Abel Tiffauges tient son journal et raconte ses obsessions. Il y raconte d’abord comment la femme de sa vie, Rachel, l’a quitté. Puis son enfance au pensionnat Saint-Christophe, une institution sévère marquée par la figure écrasante du saint porteur d’enfant qui lui donne son nom. Il y est le souffre-douleur de ses camarades jusqu’au jour où Nestor, le fils du concierge qui jouit d’un prestige et d’une aura incroyable sur les autres élèves, le prend sous son aile. Fasciné par les petits garçons, il aurait pu aller en prison si la Seconde Guerre Mondiale n’avait pas éclaté, le rendant très vite prisonnier de guerre. De colombophile passionné qui sillonne l’Alsace à la recherche des meilleurs pigeons voyageurs, il est employé dans le domaine de chasse de Goering, un dirigeant nazi, pour qui il devient le recruteur attitré d’enfants pour le compte des jeunesses hitlériennes.
Ce livre est souvent considéré comme un chef d’oeuvre absolu et je comprends pourquoi. Sa richesse, sa complexité, son personnage fascinant prouvent qu’il mérite son prix Goncourt. Abel Tiffauges n’est en effet pas un personnage auquel on s’attache. Ses obsessions pour des sujets bien dérangeants, au premier plan pour les petits garçons et leurs cheveux si doux qu’il ira jusqu’à les collecter, en font un personnage d’ogre bien campé, que vient couronner sa carrière de recruteur pour les jeunesses hitlérienne: si on lui confie son enfant, on ne le revoit jamais. Mais de cette image de prédateur, il fait un personnage au croisement des légendes nordiques (le Roi des Aulnes en fait partie) et du voyageur biblique (Saint Christophe est celui qui a porté l’enfant Christ).
Il pourrait être un énième roman sur la seconde guerre mondiale. Mais on nous en offre un panorama tout à fait inédit. J’ai beaucoup aimé le passage sur les pigeons voyageurs, tantôt compagnons précieux en période de guerre, tantôt nourriture en période de restrictions. L’évocation des enfants recrutés par les nazis est aussi poignante, tant l’image de l’ogre semble pertinente, comme si se réactivait à la faveur de l’histoire les peurs enfantines les plus primaires.
Néanmoins, j’ai eu du mal à avancer dans cette lecture. Le début surtout m’a donné du fil à retordre, avec ce journal un peu décousu dont j’avais du mal à voir le but, avec ces longues digressions et commentaires qui me perdaient, avec ces longues références bibliques qui me mettaient mal à l’aise. Ce roman avait parfois un côté hermétique, presque un peu élitiste, qui m’a parfois rebutée, comme si je n’avais pas toutes les clés pour y entrer correctement.
La note de Mélu:
Fière d’être arrivée au bout, malgré une lecture éprouvante!
Un mot sur l’auteur: Michel Tournier (né en 1924) a travaillé comme journaliste à la radio. D’autres de ses oeuvres sur Ma Bouquinerie: