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Les Enfants de Salomon. Approches historiques et rituelles sur les compagnonnages et la franc-maçonnerie.

Par Jean-Michel Mathonière

Les éditions Dervy viennent de publier un monumental ouvrage qui s'annonce d'ores et déjà comme étant une " bible " sur l'histoire des compagnonnages et de la franc-maçonnerie.

Les Enfants de Salomon. Approches historiques et rituelles sur les compagnonnages et la franc-maçonnerie.

Les Enfants de Salomon
Approches historiques et rituelles sur les compagnonnages et la franc-maçonnerie

par Hugues Berton et Christelle Imbert

Préface de Pierre Mollier & Jean-Michel Mathonière

Éditions Dervy, Paris, 2015.

Un ouvrage de format 17 x 25 cm, 944 pages, illustrations N&B et couleurs.

Prix : 39,90 euros.

Texte de présentation (4e de couverture) :

Cet ouvrage monumental, basé sur un travail de recherches de plusieurs années, présente des éclairages novateurs sur l'histoire, les mythes et les rites au sein des compagnonnages et de la franc-maçonnerie, justifiés par un nombre important de textes originaux mis en annexe.
Les auteurs se sont attachés à étudier en parallèle et de manière distincte ces deux structures, sans confusion, tout en mettant en exergue les substrats culturels communs dans lesquels compagnonnages et franc-maçonnerie plongent leurs racines. Ces derniers puisent au cours de leur histoire dans les formes religieuses, politiques et sociétales de leur temps, et se singularisent chacun de leur côté pour donner naissance à des formes spécifiques.
Après avoir étudié les confréries religieuses, les communautés de métier, les mystères médiévaux, le lecteur découvrira l'importance des arts libéraux et de l'art de mémoire. Il entrera progressivement dans le mystère et les secrets des rituels de réception des universités, des métiers urbains, militaires et chevaleresques, des compagnonnages et de la franc-maçonnerie.
Mots, nombres et noms se dévoilent... au travers de rites sans cesse revivifiés au cours des siècles, et la clef de la loge ouvre les portes de pratiques spirituelles, discrètes, permettant de construire le temple des Enfants de Salomon dans le cœur de l'homme.
Comprenant de nouvelles perspectives sur les dimensions historiques, initiatiques et symboliques, cet ouvrage propose des pistes de réflexion et de recherches qui ne peuvent qu'enrichir le lecteur et l'amener à l'élévation morale, culturelle et spirituelle.

Les auteurs :
Né en 1953, Hugues Berton est chercheur en ethnologie. Après des études d'histoire de l'art et d'histoire des religions, il s'est orienté vers la sauvegarde du Patrimoine immatériel culturel, et a fondé en 1986 la Société d'Études et de Recherches des Survivances Traditionnelles (SEREST), afin de recueillir et de préserver les éléments épars des traditions orales des Anciens en matière de rites et croyances.
Née en 1976, Christelle Imbert possède diverses cordes à son arc (enseignement entre autres des mathématiques et des arts martiaux, études des traditions), puis se consacre activement à la recherche ethnologique comme une source d'ouverture et de compréhension du monde.

Les enquêtes de terrain qu'ils ont menées les ont conduits tout d'abord sur le territoire français, puis leur champ d'investigation s'est progressivement élargi à l'Éthiopie et au Moyen-Orient. Partisans d'une ethnologie participative, ils s'impliquent dans la pratique des rites qu'ils étudient, afin de pouvoir accéder à certains aspects généralement considérés comme relevant du " secret ", tout en gardant la discrétion et la distance nécessaire afin de restituer, le plus objectivement possible, les informations collectées. Il leur tient à cœur que la Connaissance puisse être transmise de génération en génération...

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BONUS ! La préface de Pierre Mollier et Jean-Michel Mathonière (texte intégral) :

...

