Out of focus

Les moments les plus forts de ma vie, je ne les ai pas photographiés. Il n'en restent pas moins gravés à tout jamais dans mon esprit. Comme des lames de rasoir. Qui me transpercent la peau.Je n'avais pas de caméra. Quand tout s'est effondré autour de moi. Quand mon monde s'est brisé en mille morceaux. Quand j'ai eu mal, et quand j'ai balayé les débris de la fête qui était finie.Je n'avais pas de caméra. Mais je garde des bribes d'images, parfois des séquences entières, rien n'est fixé sur le papier, rien n'est affichable sur un écran. Je revis parfois certains épisodes, certains tournants ou certains revirements. Cela me prend quand je m'y attends le moins. Je laisse vagabonder la pensée à son aise, je replonge cinq, dix, vingt ans, en arrière. Et je me retrouve, rajeuni mais plus bête; plus bête parce que plus jeune. Que de phrases déplacées ! Que de gaucheries et de maladresses ! J'étais un bien curieux personnage. Une marionnette bouffonne et tragique. Je me rappelle aussi les instants heureux. Quand la beauté. L'espoir. La force. La course. L'émotion. Je me rappelle certaines personnes que j'ai aimées. Aucune photo d'elles. Je les revois dans mon souvenir. Certaines ne sont plus. Parfois elles revivent grâce à moi. Mon monde imaginaire.Aujourd'hui.Nous vivons obsédés par la captation de l'instant. Par son enregistrement et son exposition. Je partage, donc je suis. Tel un cri dans la foule. Vanity fair. Personne ne veut mourir. Personne ne veut vieillir.Surtout personne ne veut rester seul.Comment tromper sa solitude?En rejoignant des communautés virtuelles... En découpant notre âme en rondelles...Ah faiblesse de l'être humain !Toutes les images seront brûlées sur le bûcher des vanités.