Un matin frais, on rencontre dans un café le charmant Mathieu Saïkaly. Un bonnet sur la tête cache ses cheveux gracieusement bouclés. Sur une oreille pendouille une jolie boucle d’oreille. Sa guitare n’est pas loin. Le regard bleu rêveur, le sourire toujours accroché sur les lèvres, le jeune homme répond à nos questions avec une simplicité et une sincérité désarmante. Pourvu qu’il ne perde jamais ça.
Pour commencer : comment ça va ?
A quel niveau ? (rires). Musicalement, ça va. J’ai un peu peur, c’est normal c’est le début, mais on a eu des retours plutôt chouettes sur l’EP, en tout cas, sur le single… J’ai pas vu d’articles qui le démontaient, mais quelques commentaires sur YouTube pas très convaincus mais sinon à 80% c’est positif !
Tu lis tous les commentaires qu’on te laisse ?
Oui ! J’ai ma chaîne YouTube depuis longtemps, donc je suis très présent dessus. Je postais, à la base des chansons en anglais, maintenant je découvre peu à peu l’audience française, c’est un beau challenge d’aller la conquérir. Mais quand on part d’une chaîne YouTube, gérer une plus grande exposition publique c’est difficile, au début. C’est pour ça que ça fait un peu peur.
Tu chantes en anglais et en français, pourquoi ne pas avoir fait un choix entre les deux ?
A la base, je compose qu’en anglais, mais dans nos contrats, chez Polydor, il était inscrit qu’il fallait composer uniquement en français. Très vite, j’ai pu rencontrer le label pour leur expliquer que j’avais déjà mes compositions, en anglais. Et c’est une langue que je parle vraiment. J’ai toujours du mal avec les artistes qui chantent en anglais mais qui ne le parle pas, j’ai dû mal à savoir comment on peut chanter des choses qu’on ne comprends pas… mais en revanche, je comprends très bien l’argument « ça sonne mieux, c’est plus musical » (rires). Le français peut être très beau aussi, mais c’est très dur. Il fallait que je trouve ma signature, ma façon de rendre la langue fluide et que ça veuille bien dire quelque chose!
Comment ça se travaille, justement, l’écriture en français ?
Et ben, ça se travaille beaucoup plus en direct. Dès que j’ai une phrase, je la chante pour voir si ça colle avec la musique, s’il y a une connexion. Je m’assure que tous les mots se connectent entre eux. En anglais, tu peux parfois un peu gommer, faire du marshmallow (rires). Ça demande plus d’attention d’écrire en français, j’aime bien le challenge.
Tu as expliqué sur Facebook que l’enregistrement de l’album a été compliqué. Pourquoi ?
C’était l’odyssée ! (rires) Quand on gagne la Nouvelle Star on est directement rattaché à un directeur artistique. On n’arrivait pas à s’entendre musicalement, il avait écouté mes compos mais il ne comprenait pas mon délire…
Ton délire ?
(rires) Mon délire c’est une musique folk, sans boom boom sur tous les temps, pas trop dans l’air du temps mais pas arriérée non plus. Je voulais quelque chose de moderne mais folk… Bref, pas ce qui est tendance en ce moment. Et puis, il y a aussi eu des problèmes avec le réalisateur. J’ai commencé à travailler avec Mark Daumail de Cocoon, on a bossé ensemble trois jours, ça a bien collé, mais très vite il m’a rappelé pour me dire qu’il fallait mieux qu’il ne travaille pas avec un artiste, car cela aurait pu tourner à la guerre des egos et je pense qu’il avait raison. On a changé de directeur artistique et de réalisateur. J’ai donc rencontré Yann Arnaud, qui a travaillé avec Syd Matters notamment. J’aimais son point de vue sur la musique, son intégrité. En fait, le plus dur, c’était de trouver quelqu’un qui allait respecter ma musique, qui n’essaierait pas de la changer mais de la sublimer. J’ai rencontré deux musiciens aussi, dont Olivier Marguerit qui joue dans Syd Matters et Stéphane Milochevitch, proche aussi de Syd Matters. A partir de là, tout a été plus simple. J’ai appris à les connaître, à travailler dans un studio. J’avais peur de ne pas être légitime, je n’aime pas chanter mes compos en construction, je préfère montrer le travail une fois qu’il est fini parce que c’est pas beau tout de suite…
Pour moi, ce qui fonctionne le mieux, c’est quand on prend un risque, qu’on défend un vrai parti pris, être dans la demi-teinte, c’est ce qu’il y a de pire pour un artiste.
Quand on écoute votre E.P, on sent l’influence d’Elliott Smith, qu’est-ce qu’il représente pour toi ?
Pour moi, je respecte ce mec-là parce que j’ai l’impression que dans aucune de ses chansons il est tombé dans la facilité pour plaire. Il y a ce combat pour trouver une structure que tu ne retrouveras pas ailleurs. Chaque chanson est unique. Pour moi, c’est le songwriting pur. Le mec qui ne va pas chercher à faire juste 4 accords, il se creuse la tête, il y a toujours de la recherche, une exploration de la mélodie à travers un style que j’aime bien. On retrouve un peu de ça chez Dick Annegarn. Elliott Smith, c’est la richesse musicale dans la mélodie à travers le folk.
Tu n’as pas peur de perdre les gens avec une musique moins grand public ?
L’essentiel, je crois, c’est d’essayer de provoquer quelque chose. Si ça ne marche pas, tant pis. J’essaie vraiment d’être dans une recherche de la mélodie, je n’ai pas envie de mettre juste des sons les uns derrière les autres ou appliquer une recette parce que je sais que ça marcherait, où alors plus tard, quand je serai devenu idiot. Je trouve que c’est tirer l’auditeur vers le bas… Pour moi, ce qui fonctionne le mieux, c’est quand on prend un risque, qu’on défend un vrai parti pris, être dans la demi-teinte, c’est ce qu’il y a de pire pour un artiste. L’important, c’est d’assumer à fond ! Je trouve remarquable ce que fait par exemple Christine and The Queens, avec l’exploitation des sons. C’est hyper originale, la construction des chansons est remarquable. Le morceau « Christine », je le trouve très beau et pourtant c’est juste trois accords! Elle est forte.
Question piège : tu préférerais faire un album nul qui marche ou un album génial qui ne marche pas ?
[Rires] Un bien qui ne marche pas! Juste pour ma propre intégrité. Je n’assumerais pas [silence]… J’ai peur de te dire des phrases clichés d’artistes… J’ai pas envie de me dire « je vais sortir cette chanson parce que je sais que ça va marcher« . Ça m’énerve. Ça va être facile pour l’oreille de l’auditeur mais ne peut-on pas lui demander, ne serait-ce qu’un peu d’exigence ? Le risque c’est que plus tu vas vers le facile, plus c’est mauvais et on habitue l’oreille au mauvais… C’est dommage. Mais c’est difficile j’ai l’impression, pour les maisons de disques, de prendre des risques…
Est-ce que vous regrettez, parfois, votre passage à la Nouvelle Star ?
Pas du tout. Je savais très bien que cela donnait une très grande exposition et que la contre-partie c’est que tu le traînes un peu comme un boulet. Même si aujourd’hui, il y a tellement de moyen de se montrer que c’est bien qu’il y ait ce genre d’émission pour te donner un espèce de boost. Mais je ne regrette pas parce que sans la Nouvelle Star, je n’aurais pas rencontré Nicolas Rey et puis je n’aurais jamais signé chez Polydor [rires]. J’avais peur de montrer mes compos, là-bas… parce que c’était trop folk… Mais je crois au folk, j’y crois dur comme fer !
C’était couillu d’ailleurs de chanter du Elliott Smith en guitare-voix sur un prime…
Je voulais le faire dès le premier prime, en réalité ! Le producteur m’a dit ok mais si j’arrive en finale ! Et je suis arrivé en finale ! Je suis content d’avoir gagné avec du Elliott Smith… ça prouve que c’est possible de chanter des chansons que l’on qualifie « indé » et en anglais pendant une émission grand public…
Est-ce qu’il y a une chose que tu détesterais qu’on dise sur toi ?
Que ce n’est pas sincère. Ou que c’est fabriqué. Si on me le dit, je me dirais « merde, où est-ce que je me suis loupé« .
Propos recueillis par Sabine Swann Bouchoul