film de Jacques Tati.

Lartigue couleur

Florette Megève, mai 1954. Photographie J. H. Lartigue

Issu d'une famille fortunée, Jacques-Henri Lartigue  a mis a profit ses nombreux voyages pour fixer en noir et blanc au début du vingtième siècle la saga d'une société de privilégiés qui savoure son oisiveté à Deauville, sur la Côte basque ou la Côte d’Azur.
Depuis que son père lui a offert un appareil photographique à l'âge de huit ans, le jeune Jacques-Henri a côtoyé un univers dans lequel la vie semble facile, où les tensions du monde, les conflits paraissent lointains voire inexistants. Puis les revers de fortune de la famille Lartigue entrainent des changements dans le mode de vie du jeune homme.
Lorsque arrive le temps des photographies en couleur, celles-ci font le portrait d'une société pour laquelle les congés payés, conquis vingt ans plus tôt, ont permis d'accéder à ces joies jusque là réservées à quelques-uns. Cette France est celle de la Citroën 2CV , de Martine Carol célébrité dont l'étoile va pâlir avec l'avènement  de Brigitte Bardot. Cette collectivité ressemble à celle de monsieur Hulot, à cette humanité tranquille où les enfants des écoles en blouses grises partagent des jeux ordinaires, partent en colonies de vacances, une époque où le temps a du temps devant lui.

Jacques-Henri Lartigue

Florette à la plage du Carlton. Cannes, juillet 1956.

Les vacances de monsieur Lartigue connaissent elles aussi les cabines de bain alignées comme celles de l’Hôtel de la plage à Saint Marc sur mer, les cours de tennis pas encore totalement popularisés. Cette société rêve à la hauteur de ses moyens et découvre qu'il devient possible d'aller aux sports d'hiver.  A la charnière de ces années cinquante et soixante, la frénésie balnéaire n'est pas encore triomphante. Les embouteillages routiers ne sont pas devenus endémiques et les plages conservent pour un temps encore une quiétude appréciable.

"Amateur professionnel"

Le noir et blanc des photographies qui captait la société privilégiée de Lartigue maintenait, me semble-t-il, entre eux et nous une distance respectueuse, assurant un périmètre de protection autour de ces détenteurs de la villégiature et du temps libre. Désormais la couleur, plus immédiatement réaliste, presque dilettante, utilisée par cet « amateur professionnel », présente des hommes et des femmes qui nous ressemblent davantage, avec lesquels nous aurions pu partir en vacances, jouer sur la plage, partager un repas au camping.

Florette Opio, avril 1960. Photographie J. H. Lartigue

Florette, avril 1960. Photographie J. H. Lartigue

Dans l'exposition de la Maison européenne de la photographie, un personnage revient régulièrement  dans ces clichés en couleur : Florette. Ce personnage n'a rien de fictif. Flore Ormea, surnommée Florette, née en 1921, rencontre Jacques-Henri Lartigue à Monte-Carlo en 1942.  Leur différence d’âge est de vingt sept ans. Lartigue photographie cette passion en couleur. Comment la vie pourrait-elle être autrement captée qu'en rose, rouge, ver jaune bleu lorsque qu'elle n'a d'yeux que pour Florette ?  Florette devient la compagne puis la troisième épouse de Jacques-Henri Lartigue. Ils partageront dès lors les découvertes, les voyages, les rencontres dont témoignent l’œuvre. Le photographe avec Florette  décide en 1979 de faire don à l’Etat de l’ensemble de son œuvre photographique, initiative alors sans précédent pour un photographe français.
Monsieur Hulot, échappé du cinéma muet pour traverser le noir et blanc, a désormais franchi lui aussi le pas de la couleur pour accéder en VéloSolex à une modernité qui lui échappe totalement. C'est cette époque pas encore préparée à basculer dans la société de consommation qui s'apprête à faire le saut dans l'inconnu. La couleur est traitée sur une pellicule en triacétate de cellulose couverte d'une émulsion sensible. La nostalgie n'est pas encore passée par là.

"Lartigue, la vie en en couleurs"
Du 24 juin au 23 août 2015
La Maison européenne de la photographie
5/7 rue de Fourcy
75004 Paris


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