" En premier lieu, bien qu'il ait été habituel d'envisager l'histoire maçonnique comme un domaine entièrement séparé de l'histoire ordinaire, appelant et justifiant un traitement spécial, nous pensons qu'elle est une branche de l'histoire sociale, l'étude d'une institution sociale particulière et des idées qui la sous-tendent, et qu'elle doit être approchée et écrite exactement de la même façon que l'histoire des autres institutions sociales. "[1]

L'un et l'autre nous faisons totalement nôtre cette affirmation fondatrice de Knoop et Jones, non seulement pour ce qui concerne l'histoire maçonnique, bien sûr, mais aussi pour l'appliquer à l'histoire compagnonnique : c'est avant tout une branche de l'histoire sociale, tout simplement. Il nous faut l'affirmer en préambule avec force car, plus encore que la franc-maçonnerie qui, bien que souvent encore maltraitée, bénéficie depuis des décennies des travaux des chercheurs s'inscrivant dans le sillage de ce que l'on nomme en Grande-Bretagne " l'École authentique "[2], on voit toujours de nos jours proliférer, sous couvert du secret initiatique ou de la compréhension subtile dont bénéficieraient quelques rares " grands initiés ", les affirmations les plus infondées quant à l'histoire des compagnonnages et quant à leurs rites et symboles. Il faut dire que le sujet lui-même se drape comme naturellement de confidentialité, au point d'être curieusement presque totalement absent de la littérature et des recherches universitaires consacrées à l'histoire sociale : le rapport numérique des publications (livres et articles) consacrées d'une part aux compagnonnages, d'autre part à la franc-maçonnerie, n'est probablement guère supérieur au 1 pour 1000, ce qui, on en conviendra aisément, ne facilite guère l'émulation critique.

Au demeurant, ces affirmations péremptoires et la marginalité du sujet participent principalement d'une confusion, soigneusement entretenue[3] de longue date, entre franc-maçonnerie et compagnonnage, confusion qui est, soit le fait de francs-maçons qui non seulement se rêvent historiens davantage qu'ils ne le sont en réalité mais également se croient plus fins connaisseurs que les compagnons eux-mêmes quant à leurs traditions, soit le fait de compagnons qui ont principalement acquis leur connaissance de l'histoire et de la rituélique compagnonniques... dans les ouvrages écrits par les premiers ! Qui plus est, l'on a abouti depuis longtemps déjà à une forme d'autoréférence particulièrement perverse : les successeurs des premiers spéculatifs à avoir écrit sur le compagnonnage considèrent comme fiables les propos des compagnons qui, ayant lu ces premières publications (oui, il est des compagnons qui lisent !), en ont relayé voire déformé et amplifié les erreurs, et ils publient donc à leur tour des ouvrages truffés d'affirmations " validées " par les compagnons, livres qui alimenteront ensuite les spéculations de nouvelles générations de compagnons (pour qui, généralement, ce qui est écrit dans un livre est parole d'évangile), etc.

Dans ce processus d'obscurcissement l'on doit aussi souligner le rôle négatif qu'ont joué certains auteurs jouissant d'une grande autorité, au premier rang desquels René Guénon - dont on sait par ailleurs tout l'intérêt pour ce qui est de la symbolique. Bien que le compagnonnage n'occupe en réalité qu'une place extrêmement réduite dans son œuvre, son intérêt pour la Maçonnerie opérative (avec laquelle on confond par une simplification outrancière les compagnonnages continentaux) l'a amené à quelquefois le mentionner dans ses nombreux articles touchant à la franc-maçonnerie. Mais Guénon connaissait-il réellement le sujet, tant sur un plan strictement historique que sur celui des rites initiatiques qui forment le cœur de ses préoccupations ? Non. Et on soulignera qu'à bien explorer ses écrits, Guénon n'avait probablement même pas lu le seul ouvrage de référence disponible à son époque - Le Compagnonnage, d'Étienne Martin Saint-Léon (1901). Les quelques compagnons qu'il connaissait, vaguement d'ailleurs, n'étaient aucunement des spécialistes du sujet. Plus grave, le fait même qu'il ait pu accorder du crédit aux élucubrations d'un Albert Bernet[4] et d'un Clement Stretton[5] démontre à l'envie que lui, dont l'esprit critique était sans cesse en éveil, souffrait pourtant en l'occurrence d'un défaut commun à une majorité de Maçons : croire avec délectation tout ce qui va dans le sens de l'imaginaire maçonnique vis-à-vis du monde opératif, c'est-à-dire croire en à peu près n'importe quoi pourvu que cela fasse " opératif "... tout en étant fortement empreint d'ésotérisme, si possible à tendance hébraïsante ! Chez les disciples les plus farouches du courant pérennialiste, cette tendance peut atteindre un tel paroxysme que tout document authentique qui ne cadre pas avec cet imaginaire pseudo-opératif sera écarté ipso facto comme étant un faux ou, pour le moins, comme n'étant pas significatif...

Au-delà même de ces confusions quasi permanentes entre compagnonnage et franc-maçonnerie que l'on ne dénoncera jamais assez, il nous faut aussi souligner que malgré les importants progrès accomplis au cours des deux décennies passées en matière de découvertes archivistiques et d'analyses conformes à la méthodologie historique, tout particulièrement grâce aux travaux de Laurent Bastard et à son action éditoriale en tant que directeur du Musée du Compagnonnage de Tours[6], il reste énormément à faire pour éclairer toutes les riches facettes de l'histoire compagnonnique, non seulement en réalisant davantage d'études monographiques - aussi indispensables au travail des historiens que la pierre, le fer ou le bois le sont aux artisans pour élaborer leurs productions - mais aussi et surtout en éradiquant les idées reçues tenant lieu de méthodologie à ceux qui ignorent avec dédain les travaux des historiens et anthropologues.

Parmi ces idées reçues, il en est une sur laquelle se sont souvent appuyés nos pseudo-spécialistes : c'est le fait que la tradition compagnonnique était non seulement secrète mais aussi exclusivement orale et qu'il n'existerait donc pas d'archives permettant d'en cerner à peu près le contenu. Au demeurant les adeptes de ce point de vue croient aussi que les rares compagnons sachant lire et écrire détruisaient rituellement chaque année leurs archives. Ajoutons à ces affirmations peu fondées l'adhésion préalable à l'idée selon laquelle " l'absence de preuves ne constitue jamais que la preuve de l'absence de preuves " et l'on obtient un salmigondis intellectuel permettant d'affirmer tout et n'importe quoi sans crainte d'être contredit ! Or, si l'on peut regretter que les archives compagnonniques ne soient pas plus abondantes et d'accès moins restreint, il est faux de prétendre qu'il n'en existe pas. Certains compagnonnages comptaient dans leurs rangs des artisans correctement alphabétisés, qui ne se privaient pas d'écrire les règlements de leurs sociétés, ni d'échanger des courriers avec leurs frères. Ainsi notamment des compagnons passants tailleurs de pierre dont les archives avignonnaises ont permis d'importants progrès dans la connaissance des traditions compagnonniques : l'image qui s'en dégage nous montre des hommes qui étaient quelquefois d'un haut niveau d'instruction et qui, comme l'a montré de manière plus générale encore l'exposition La règle et le compas[7], n'ont pas attendu la naissance de la Maçonnerie spéculative en Grande-Bretagne puis son implantation en France pour spéculer sur les symboles, qu'il s'agisse des outils du tailleur de pierre ou bien des arcanes de la géométrie.

Certes, les découvertes documentaires totalement nouvelles sont rares, notamment quant à ce qui est du domaine maçonnique tant il a été exploré par les historiens britanniques depuis le milieu du XIX e siècle. Mais comme le souligne Roger Dachez à propos des origines de la franc-maçonnerie, " c'est sur le fonds documentaire actuellement disponible, un ensemble important et très informatif [...] qu'il convient aujourd'hui de formuler, si c'est possible, une théorie cohérente et compatible avec ces sources... "[8] Si l'on peut espérer que le domaine compagnonnique français verra pour sa part davantage de découvertes archivistiques (telles celles réalisées en 1996 à Avignon et Arles pour les compagnons passants tailleurs de pierre) tant il est notable que ce domaine n'a pas encore fait l'objet de suffisamment de travaux, l'on doit toutefois accepter le même constat réaliste : le principal des références documentaires est aujourd'hui connu et le travail des historiens consiste donc davantage à en extraire le véritable sens, notamment en resituant les informations dans leur contexte et en menant des investigations transversales, qu'à en " colmater les brèches " selon des idées préconçues et à formuler des théories susceptibles de complaire à tel ou tel milieu.

De fait, il est particulièrement utile de trouver rassemblés et mis en ordre dans ce volume par Hugues Berton et Christelle Imbert, qui ont mené là un patient travail préliminaire de recherche et de vérification, l'essentiel des textes et des références sur lesquels s'établissent l'histoire et la rituélique ancienne du compagnonnage et de la franc-maçonnerie opérative. Qui plus est, ces références ont été soigneusement vérifiées par les auteurs (combien en ont-ils trouvé de fausses, d'approximatives voire d'inexistantes ?) et les traductions revues si nécessaire. Nul doute que les chercheurs et les amateurs d'histoire authentique apprécieront de disposer de cette véritable " Bible " qui, à défaut d'être véritablement exhaustive, offre un panorama très complet de textes et de documents éparpillés en une multitude d'ouvrages et de sources, touchant tout à la fois aux compagnonnages français (mais aussi germaniques) et aux loges opératives d'Écosse et d'Angleterre.

D'aucuns de nos lecteurs habituels ne manqueront pas de s'inquiéter de nous voir approuver ici un ouvrage où franc-maçonnerie et compagnonnage sont traités de front, au risque d'abonder dans cette confusion que nous avons dénoncée plus haut et que nous ne cessons dans nos travaux respectifs de stigmatiser. Il nous faut bien avouer que nous-mêmes, nous avons été au début quelque peu dubitatifs quant à l'opportunité de ce choix des auteurs. Mais si les deux sujets que sont la franc-maçonnerie et le compagnonnage doivent absolument rester distincts, il n'en demeure pas moins que ces mouvements plongent l'un et l'autre une partie de leurs racines dans des substrats culturels communs ou, plus généralement, similaires - ainsi, notamment, de l'importance que tous accordent à la construction du temple de Jérusalem sous le règne de Salomon. D'étudier l'évolution de tel ou tel compagnonnage peut aider à comprendre, y compris grâce aux différences, l'évolution propre à tel ou tel autre. De même pour ce qui concerne la Maçonnerie opérative dont l'évolution au XVII e siècle est spécifique, avec d'importantes variantes entre l'Écosse et l'Angleterre, mais ne saurait dans le même temps totalement se comprendre sur le fond sans regarder ce qui se passe à la même époque en France et en Europe chez les compagnons tailleurs de pierre et les milieux professionnels qui leur sont liés : si la franc-maçonnerie prend incontestablement naissance, d'une manière qui reste encore à préciser, sur le sol anglais à partir d'une influence écossaise, nombre de ses racines, tant opératives que spéculatives, s'enfoncent profondément dans le continent. Ainsi, l'exposition La règle et le compas a montré l'extraordinaire richesse et importance des théories de la géométrie " projective " élaborées par Giraud Desargues et Abraham Bosse durant le second quart du XVII e siècle, théories dont la tradition maçonnique française retiendra un siècle plus tard le schéma fondamental pour, sans le comprendre vraiment, en faire la fameuse et mystérieuse " pierre cubique à pointe "[9].

Au-delà de ce nécessaire travail de documentation, les auteurs se sont attachés à retracer les grandes lignes de l'histoire des anciens compagnonnages et des loges opératives, et de projeter un peu de lumière sur leurs rites et symboles. Ils ont ainsi fait la synthèse d'une grande partie des apports des chercheurs les plus sérieux de ces dernières décennies, tant dans le domaine compagnonnique que pour ce qui touche à la franc-maçonnerie. L'ensemble est très stimulant et l'on peut souhaiter que ce livre relance les recherches et les analyses par les réactions qu'il ne manquera pas de susciter chez les spécialistes de ces domaines, sachant que, précisément, l'insuffisance des sources documentaires oblige à la subjectivité et à l'hypothèse. De fait, nous-mêmes ne faisons pas nécessairement la même lecture de tous les points ici abordés, chacun d'entre nous ayant ses propres obsessions et rejets subjectifs : ainsi l'un de nous reste extrêmement dubitatif quant à l'importance de l'hébreu et de la guématrie, tandis que l'autre regrettera certainement que ne soit pas davantage développée la question de l'art de la mémoire... Qu'à cela ne tienne, nous ne manquerons pas de prendre la plume pour faire part de nos découvertes documentaires et analyses, tantôt de manière très savante, tantôt de manière plus légère[10] !

Pierre Mollier et Jean-Michel Mathonière

[1]. D. Knoop et G.P. Jones, Genesis of Freemasonry, 1947, p. V (cité par Roger Dachez, L'invention de la franc-maçonnerie, éd. Véga, Paris, 2008, p. 14).


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